Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

samedi 25 mai 2019

Bonne fête maman




Longtemps, Stefano était resté dans sa chambre. Allongé sur son lit, il fermait les yeux. Le cœur lourd comme une pierre, il essayait désespérément de la retrouver.
Il s’était levé, avait regardé le cadeau enrubanné qu’il avait fabriqué avec la maîtresse. Il avait eu beaucoup de mal à écrire le mot magique. Ses camarades de classe ne tenaient pas en place et étaient fiers de leur travail. Lui, même s’il savait que c’était joli et que ça allait lui plaire, il traînait son cœur. Quand il était rentré, il avait abandonné son cartable. Joe, son papa, lui avait ébouriffé les cheveux. Ils s’étaient regardés. Pas un mot n’avait été prononcé, mais un voile avait terni le bleu délavé du gaillard au chapeau de cuir. Stefano avait serré fort la main de son père et avait refoulé la vague qui allait déferler dans ses yeux à lui. Il avait sorti son paquet, et était parti le cacher dans sa chambre, comme il faisait avant.
Maintenant, il errait dans la maison comme une âme en peine.
— Pourquoi tu es triste ?
Le petit garçon ne répondit pas. De grosses larmes coulaient le long de ses joues. Héloïse s’approcha de lui et entoura ses épaules de ses bras.
— Tu sais… Je peux partager avec toi.
Elle aussi avait fabriqué à la crèche un cadeau. Dans la voiture, la veille, elle l’avait montré à Joe en lui promettant de ne rien dire. Elle riait, ravie d’avoir réussi à peindre sans déborder. Elle avait choisi les couleurs qui plairaient à Charlie. Du bleu, du rose, du jaune, parce qu’il fallait que ça pétille, comme disait la fillette. Sa maman, c’était un bonbon sucré, une friandise qu’elle adorait embrasser, renifler, câliner.
C’était long d’attendre dimanche pour Héloïse sans divulguer son secret.

— Je n’arrive plus à me souvenir d’elle.
Stefano pleurait à chaudes larmes, à présent. Héloïse, bouleversée par le chagrin de son ami, partit en courant. Il resta seul avec sa peine.
Charlie s’approcha doucement du petit bonhomme secoué de gros sanglots.
— Tu n’es pas ma maman, hurla Stefano, je veux ma maman…
La jeune femme ne répondit pas. Elle lui caressa simplement les cheveux. Il se blottit alors dans ses bras et murmura.
— Ce n’est pas que je ne t’aime pas mais… je ne veux pas l’oublier.
— Je ne t’ai jamais demandé de l’oublier Stefano, ta maman restera toujours dans ton cœur. 
— Moi, je veux bien partager, je lui ai dit.
Héloïse à son tour avait les yeux embués.
— Que se passe-t-il ici ?
La grosse voix de Joe les fit tous sursauter.
— Quelqu’un est malade ?
Il siffla son chien Texas qui déboula à toute allure en bousculant tout sur son passage. Joe reprit :
— Je sens qu’une crêpes party est demandée. Qui vient m’aider ?
Charlie et Héloïse levèrent la main ensemble.
— Et toi Stefano, tu casses les œufs ?
— J’ai pas faim. Arrête de faire comme si tout allait bien.
Joe soupira. Charlie lui fit signe qu’elle s’occupait de la pâte. Il s’approcha de son fils.
— Moi aussi, elle me manque. Mais tu sais, nous sommes à égalité tous les deux. Tu n’as plus ta maman, moi non plus et depuis plus longtemps que toi.
Stefano leva les yeux. Il n’avait jamais imaginé ça.
— Toi aussi alors tu as de la peine quand on fête les mamans ?
— Oui et je me dis que là où elle est, elle doit la fêter et penser à nous. Je vais t’avouer un secret. Viens avec moi.
Ils sortirent tous les deux dans le jardin.
— Ta grand-mère adorait les tourterelles. Combien de fois, avec elle, je les regardais s’ébattre sur la pelouse et dans les arbres. J’arrivais même à imiter leur roucoulement. Quand elle est partie, j’étais plus vieux que toi. J’avais donc davantage de souvenirs partagés avec elle. Mais peu importe l’âge. Quand j’ai elle m’a quitté, j’ai cru que le monde allait s’effondrer. Un jour que je n’en pouvais plus de ne plus la voir, j’ai crié, j’ai appelé, et je lui ai demandé de me faire un signe.
Stefano était suspendu à ses lèvres, le regard levé vers lui, une perle d’eau encore accrochée à ses cils.
— Et alors ?
— Une tourterelle a roucoulé.
Joe, tout grand gaillard qu’il était, écrasa furtivement une larme. Peu importe à qui elle était destinée, sa femme disparue, ou sa maman. Le petit garçon se blottit contre lui et murmura.
— Merci papa.
— Ta maman les adorait aussi.
Ils retournèrent tous les deux dans la cuisine où les filles s’activaient allègrement à confectionner des crêpes.
— Alors, ça avance ? demanda Joe en se frottant les mains.
Héloïse, le nez enfariné, riait.

