Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

mercredi 4 décembre 2019

Il fut un matin ...


Consignes : Un jardin, une comptine…


Ludivine aimait le matin prendre son café dans son jardin.
Il n’était pas comme les autres ce jardin. Il ressemblait un peu à celui du château de ma mère, l’œuvre de Marcel Pagnol. Un portillon fermé à clé décourageait les visiteurs d’y entrer par curiosité. Parce qu’il était magnifique ce jardin. Un peu féerique avec sa petite cascade qui coulait sans interruption et qui répandait une musique douce comme les sons égrenés d’une harpe. Il faisait le bonheur de la jeune femme qui tous les matins ne se lassait pas de le contempler depuis sa terrasse.
Mais ce matin-là, un son particulier lui chatouillait les oreilles. Sa tasse de café à la main, elle descendit les quelques marches et se dirigea vers le portillon. Elle promena son regard par-dessus la haie et n’en crut pas ses yeux. Au milieu du champ de coquelicot tous en fleurs, un pianiste jouait. Habillé de noir et d’une chemise blanche, assis devant son piano de la même couleur que son costume, il jouait les yeux fermés.
Comment était-il arrivé là ? Ludivine n’osait pas l’interpeller quand soudain il sentit qu’un regard l’observait. Il tourna la tête vers elle et sourit.
Ludivine rougit. Elle aurait voulu lui dire que ce champ ne lui appartenait pas et brulante de curiosité elle retenait avec peine les questions qui lui montaient aux lèvres, mais elle parvint à rester muette. C’est alors qu’il en profita pour jouer quelques notes qu’elle reconnut. Il se mit à fredonner :
— J’ai descendu dans mon jardin, pour y cueillir du romarin… gentil coquelicot mesdames, gentil coquelicot nouveau…
— Mais que faites-vous là ? Et comment êtes — vous arrivée jusqu’ici avec votre instrument ?
Ludivine avait retrouvé la parole et s’approchait du jeune homme, après avoir posé son café froid de toute façon sur le muret
— Bonjour gente dame.
Il se leva, s’inclina alors vers elle, lui saisit la main, et la baisa.
— Si je vous ai dérangé, ma mie, je m’en excuse fortement. Mais je viens ici tous les matins que les coquelicots sont en fleurs, après je disparais.
Ayant dit cela, il reprit sa place face à son piano et recommença à jouer. Le rêve d’Amour de Frantz Liszt s’invita alors dans le champ de coquelicots.
Ludivine n’en croyait pas ses yeux. Elle s’accouda alors face au jeune homme et le regarda.
Blond, les cheveux bouclés avec un accroche-cœur sur le front, il ressemblait à un ange. Ses longues mains fines couraient sur le clavier telles un papillon. Elle ne pouvait en détacher le regard, captive de ses notes qui envahissaient l’espace et la faisaient voyager. Elle ferma les yeux et se laissa emporter par la magie de la musique.
Il jouait merveilleusement bien et le morceau choisi réputé pourtant pour ne pas être facile, ne semblait lui occasionner aucune difficulté.
Soudain le silence se fit. Ludivine ouvrit les yeux. Il se leva, lui saisit la main et murmura de sa voix douce :
— Acceptez-vous de me suivre dans mon royaume ?
La jeune femme envoûtée par ce regard bleu azur hocha la tête.
— Installez-vous à côté de moi sur ce tabouret et surtout n’ayez pas peur.
Une nuée les enveloppa tous les deux. Elle sentit qu’elle s’élevait dans les airs. Il recommença à jouer. Elle posa sa tête sur son épaule et ils disparurent.
Les coquelicots se refermèrent. Le champ redevint une pièce qui venait juste d’être labourée. Un merle chanta. Le portillon mal refermé claqua. La tasse de café resta abandonnée avec un fond de café. La cascade dans le jardin se tut.

© Minibulle 24/11/2018

mardi 3 décembre 2019

Les amis de Marie-Sophie




Ah décembre ! J’aime ce mois avec toutes ces préparations de fêtes. Bon d’accord, je ne suis plus une gamine, mais je crois encore à la magie de Noël et qui sait, je me laisserais bien dire que le vieux monsieur habillé de rouge à la barbe blanche existe bel et bien.
Archibald est mon ami depuis toujours. Je crois que je n’imagine même pas qu’il ne pourrait pas être là. Son prénom ? Il vient du fait que sa maman adorait Candie et son amoureux, Archibald. À quoi ça tient un prénom parfois, pas vrai ? C’est le boulanger du village. Et je dis bien, le boulanger. Il refuse tout net de faire des viennoiseries. Vous ne trouverez pas chez lui des croissants et pains au chocolat ou chocolatines. D’ailleurs, parlez-lui de cette guéguerre entre Parisiens et gens du sud, il se met dans une colère noire. Du coup, il n’en fait pas. Point barre.
Nous sommes dans un petit village qui a la chance d’avoir son école, son café « Chez Clovis » son église et son curé, et nous avons notre boulanger. D’ailleurs, il a dû commencer son calendrier de l’Aven. Chaque année, il s’essaye à de nouvelles de recettes de pains et croyez-moi il a un succès fou, comme dit la chanson de Christophe. En plus, il est beau gosse, et les touristes féminines l’été dévalisent sa boulangerie. Je suis certaine qu’elles grignotent toute la journée, elle n’arrête pas d’en consommer. Elles ne doivent pas avoir de problèmes de poids, et n’ont jamais entendu dire que le pain faisait grossir. Lui, il en rigole, et il m’énerve quand il me dit que je suis jalouse. « Ne touchez pas à mon Archi ! il n’est rien qu’à moi ! ». Pas marié, pas de petite copine, il n’a que sa boulangerie comme les marins ont la mer et les motards leurs engins.
— Salut, Archibald !
La clochette tinte et mon ami arrive, le tablier blanc autour de sa taille. Il a encore oublié de se raser.
— Je venais voir ton calendrier de l’Aven, tu l’as commencé ?
—  Salut MarieSophe ! Tu es en retard ma belle, je n’ai plus de rien…
Il me fait un clin d’œil et me fait signe de le suivre dans son atelier. J’adore cette odeur de pain chaud qui flotte toujours chez lui. D’ailleurs quand je l’embrasse, sa barbe en est imprégnée de ce parfum de brioche. Oui, parce que son pain, c’est aussi ça. Il fond dans sa bouche comme une brioche.
—  Alors ce calendrier ?
—  Regarde, il est en vitrine. Chaque jour un nouveau pain. La fenêtre est ouverte, demain nouvelle découverte et non, je ne te dirais pas ce que c’est. Gourmande !
La clochette tinte à nouveau.
—  Il me semblait bien t’avoir vue entrer.

