Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

samedi 1 septembre 2018

Giovanni



Giovanni a fermé ses beaux yeux bleus pour toujours et Zabou se souvient…

Chaque été fin juillet, elle partait en vacances chez Giovanni et Gabrielle. Enfin pas tout à fait chez eux, juste la maison voisine.
Plus de huit cents kilomètres la séparaient de cette maison, mais elle y rêvait toute l’année. Elle était située au soleil en pleine campagne, alors qu’elle habitait en ville et le soleil était dans le cœur pas beaucoup dans le ciel.
Dès que son papa avait fixé la date du départ, les valises commençaient à prendre toute la place. Le départ était souvent fixé à quatre heures du matin, parce qu’il fallait avaler dix heures de route et qu’il ne fallait pas trop rouler avec la chaleur à laquelle elle et ses parents étaient peu habitués.

L’arrivée était toujours la même et les sentiments de joie et d’excitation quand la voiture franchissait les derniers kilomètres en grimpant la côte la faisaient danser dans la voiture au grand dam de son père qui lui demandait de se tenir tranquille.
La maison était là, l’herbe aussi. Papa sortait les clés pour ouvrir le portail mais Zabou était déjà hors de la voiture et criait :
— Je vais chez Fantine.

Fantine était son amie. Celle avec qui elle vivait pendant un mois. Elle était la fille de Giovanni et Gabrielle. Elle avait deux sœurs : Joe l’aînée, et Manou la plus jeune. Fantine était celle du milieu, et était née le même jour que Zabou à deux ans d’intervalle. Deux presque sœurs.

Zabou arrivait le cœur battant à tout rompre dans la cour. Il lui semblait que rien n’avait changé depuis l’année dernière. Elle était assaillie aussitôt par les parfums de foin, de tabac, de paille, et des … vaches. Elle n’avait rien oublié.

Toujours un petit moment de flottement quand Zabou et Fantine se retrouvaient. Quand on est gamines, ne pas se voir pendant onze mois, c’est long. Mais ça ne durait jamais longtemps ce flottement.

Gabrielle aussitôt avec son accent chantant disait :
— Te voilà revenue au pays ?
— Comme tu as grandi !
C’est les yeux rieurs de Giovanni qui l’accueillaient :
— Alors ? Tu n’as pas beaucoup de couleur, tu es bien blanche !
Les vacances chez Giovanni et Gabrielle étaient toujours les mêmes, année après année. Agriculteurs tous les deux, la journée était rythmée par le ramassage des tomates dans les grands champs un jour sur deux, puis par celui du tabac. C’était ça qu’elle préférait Zabou, le tabac.
Giovanni le coupait, et Gabrielle, ses trois filles et Zabou, le ramassaient par poignée de trois ou quatre pieds et le tendaient à Giovanni debout sur la remorque qui le plaçait de manière à ce que ses feuilles ne s’abîment pas. 
Il arrivait qu’en attendant que le tabac soit coupé, Zabou et Fantine fassent le clown sur la remorque. Elles dansaient, chantaient, et faisaient coucou aux quelques voitures qui passaient sur la route en éclatant de rire quand elles se faisaient klaxonner.
Zabou se souvient qu’elle avait gardé une feuille de tabac séchée dans un livre et qu’elle en humait le parfum le soir chez elle à la ville comme lui disait en souriant Gabrielle.

Au moment du goûter, tout le monde se retrouvait au frais dans la grande cuisine et Zabou adorait ce moment où elle allait pouvoir faire un « choupillon ». Tremper une grande tranche de pain frais dans du vin sucré.  Un régal ! Zabou en a encore le goût sur la langue. Ou alors, c’était le grand pot de confiture de prune qui arrivait sur la table. Et une tartine de cette confiture valait tout l’or du monde pour Zabou.  Ce parfum de prunes, Zabou ne l’a jamais oublié.
D’ailleurs, elle et Fantine en ramassaient des prunes. Assises sur le tracteur, elles n’avaient qu’à lever la main pour attraper les prunes bien chaudes… Zabou en a gardé des souvenirs de ces prunes chaudes avalées… Pourtant Gabrielle l’avait prévenue, et Giovanni s’en amusait.

Quand ce n’était pas le tabac, c’était le ramassage des tomates. L’odeur restait imprégnée sur le tee shirt de Zabou qui refusait, une fois repartie, que sa maman le lave. Elle pouvait rester des heures à le sentir le soir quand le cafard la saisissait par surprise.