Quand plus tard, ils se régalèrent autour de la grande table en bois, Joe offrit à son fils un tableau.
— Regarde, je l’ai fait pour toi.
Stefano ébahi, découvrit un pêle-mêle de sa maman. Héloïse se pencha et déclara, la figure barbouillée de chocolat :
— Tu vois, tu vas pouvoir lui dire, bonne fête maman.
Dans le jardin, une tourterelle roucoula. Stefano sourit. Joe lui fit un clin d’œil. Il était heureux d’avoir redonné le sourire à son fils, même si pour lui l’absence était toujours aussi douloureuse.


mercredi 1 mai 2019

Mai, à la façon d'Héloïse et de Stefano



— Qu'est-ce que ça veut dire la fête du Travail ?
Héloïse, petite bonne femme de quatre ans, interrogeait Stefano.
Le garçon du haut de ses cinq ans se gratta la tête perplexe.

Héloïse avait débarqué dans sa maison un jour de pluie. Mais depuis ce jour, il faisait toujours soleil dans le cœur du gamin.
Elle était arrivée avec son vieux doudou tout moche qu’elle traînait derrière elle.

— Alors c’est quoi la fête du Travail ?
Elle se coula sous la tête de Stefano à la manière d’un chiot qui quémandait une caresse. Ses grands yeux bleus l’interrogeaient et attendaient une réponse. Elle reprit :
— Je ne comprends pas pourquoi c’est une fête. Maman, quand elle en parle, elle dit toujours qu’elle n’est pas à la fête en ce moment.

Charlie aussi était entrée dans la vie de Stefano, bouleversant tout sur son passage. Mais elle, ce n’est pas une vieille peluche qu’elle traînait, c’était des cartons de livres, un ordinateur et des carnets de toutes les couleurs. Elle avait envahi tout l’espace au grand plaisir de Joe.

— Alors c’est quoi la fête du Travail ?
— Je crois que c’est pour lui faire sa fête.
— Ben, tu ne t’es pas foulé ! Toi qui sais toujours tout.
— Aussi, tu as de ces questions. Je ne sais pas. Peut-être que c’est pour que les gens se reposent. Oui, c’est ça. Comme, ils travaillent tout le temps, il faut bien un jour de repos.
— Et les vacances alors ?
— Tu as bien ton anniversaire toi, le travail c’est pareil. C’est son anniversaire.
— Chouette, on va lui faire un gâteau.

C’était ça Héloïse. Un amour de petite fille souvent prête à faire des cadeaux. Elle posa un baiser sur la joue de Stefano.
— Merci. Je vais le demander à Joe.

Joe, c’était le père de Stefano. Un grand gaillard, à la barbe mal rasée qui piquait. Toujours affublé d’un chapeau en cuir de cow-boy. Ses bras étaient tellement immenses, qu’il pouvait les prendre tous les deux en même temps. Il y ajoutait même Charlie, et ils riaient tous aux éclats.

Un courant d’air fit voler les cheveux de la petite fille.
— Regardez ce que j’ai trouvé !

Charlie déboulait à sa manière dans la vaste cuisine qui sentait encore le pain grillé et le café. Joe la suivait heureux accompagné de son Terre Neuve. Il bouscula les enfants et leur lécha la figure de sa grande langue.
— Stop Texas ! Je t’interdis de faire ça !
— Laisse Joe, ce n’est pas grave.
C’était ça aussi Charlie. Toujours de bonne humeur. Elle en distillait partout. C’était contagieux. Depuis qu’elle était entrée dans leur vie, Joe et Stefano gardaient le sourire en permanence. Un peu comme si le temps n’avait plus de prise sur eux.

— C’est quoi ?
Charlie brandissait une branche de muguet.
— Du muguet.
Stefano avait répondu, blasé.
— Sens son parfum, ma bichette !
Héloïse approcha son nez des clochettes.
— C’est la première année que j’arrive à en avoir.
Joe était fier. Il avait pensé filer au village acheter un brin pour Charlie, et puis il avait oublié. Ce n’était pas son truc les fleurs. Heureusement, la nature s’en était mêlée et Charlie était toute contente. Elle choisit un joli verre pour y mettre sa trouvaille et le posa sur la table.

— C’est pour la fête du Travail, c’est son cadeau. Tu savais que c’était son anniversaire, papa Joe ? Tu peux m’aider à lui faire aussi un gâteau ?

Il serra fort la main de Charlie, les yeux embués de larmes. C’était la première fois qu’Héloïse l’appelait ainsi.