Voilà mon autre amie. Mélusine. Elle aussi, je la connais depuis des lustres. Elle tient la mercerie sur la place à côté de l’église en face de la boulangerie. Oui, c’est un tout petit village et tout le monde s’apprécie, se côtoie. Ce n’est pas étonnant qu’elle m’ait aperçue entrer chez Archibald. Tous les trois, nous sommes liés à la vie à la mort. Quand l’un va mal, les autres le savent aussitôt. C’est ça l’amitié. Heureusement qu’ils étaient là à des moments précis de ma vie. Voilà que je radote comme les vieux.   
Mélusine a des doigts de fée. Dans sa petite boutique qui ressemble à une maison de poupée et qui sent bon la vanille, elle a des tissus multicolores qui rivalisent avec des boutons de toutes sortes. Elle va chercher ses trésors à la capitale comme elle dit. Entendez par là, Internet. Ah ça Mélusine, elle est bien de son époque. Elle vit à l’heure des réseaux sociaux, elle publie tout ce qu’elle fabrique, confectionne, et tout ce qu’elle aurait envie de faire et demande les avis à ses followers. Elle est la reine du hashtag. Moi, à côté, je suis la novice. J’ai l’impression d’avoir un métro voire deux de retard. Lorsque je viens de découvrir un truc que je trouve superbe, fantastique, elle me dit « Ah oui, mais ça fait longtemps que ça existe ça ! » Okay, MarieSophe rengaine tes idées, t’es nulle. Je l’adore, elle est toujours là quand j’ai besoin d’elle et c’est pareil dans l’autre sens. Archibald l’aime beaucoup aussi, mais son côté très réseau l’indispose au plus haut point. Tous les deux sont totalement opposés à ce sujet. Lui, il est dans son pétrin (je le fais râler quand je dis ça, vu que ça ne veut rien dire, son pétrin, c’est son grand récipient qui brasse sa pâte, il n’est pas dedans !) D’ailleurs, il a quand même accepté de se le procurer. Au début, il faisait tout à la main, mais la demande étant trop importante, il n’y arrivait plus. Il avait de jolis bras musclés du coup, mais il a sacrifié sa sacro-sainte idée de rester « comme avant » comme son grand-père. Oui ça coûte cher, mais heureusement qu’il a un bon comptable qui l’aide et le conseille. Sinon, il serait encore avec son papier et son crayon. Tout le contraire de Mélusine je vous dis !
—  Tu fais quoi pour les fêtes MarieSophe ?
—  Pas grand-chose !
—  Comment ça, pas grand-chose ? rugit Mélusine.
—  Tu n’as pas ton frère et ta sœur qui viennent ?
— Je n’en sais rien.
Je me tais. Mes deux amis me regardent, interrogateurs. Mélusine reprend :
—  Noël c’est familial non ?
—  Oui, mais apparemment, les sens diffèrent suivant les personnes. Bon, on a encore le temps d’y penser, je vous abandonne, je vais passer voir Charles.
—  C’est ça, défile-toi encore une fois !
Je leur fais un signe de la main, la clochette tinte à nouveau signalant mon départ.

—  Bonjour !
Je me cogne contre mon voisin d’en face, vous savez le beau gosse. Ce n’était vraiment pas le moment. J’ai les yeux humides, par la faute de mes amis qui m’ont posé des questions qui m’agacent et qui m’égratignent le cœur à chaque fois.
—  Pardon, je vous ai fait peur ?
—  Non, non.
Quelle idiote, je me prends pour Camélia Jordana avec sa chanson « Non non non je ne veux pas prendre l’air… »
Il sourit. J’ai l’air malin.
—  Je vous raccompagne ?
Il insiste. Il ne peut pas me foutre la paix, j’ai pas envie là. Je me sens moche, j’ai les cheveux pas coiffés. En plus, je suis allée voir Archi comme j’étais, en jeans et mon vieux pull, bravo ! Il est étonnant que Mélusine ne m’en ait pas fait la réflexion. « Jamais sans son maquillage, on ne sait jamais » tu parles que je vais rencontrer Tom Cruise ou Bradley Cooper devant ma porte. Mélusine me dirait encore, « un peu rétro pour toi, non ? » Désolée, je ne connais pas trop les people.
—  Savez-vous que vous avez de jolis yeux ?
Je suis stupéfaite. Il se prend pour Jean Gabin ? Je n’ai rien d’une Michèle Morgan.
Il ne me reste qu’une seule chose à faire : la fuite.