En attendant que la chaleur soit moins forte, Giovanni faisait la sieste dans sa grange. Zabou qui avait une peur bleue des araignées ne comprenait pas pourquoi il allait s’allonger dans la remise aux pommes de terre. Il y faisait frais certes !
Pendant ce temps, elle et Fantine s’amusaient. Danses sur les tubes de Cloclo, dinettes sous la treille avec des histoires inventées par l’une et par l’autre, parties de jeux de cartes, lectures des feuilletons de « Nous deux ».

Et puis Giovanni sortait de la grange, le sourire aux lèvres. Il partait préparer les remorques. Gabrielle rameutait les troupes :
— Les filles, arrêtez de jouer, on va travailler.
Mais c’était toujours du plaisir pour Zabou. Peut-être pas pour Fantine, Joe et Manou, mais pour Zabou c’était ça les vacances.

Et puis quand la soirée approchait, il y avait le grand plaisir de Zabou qu’elle ne voulait rater pour rien au monde. C’était toujours un drame quand ses parents l’appelaient et que ce plaisir-là lui était refusé.
Zabou adorait rentrer les vaches. Avec Fantine, elles partaient en courant dans le pré avec un bâton. Gabrielle criait :
— Bé bé bé
Les vaches levaient la tête alors qu’elles ruminaient tranquillement, certaines couchées, se levaient lourdement et se mettaient en route vers la grange.
Giovanni avait enfilé sa blouse bleue, celle qu’il mettait pour la traite. Les animaux avançaient tranquillement et s’installaient à leur place. C’est Gabrielle qui les attachaient. Zabou était impressionnée et n’arrivaient pas à croire qu’elles connaissaient leur emplacement par cœur. Une ardoise avec leur nom était suspendue devant leur crèche. Il arrivait qu’une vache fasse la maligne et décide de rester avec sa copine, mais Giovanni élevait la voix et tout rentrait dans l’ordre facilement. Il les aimait ses bêtes. Quand il s’asseyait sur son tabouret et qu’il attrapait leur pis, elles se laissaient faire. Le lait coulait alors abondamment et Zabou se rappelle encore le bruit qu’il faisait quand il giclait dans le seau.  
C’était aussi le moment d’aller ramasser les œufs. Grimpées en haut des bottes de foin, Zabou et Fantine partaient à leurs recherches. Puis, elles allaient « panser » les lapins, couper les courgettes pour les cochons, rentrer les poules, arroser les fleurs.  Zabou n’était pas beaucoup chez elle, Gabrielle disait d’elle qu’elle était sa quatrième fille.

Le week-end, Joe étant l’aînée, elle allait au bal. Giovanni s’habillait alors pour l’accompagner en voiture. Zabou se souvient encore de cette 4L violette dans laquelle elle aimait bien grimper avec Fantine. Toutes les deux à l’arrière, elles ne cessaient de jacasser et de rigoler. Mais pour le bal, c’était juste Giovanni et sa fille. Zabou se souvient encore de son parfum quand il était s’était préparé. Ses yeux brillaient, et il lui arrivait d’allumer une cigarette. Elle n’avait pas beaucoup l’occasion de le voir ainsi vêtu. Aussi quand elle le voyait, elle ne pouvait s’empêcher de le trouver « chic ».  Alors il riait.

La fête du village était très attendue par Zabou et Fantine. Elle sonnait aussi la fin des vacances. Il était difficile pour Zabou d’être complètement heureuse. Souvent après cette fête, c’était le départ. Mais qu’est-ce qu’elles passaient de bons moments à cette fête. Pourtant, au fil des années, Zabou se sentait un peu abandonnée par Fantine qui retrouvait ses amies de toute l’année. Zabou devenait alors « celle qui vient de la ville ».

Les années ont passé. Les étés se sont succédés. La vie s’est déroulée… Zabou et Fantine se sont un peu éloignées, puis retrouvées… Le lien ne s’est jamais coupé.

Giovanni s’est endormi pour toujours. Il ne dira plus à Zabou « Ah voilà ma nièce » …

Zabou s’est blottie dans les bras de Gabrielle. Puis dans ceux de Joe, de Manou, et enfin dans ceux de Fantine.
Gabrielle lui a dit de ne pas pleurer. Gabrielle lui a dit de revenir quand elle voulait. Gabrielle lui a répété qu’elle était sa quatrième fille. Fantine l’a embrassée.
Zabou a dû partir, à regret. Elle s’est revue quand elle voulait absolument rentrer les vaches et quand ses parents l’appelaient, elle a ressenti les mêmes parfums de son enfance, Joe l’a accompagnée jusqu’à sa voiture…
Un dernier regard sur les près qui s’étendent au loin mais sans tomates ni tabac, un autre sur la grange qui n’est plus « grange » depuis longtemps, et Zabou est partie.



Minibulle 01/09/2018

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