© Minibulle 3 décembre 2019

mardi 12 novembre 2019

La partie de tarot et Marie-Sophie



J’habite dans ce petit village depuis ma naissance. Je connais donc tout le monde. Je fais presque partie du paysage. Quand je suis entrée dans le bistrot de Clovis la première fois, je devais avoir cinq ou six ans. J’accompagnais papa qui aimait bien y aller boire son café vers seize heures entre deux rendez-vous.
C’est pourquoi Clovis me charrie toujours avec l’éternelle histoire que je n’ai toujours pas de fiancé. Tous les vendredis soir, il recevait chez lui, dans la salle du fond, un tournoi de tarot. Rien d’officiel, juste les amis du coin qui aimaient bien se rencontrer autour d’un verre. Les femmes exit, interdit. Pourquoi étais-je acceptée moi ? Tout simplement, parce que je n’étais la fiancée de personne. Je ne les surveillais pas s’ils buvaient trop de bière, de vin rouge. Je ne les enquiquinais pas avec leurs problèmes de poids, de foie, de tension. Bref, je leur foutais la paix et du coup, ils ne faisaient même pas attention à moi.
Les premières fois que j’ai assisté à leur partie de tarot, je n’ai rien compris. Là, je devais avoir quinze ans. Avant, le soir je n’avais pas le droit de sortir. C’est Charles qui m’y a emmenée.
— Ah ! te voilà petiote !
— Elle a quand même la quinzaine là, râlait Charles, c’est une jeune fille !
— Tu parles, elle a encore ses nattes ! riait Clovis.
J’aimais bien l’ambiance chaleureuse de cette salle. J’avais de la chance, personne ne fumait à l’intérieur. Clovis n’a donc eu aucun problème quand l’interdiction de fumer dans les lieux publics a été instaurée. D’ailleurs, il se vantait d’être en avance sur son temps, le bougre !
Charles s’installait avec ses partenaires habituels : Jojo, Pierrot et Lulu. C’est lui qui amenait son jeu. Toujours le même. Il ne l’oubliait jamais et quand l’un de ses comparses décidait de jouer avec le sien, Charles se mettait dans une colère noire. Je ne vous raconte pas le jour où Charles ne le retrouvait pas, il était pire qu’un lion dans sa cage. En fait, c’était Lulu qui lui avait piqué, un soir où il avait bu un coup de trop, il n’avait pas fait attention et était rentré chez lui sans son précieux jeu. Charles lui a fait promettre de ne jamais recommencer cette blague idiote, sinon c’en était fini de leur précieuse amitié. Il ne rigolait pas Charles.
Toujours le même rituel :
— Clovis, tu nous apportes de quoi boire ?
— J’arrive les amis. Un ballon de rouge pour Lulu, un de blanc pour Pierrot et deux bières pour Charles et Jojo, une brune et ambrée.
Ils faisaient durer le plaisir avec leur verre. Ils n’étaient pas de grands consommateurs d’alcool.
Et la partie commençait. Charles caressait son jeu, le présentait à ses amis, et commençait toujours à distribuer et c’est là que la première fois où je les ai entendus parler, je n’en crus pas mes oreilles et pris un fou rire mémorable. Enfin, c’est plutôt eux qui ont bien rigolé. Moi, j’étais plutôt genre, vexée.
— N’oublie pas de faire le chien !
Je regardais Charles et attendais. Pas un son ne sortait de sa bouche. Il ne devait pas aboyer ? Et pourquoi d’abord ?
— Petite !
— Garde !
Je me demandais de quoi ils parlaient. Il fallait garder la petite ? Mais de qui s’agissait-il ?
Je n’osais dire un mot et poser la question qui allait les déconcentrer. Peut-être qu’une gamine était en vacances chez eux. Je me triturais le cerveau. Charles n’avait pas d’enfants. Jojo et Pierrot n’avaient que des garçons. Quant à Lulu… peut-être que c’était lui !
— Bravo, tu as amené le petit au bout et tu avais les deux bouts en plus.
Je regardais Charles. Mais il avait donc un enfant finalement ? Il l’avait amené où ? Au bout de quoi ? Et puis il était assis pas debout.
Ils comptaient les points.
— Lulu, tu as encore oublié de dire « garde sans le chien » ou « contre le chien » ?
J’ouvrais de grands yeux et me baissais pour regarder sous la table. Où était passé ce chien dont il avait la garde ?
— Excuse ! c’était sans le chien !
— Non, tu ne l’avais pas l’excuse, tu avais les deux bouts, mais pas celle-là !
— Non, je disais que je m’excusais, riait Lulu.
Une autre partie recommençait. J’essayais de me concentrer. Il devait y avoir un truc que je ne pigeais pas.
— Petite.
Et voilà que c'était reparti. Je me levais de table.
— Où vas-tu petite ?
C’est à moi qu’il parlait Charles ? Et c’est de moi qu’il parlait aussi tout à l’heure quand il disait qu’il m’avait amenée au bout ? Mais non, j’ai bien entendu « tu as amené le petit au bout ».
Histoire de voir un peu leur réaction, je répondis à Charles.
— Au bout !
Les quatre hommes me regardèrent complètement ahuris.
— Au bout de quoi ?
— Mais je n’en sais rien, moi, vous n’arrêtez pas de dire que vous avez amené le petit au bout, alors je dis pareil.
Ils éclatèrent tous de rire. Vexée, je tapais sur la table.
— Qu’est-ce que j’ai dit de drôle ?
Ils en pleuraient. Ils sortaient tous leur mouchoir à carreaux et s’essuyaient les yeux. Jojo appela même Clovis pour qu’il apporte une nouvelle tournée.
— Ne te fâche pas petiote ! On va t’expliquer. Le petit, c’est le 1 et c’est un atout important. Il rapporte des points si on l’amène au bout de la partie sans qu’on le ramasse. Quand on a les deux bouts, le 1 et le 21 on est costaud. C’est là qu’on annonce « petite » ou « garde ».
Je maugréais malgré moi et me rassis sur ma chaise.
Jojo distribuait les cartes.
— Mais fais attention, t’as encore oublié le chien. Quand même, tu es distrait ce soir, tu penses à ta belle ?
— Tu as un chien Jojo ? demandais-je doucement.
Il reposa le jeu et à nouveau de grands éclats de rire retentirent dans la salle.
— Excusez-moi, mais je ne comprends rien !
— T’excuse pas ! Au fait, c’est aussi un atout, l’excuse !

J’avais quinze ans. Aujourd’hui, je frôle la trentaine et je joue avec eux. Ils ont vieilli, mais ils sont toujours aussi doués. On joue à cinq et les règles du jeu de tarot n’ont plus de secret pour moi. Ah ! j’oubliais, j’emmène mon chien avec moi ! Un vrai ! C’est moi qui en ai la garde.

© Minibulle 12/11/2109

vendredi 1 novembre 2019

Novembre en attendant le bus



Joséphine et Ludivine attendaient le bus. L’une était blonde, l’autre brune. On était le 1er novembre et c’était un vrai temps de Toussaint. Il pleuvait, il ventait, il faisait froid. Joséphine la blonde tenait une valise et sa voisine un parapluie. Elles ne se connaissaient pas et pourtant…

— Bonjour mesdames, que représente pour vous le mois de novembre ?
Une petite bonne femme tenait son portable à la main et avait bien du mal à rester debout. Le vent la bousculait.
— C’est pour un sondage…
— Par ce temps, ricana Joséphine.
— Non, en fait, je dois écrire un texte pour le mois de novembre et…
— Pas de veine, en été, ça doit être plus agréable.
— Ce n’est pas faux, mais chaque saison a ses avantages et ses inconvénients.
Ludivine replia son parapluie et vint prendre place sous l’abri de bus.
— Pour moi novembre ça commence toujours mal, avec la tournée des cimetières, soupira-t-elle.
— Vous n’êtes pas obligée d’y aller !
Joséphine haussa les épaules.
— Moi je n’y vais jamais. Ma famille n’est pas d’ici. Je ne vais pas parcourir toute la France pour aller me recueillir sur du marbre. Les personnes qui sont dessous, je ne me souviens même plus qui elles sont.
— Donc, reprenait la journaliste, pour vous c’est tout d’abord le passage sur les tombes.
Ludivine hocha la tête.
— Oui j’y apporte des fleurs. C’est un peu par respect pour les personnes qui aussi viennent visiter les cimetières. J’aurais honte si la tombe de mes parents n’était pas fleurie.
Joséphine éclata de rire.
— Tu penses que les gens font attention à ça !
— Et pour vous ? Que représente novembre ?
La journaliste regardait à présent la blonde.
— Le froid, le vent, le gris, la baisse du moral, les journées qui raccourcissent…
— Et le Noël qui approche.
— Décidément, vous êtes très famille vous, riposta-telle en fixant Ludivine.
— Pas vous ?
— À quoi ça sert ? De toute façon, on est toujours déçu par les siens et on ne la choisit pas.
— Vous avez des enfants ? reprit la journaliste en les regardant toutes les deux.
Elles firent non de la tête en même temps.
— Il y a la Sainte-Cécile le 22 novembre, continua Joséphine. Je le sais, je suis musicienne et il y a régulièrement une fête organisée par notre association.
— De quel instrument jouez-vous ? demanda Ludivine.
— Du piano.
— Vous en avez de la chance.
Joséphine acquiesça et enfouit son nez dans son écharpe.
— Il ne fait vraiment pas chaud. Il arrive ce bus ?
— C’est jour férié, l’horaire n’est pas le même.
Ludivine reprit :
— Nous avons chez nous la fête de la châtaigne. On goute le vin nouveau appelé le bourru, c’est convivial, et sympathique.
La journaliste enregistrait ce que les deux femmes racontaient.
— Il y a Sainte-Catherine aussi. Pour les jeunes filles qui la coiffent, c’est qu’elles sont toujours célibataires à vingt-cinq ans. Elles portent de jolis chapeaux.
Ludivine et Joséphine se regardèrent et éclatèrent de rire.
— Oui, moi je vais le mettre. J’ai vingt-cinq ans.
— Pareil pour moi.
La journaliste demanda :
— Vous avez signalé la Toussaint ? Mais vous savez quand même que la fête de vos défunts c’est le 2 novembre, appelé le jour des morts ?
— Tu parles d’un jour qui fait rêver ! dit Joséphine en secouant la tête.
— Oui, je sais, mais la Toussaint et ça pour moi c’est pareil.
— Au fait… Le 3 novembre, c’est plus amusant, c’est celle de la gentillesse.
— Une journée pour ça ? C’est fou ! Nous devons être gentils que cette journée-là, c’est débile !
— Pas faux ! mais au moins, il y en a une. Vous parliez de la fête des châtaignes tout à l’heure, mais alors, et l’arrivée du beaujolais nouveau ?
— Finalement, il y en a des choses en novembre, sourit la journaliste.
Leur autocar arrivait. Elles ne l’avaient pas entendu arriver distraites par leur conversation. Elles saluèrent celle qui venait de leur poser toutes ces questions et grimpèrent dans le véhicule.
La journaliste restée seule soupira.
— Elles ne m’ont même pas parlé du 11 novembre. Évidemment, elles sont jeunes, mais quand même. Elles pensent à la fête de la gentillesse qui est récente et oublie celle des droits de l’enfant. Décidément…
La petite dame rangea son portable dans son sac et continua sa route.


jeudi 31 octobre 2019

Halloween, ça me chagrine


Comme chaque année,
Le 31 octobre, je suis en apnée.
J’ai horreur de me déguiser
Mais les copines m’ont obligée.

J’ai peur des sorcières
Et ça ne date pas d’hier.

Quand je dois sortir
C’est un vrai délire.

Pour aller chercher les bonbons
Qui ne sont pas toujours bons,
Je dois respirer à fond
Je ne peux pas dire non.

Frapper aux portes, me fout la trouille.
Surtout quand les citrouilles
Me font de l’œil avec leur bouille,
Pour parler, j’en bafouille.

Pourtant les gens sont gentils
Et j’arrive à dire « merci ».
Même si, je sais qu’au fond de mon lit
Je serais bien mieux qu’ici sous la pluie.

Chaque année même rengaine,
Pourquoi des bonbons et pas de madeleine ?
Mes poches alors en seraient pleines
Et je serais beaucoup plus sereine.

Oui la fête d’Halloween me chagrine
Mais pour faire plaisir aux copines
Je perds ma voix cristalline
Et n’enfile pas de crinoline.

Un chapeau noir fera l’affaire
Pour devenir une méchante sorcière.
Exit les lumières
Et de ma voix de poissonnière

Je demanderais des bonbons
Promis l’an prochain j’oserais dire non.


vendredi 25 octobre 2019

Marie-Sophie et Charles


Les cloches carillonnaient et je savais déjà que j’allais voir Charles mon voisin, mon pépé comme j’aimais l’appeler, sur son 31.
Je suis née sur le tard. Mes parents avaient dû perdre la notice pour faire un bébé. Quand je leur en fais la remarque en blaguant, ça ne fait pas rire du tout papa. Maman lui file un coup de coude et lui dit que ce n’est pas grave, mais lui, il n’apprécie pas du tout la plaisanterie. Du coup je n’ai pas eu la chance d’avoir de grands-parents. Ils étaient tous déjà partis. Pas de veine pour eux ni pour moi.
Charles est alors mon pépé d’adoption. Il a l’air d’accord, enfin je le crois. Il ne m’a jamais dit le contraire. Il vit dans un bric-à-brac, je ne vous raconte même pas. Solitaire et toujours vêtu avec un vieux jeans, une chemise à carreaux et un pull par-dessus, il passe son temps à bricoler, jardiner et s’occuper de ses animaux. Ah, ça, il en a des bestioles. Un chien, un chat, et un cheval dans son pré, qui cohabite avec des poules. Pas de coq, il réveillerait tout le quartier, et il y a de nombreux grincheux qui iraient se plaindre au maire.
Je vous racontais donc que c’est dimanche, et Pépé a revêtu son costume et sa chemise blanche. J’ai cru au début qu’il allait à la messe. J’étais étonnée, parce qu’il jurait comme un beau diable, mais bon, ce n’est pas parce qu’on jure qu’on n’est pas chrétien, il paraît. D’ailleurs, le curé que j’aime bien, il manie les gros mots comme dit maman à tour de bras.
— Bonjour pépé, tu pars à la messe ? Tu feras une prière pour moi ?
— Tu veux que je t’avoue quelque chose MarieSophe ?
J’adorais quand il m’affublait de ce surnom. Il était synonyme de tendresse, de « Je vais te dire un secret, mais tu ne le racontes à personne », de complicité et d’entente entre nous. Je levais la main :
— Promis, juré, craché !
— Je ne vais pas à la messe. D’ailleurs, si tu faisais attention, tu saurais que les cloches ont sonné la fin de l’office.
— Ah bon ? Elles carillonnent différemment ?
— Peu importe, je te dis qu’elle va sortir, et qu’elle va aller chercher sa pâtisserie préférée chez Angèle.
— Mais qui ?
— Célestine, voyons ! De qui veux-tu que je te parle. Viens avec moi, et fais-toi discrète, sinon, je vais être en retard. Je te raconte en route.
Je lui emboitais donc le pas. Il avançait vite le bougre pour son âge. Il tourna la tête vers moi et sourit :
— Si tu marchais davantage au lieu d’enfourcher ton scooter pour un oui ou pour un non, tu arriverais à maintenir ma cadence.
— C’est que je travaille moi, je ne suis pas toujours dehors à crapahuter.
Il se mit à rire et ralentit le pas. J’ai tout d’abord cru que ce n’était pour moi. Mais pas du tout. Il s’épongea discrètement le front et les mains avec son beau mouchoir à carreaux qui fleurait bon son eau de toilette Moustache de Rochas (je le sais, papa a le même, et c’est moi qui lui en rachète pour sa fête des Pères) et reprit son souffle. Une fois sa respiration redevenue normale, il redressa la tête et s’avança vers la place. Les fidèles sortaient de l’église et se congratulaient à qui mieux mieux :
— Comment vas-tu depuis la dernière fois ?
— Ah votre jambe vous fait encore souffrir ?
— Il y avait la queue hier chez le médecin.
— Le pauvre, il a passé l’arme à gauche, bientôt, il ne restera plus personne…
Comment voulez-vous qu’on la remplisse cette église, tout le monde se plaint, ignore parfois son voisin ou en dit du mal alors que quelques minutes avant, ils se serraient la main pour le signe de paix.
Je souris bien malgré moi, en regardant tout de même pépé qui mine de rien, se rapproche de la pâtisserie. Il fait celui qui ne s’intéresse à rien quand soudain, je la vois, son amoureuse.
Célestine Castille ! Quelle charmante vieille dame. Je souhaiterais bien avancer dans l’âge comme elle.
— Elle a de la classe hein !
Ce n’est même pas une question, mais bien une affirmation que me chuchote pépé que je n’ai pas attendu approcher. J’acquiesce de la tête sans mot dire. Je suis subjuguée par cette mamie, toute de rose poudrée vêtue, jusqu’aux escarpins assortis. En passant devant moi, je respire le parfum Calèche d’Hermès.
Pépé se remet en route en sens inverse.
— Quoi ? C’est tout ? Tu ne lui parles pas ? Tu t’es habillé tout beau pour rien ?
— Tu ne crois tout de même pas qu’une femme de cette classe va me regarder !
J’ouvris grand les yeux, essayant d’avertir pépé quand Célestine Castille lui tapa sur l’épaule :
— Accepteriez-vous de partager mes éclairs au chocolat ? Vers 16 heures, l’heure du goûter ? Vous connaissez mon adresse, je serais heureuse de vous accueillir.
Sans attendre une réponse qui de toute façon ne viendrait pas, pépé étant statufié, elle fit demi-tour et droite comme un I repartit chez elle.
J’embrassais pépé et le prenais par le bras pour le ramener chez lui.
— Ohé, tu redescends sur terre. Allez retourne chez toi manger un morceau et ne te goinfre pas trop. Tu as un éclair au chocolat en dessert avec ta belle.
Il se laissa emmener sans mot dire, très digne, comme si d’un coup, l’invitation avait fait de lui un autre homme. Arrivé devant chez lui, il murmura :
— Ah ben ça alors ! Tu as compris quelque chose toi ?
— Oui, elle t’avait remarqué tout simplement. Allez, je file tu me raconteras.
Je l’abandonnais devant sa porte et traversais la rue pour rentrer chez moi. Le poulet rôti fleurait bon ainsi que les cèpes qui les accompagnaient. J’en avais déjà l’eau à la bouche. Qu’est-ce qu’on est bien avec les parents. Il faudrait quand même que je pense à…
— C’est gentil d’emmener votre voisin à l’église.
Stoppée dans mon élan, je n’osais me retourner. Deux miracles dans la même matinée, impossible, je vais me réveiller. Il n’allait quand même pas me proposer aussi un éclair, Florent, le beau gosse d’en face !
— Vous aimez le chocolat ?


© Minibulle 25/10/2019

samedi 19 octobre 2019

Marie-Sophie (MarieSophe pour les intimes)



Vous ne vous êtes jamais demandé « qu’est-ce que je vais bien écrire aujourd’hui ? »
Moi, si ! Je m’appelle Marie-Sophie (MarieSophe pour les intimes et ne rajoutez pas sauf quoi, ça m’agace !) et je ne peux m’empêcher de poser des mots les uns derrière les autres. Je me suis rendu compte qu’une fois mis bout à bout dans le bon ordre, ces mots faisaient des phrases. Ce qui est génial, c’est que ces phrases reliées entre elles, elles racontaient une histoire.
 J’ai toujours un carnet sur moi, un crayon. Enfin, quand je dis un carnet, je dirais plutôt, un cahier. Mais pas n’importe lequel, le cahier, non, un de collection. Vous savez, celui avec une belle illustration dessus. Lorsque je vais dans une librairie-papeterie, oui parce que dans une librairie je n’y trouverais que des livres, même s’ils font mon bonheur, j’ai l’envie qui me démange d’aller fureter au rayon des crayons et des cahiers. J’en ai toute une collection, des petits, des grands, à petits et grands carreaux, à spirale, de couleurs.
J’ai la vingtaine et… bon OK, je frôle la trentaine, et il faut toujours que je la ramène. Je bosse dans un bureau. Je suis assistante de direction. J’assiste la direction. C’est quoi encore cette expression ? La direction n’a pas besoin d’être assistée vu qu’elle a toujours raison. Mais c’est écrit sur ma fiche de paie, assistante de direction. Donc j’assiste aux réunions, je planifie des rendez-vous, je fais marcher la machine à café pour le directeur (ça oui, je l’assiste), je fais tampon entre lui et… bref je suis entre le marteau et l’enclume, entre l’arbre et l’écorce ou assise entre deux chaises, vous avez compris ? Heureusement, je ne me laisse pas faire. Je ne suis pas une assistée moi !
J’adore regarder les collègues et n’en faire qu’une bouchée… sur mon papier. J’ai des carnets de notes sur eux et croyez-moi, ça vaut de l’or, si j’insiste.

Ce matin, je regardais par la fenêtre, c’est samedi, je n’assiste personne.
Ciel bleu, quelques nuages…

— Tu ne peux pas me prêter tes pinces ?
Je me penche. J’essaie d’être discrète ! C’est Charles, le voisin. C’est vrai qu’il est toujours mal coiffé et j’imagine qu’il a laissé ses doigts dans une prise encore ce matin. Ses cheveux sont dressés, je ne vous dis pas comment. Soit, il a mis une tonne de gel pour qu’ils tiennent ainsi, ou je ne sais pas qui lui a prêté des pinces pour que ça tienne. En tout cas, elles sont bien invisibles ces barrettes, je voudrais les mêmes.
— Alors, c’est oui ou non ?
Apparemment, il n’a pas eu ses pinces. Alors comment tiennent ses cheveux gris comme ça ! C’est du grand art. Je ne peux m’empêcher de le prendre en photo avec mon téléphone pour zoomer et bien regarder comment il fait. Mon Dieu qu’il est moche, vu de si près. J’efface en vitesse. Vous ne voyez pas qu’après on imagine que c’est mon mec. Parce que les copines pour ça, elles sont trop fortes. Mine de rien, elles zieutent ton portable et paf, elles découvrent une photo et ça y est c’est parti, elles se montent le scénario.
— T’es allé les acheter ou quoi ?
Le père Charles s’énerve. Mais qu’est-ce qu’il veut encore ? Elle est top ta coiffure, pépé, ne la ramène pas.
— J’arrive !
Là, je m’écarte vivement de la fenêtre. C’est Florent, celui dont la fenêtre donne sur ma chambre. Pas de toison grise, lui ! Plutôt noire comme le corbeau. Et des yeux à tomber par terre. Je les ais vus sur son compte Instagram. À chaque fois que je le croise, je n’ose même pas le regarder. Lui, il ne me calcule même pas.
— Tiens prends les ! C’est encore ta voiture qui fait des siennes ?
Qu’est-ce que la vieille Peugeot de Charles vient faire là-dedans. Je ne vous ai pas dit, je suis aussi très curieuse !
— Je n’arrive pas à la faire démarrer, je ne voudrais pas en changer, je n’ai pas les sous.
Tu parles Charles ! Bien sûr qu’il a de l’argent, mais ça, il n’y a que moi qui le sais. Bon alors, ces pinces ?
— Tu branches ?
— Je démarre !
Non ? Des pinces pour la batterie ? Il ne pouvait pas parler de câble comme tout le monde ?
Quand je vous disais que les mots c’était important ! 


mercredi 2 octobre 2019

Amour toujours


Logorallye écrit avec des mots proposés dont le thème était l’horreur, le fantastique.

Plic ploc, plic ploc. Encore cette satanée gouttière pensa Josette.
Quelle déchéance ! Elle vivait dans cette bicoque délabrée alors qu’avant…

Même sous la torture, elle ne dirait rien. Elle ne la supportait plus cette maison. Abandonnée de tous, elle vivotait. Pourtant, à bien y regarder, elle n’était pas moche cette baraque. C’était tout ce qu’on lui avait proposé. Elle était arrivée dans cet endroit, les mains sanguinolentes qu’elle avait difficilement cachées. Le flic souhaitait la protéger, tu parles ! Il voulait coffrer son homme. Elle, elle l’aimait. Elle refusait qu’on lui fasse du mal mais lui s’était-il posé la question quand il la mettait au supplice ? Elle mourrait de trouille quand il rentrait, elle en avait le cerveau en destruction, et lui, il avait le sourire enjôleur, toujours ! À chaque fois, elle y croyait ! Il n’allait plus braquer, il allait s’assagir, il lui promettait. À quand sa rédemption ? Parfois, ça durait un mois, quelquefois deux où ils étaient un couple normal. Il n’y avait jamais eu de crimes, il lui avait juré. Et puis un jour…
Ils étaient tous les deux en train de scier du bois pour l’hiver. Jeremy maniait la tronçonneuse comme un chef. Josette se rappelait encore, le parfum de résine qui se dégageait de l’arbre coupé. Le bonheur était à portée de mains, elle y croyait. Et puis tout avait dérapé !
Quelle abomination ce voisin ! Il lui tournait autour. Elle s’en était bien rendu compte, mais elle n’avait pas voulu en parler. Elle aurait dû ! Quand il avait débarqué dans la forêt pour proposer son aide avec ses sourires mielleux à la façon d’un représentant de dentifrice, elle avait bien compris que Jeremy soufflait. Elle le vit déposer calmement son outil au sol, oubliant volontairement de l’éteindre. Il s’avança, bouscula ce con de voisin, puis s’approcha de lui, le renifla à la manière d’un vampire, terrorisant l’homme qui tenta de rigoler. Bien mal lui en pris ! L’égorgement ne dura qu’une minute. Il tomba sur la tronçonneuse qui fit son travail. Pas besoin de cordelette. Il était mort. À ce moment précis, Josette détesta Jeremy. Il avait tout bousillé. Elle avait cru qu’il regretterait. Même pas ! La haine la submergea. C’était ça l’exécration ? Jamais, elle n’avait connu ce sentiment qui la dévorait.
Comme dans un brouillard elle le vit, creuser un trou et l’enterrer sans une once de remords. Bêtement, elle pensa aux papiers administratifs qu’il faudrait fournir, puis elle éclata de rire comme une folle. La faucheuse était passée pour ce pauvre voisin qui avait eu le malheur de craquer sur elle.
Quand Jeremy l’entraîna avec lui, elle le suivit comme un zombie qu’elle était devenue. Les jours d’après furent tellement angoissants que ses viscères se tordaient à chaque fois qu’elle entendait une voiture rouler devant chez eux.
Et tout recommença. Ses copains débarquèrent, et il étala des plans sur la table, il se reprit à étudier les allées et venues des gardiens de sécurité. Quelle damnation cet homme ! il fallait qu’elle parte !
Mais où s’enfuir ? Il y avait longtemps qu’elle n’avait plus de famille. Depuis qu’il était entré dans sa vie, si elle y réfléchissait bien. Alors qu’elle était une gosse de riches, une fille à papa, qu’elle pouvait prétendre à un héritage fabuleux, elle avait choisi le mauvais chemin.
Comme disait son père, elle avait plus que pêché, elle méritait la lapidation. On ne se lie pas avec un voyou, même s’il est le meilleur, et qu’il a l’air d’un gentleman.

— T’inquiète pas bébé, ça va aller comme sur des roulettes. Ce n’est pas encore aujourd’hui que tu iras au cimetière creuser ma tombe.
Elle avait horreur de ce surnom. Bébé, comme dans le film Dirty dancing, qu’elle adorait parce qu’il la faisait rêver et que les musiques l’enivraient.
Elle n’en pouvait plus de cet écartèlement, soit quitter son dangereux amour, soit retourner chez son père, où aucun gourdin ne l’attendait caché derrière la porte.
Sauf que ça n’avait pas tourné comme Jeremy l’avait prédit. Quand elle le vit revenir chez eux, le visage en sang et des plaies purulentes sur le torse, elle crut vivre les tréfonds de l’enfer.
Comment le soigner ? Plus de copains à l’horizon, ils étaient seuls. Il ne voulait pas entendre parler de médecin, et il se mit à délirer.
Alors elle appela son père au secours. Quand on a de l’argent, c’est tellement facile de faire jouer ses relations. L’enlèvement de Jeremy vers une clinique privée ne posa aucun problème.
Le regard noir de son paternel la cloua sur place.
— S’il ne tenait qu’à moi, je demanderais qu’il soit éviscéré. Ainsi, il ne te causerait plus de soucis.
Elle savait qu’il n’en ferait rien, parce qu’elle était sa fille unique et qu’il l’aimait. La preuve, il était accouru à son appel.
— Je t’interdis de prendre de ses nouvelles, laisse-moi faire.

Elle errait seule comme une âme en peine. Elle se sentait démembrée sans lui. Une partie d’elle était partie avec lui.
Quand le flic débarqua chez elle, comme un charognard qui guette sa proie, elle faillit ne pas ouvrir. Il fallait qu’il ne se doute de rien. Après tout, elle n’avait rien à se reprocher.
— Connaissez-vous un certain Jeremy Depain ?
— Vous pourriez au moins dire bonjour.
Elle cherchait à gagner du temps parce qu’elle ne savait pas quoi lui répondre.
— Dommage qu’une jolie femme comme vous copine avec un homme toxique comme lui. Mais vous avez raison, restons polis. Je suis le capitaine Malpartout.
Elle faillit éclater de rire. Il ne manquerait plus qu’il s’appelle Roger, pensa-t-elle. Roger Malpartout, ça sonne bien. Mais elle réussit à garder son sérieux.
— J’aimerais que vous veniez avec moi. J’ai quelqu’un à vous montrer. Enfin, je ne vous demande pas votre avis, suivez-moi.
Elle obtempéra. De toute façon, comment résister à un capitaine de police qui a mal partout.
— Je vous emmène à la morgue et vous allez me dire si vous reconnaissez un corps avant son autopsie.
Les jambes flageolantes, elle suivit le policier, sans piper un mot.
Les locaux étaient glacials et laids. On ne pouvait pas demander non plus qu’il y ait des fleurs et des coussins moelleux disséminés ici et là dans un endroit pareil. La table avec les scalpels qui attendaient sagement de se rendre utiles, lui fit froid dans le dos.
Un tiroir qu’on ouvre, une forme allongée encore recouverte. Elle respira à fond.
— Je vous présente votre petit copain Jeremy Depain.
Il souleva brutalement le drap blanc. Aucune expression ne filtra sur le visage de Josette.
— Je ne connais pas cet homme. Du reste, je vois mal comment je pourrais donner un avis.
— C’est vrai qu’il n’est pas beau. On dirait qu’il s’est fait dévorer par un cannibale.
Comment pouvait-il le savoir ? Elle, elle n’avait jamais rencontré de cannibale à l’action. À ce moment-là, une porte claqua violemment et deux hommes entrèrent. Ils étaient coiffés de grands chapeaux de cow-boys et des bandanas cachaient la moitié de leur physionomie.
Le capitaine Malpartout n’eut pas le temps de porter la main à son arme que sa tête volait en éclats. Josette pétrifiée sentit qu’on la tirait par le bras et qu’on lui essuyait son visage ensanglanté par les éclaboussures de sang.
Elle avait du mal à suivre les deux individus. Finalement, l’un des deux la souleva comme une plume et la balança sur son épaule comme un vulgaire sac de patates. Elle eut le temps de voir un camion bétonnière qui passait devant eux à toute allure et de penser que le capitaine allait vraiment avoir mal partout et puis plus rien.

Plic ploc plic ploc. Elle était encore seule. Elle ne savait pas qui étaient les hommes qui l’avaient sauvée. Son père était passé pour lui dire que ce capitaine venait pour la protéger. Elle n’y croyait toujours pas. Quand elle avait raconté ce qui s’était déroulé à la morgue, il avait hoché la tête, surpris. Il n’y était pour rien. Par contre, ce qu’il avait à lui annoncer était plus ennuyeux. Jeremy devait subir une trépanation. Il ajouta qu’il aurait préféré une décapitation, mais, il paraît que ça ne se faisait plus, il s’était incliné. Il risquait de perdre la mémoire.
— Il ne va plus se souvenir de moi ? osa-t-elle demander
— Ce serait une bonne chose en effet !
— Peut-être aussi qu’il ne pensera plus à tous ses braquages, espérait-elle.

Josette dormait à poings fermés quand un hurlement la réveilla en sursaut. Elle se leva en hâte et regarda par la fenêtre.
Quand il entra dans la pièce, elle n’eut même pas peur. Il était magnifique ce loup-garou, elle le reconnut immédiatement. Voilà ce qu’ils en avaient fait avec leur putain de trépanation. Il la souleva comme un fétu de paille et le clair de lune les vit s’enfuir dans la nature. Josette pensa que son nouveau parfum d’animal sauvage qui ressemblait plus à de la putréfaction allait la déranger. Il faudrait qu’il en change. Elle se blottit quand même contre sa fourrure pour avoir plus chaud, elle ne portait qu’une nuisette.