Ah
décembre ! J’aime ce mois avec toutes ces préparations de fêtes. Bon d’accord,
je ne suis plus une gamine, mais je crois encore à la magie de Noël et qui
sait, je me laisserais bien dire que le vieux monsieur habillé de rouge à la
barbe blanche existe bel et bien.
Archibald
est mon ami depuis toujours. Je crois que je n’imagine même pas qu’il ne pourrait
pas être là. Son prénom ? Il vient du fait que sa maman adorait Candie et son
amoureux, Archibald. À quoi ça tient un prénom parfois, pas vrai ? C’est le
boulanger du village. Et je dis bien, le boulanger. Il refuse tout net de faire
des viennoiseries. Vous ne trouverez pas chez lui des croissants et pains au
chocolat ou chocolatines. D’ailleurs, parlez-lui de cette guéguerre entre Parisiens
et gens du sud, il se met dans une colère noire. Du coup, il n’en fait pas.
Point barre.
Nous
sommes dans un petit village qui a la chance d’avoir son école, son café « Chez
Clovis » son église et son curé, et nous avons notre boulanger. D’ailleurs, il
a dû commencer son calendrier de l’Aven. Chaque année, il s’essaye à de
nouvelles de recettes de pains et croyez-moi il a un succès fou, comme dit la
chanson de Christophe. En plus, il est beau gosse, et les touristes féminines l’été
dévalisent sa boulangerie. Je suis certaine qu’elles grignotent toute la
journée, elle n’arrête pas d’en consommer. Elles ne doivent pas avoir de problèmes
de poids, et n’ont jamais entendu dire que le pain faisait grossir. Lui, il en rigole,
et il m’énerve quand il me dit que je suis jalouse. « Ne touchez pas à mon
Archi ! il n’est rien qu’à moi ! ». Pas marié, pas de petite copine, il n’a
que sa boulangerie comme les marins ont la mer et les motards leurs engins.
— Salut,
Archibald !
La
clochette tinte et mon ami arrive, le tablier blanc autour de sa taille. Il a
encore oublié de se raser.
— Je
venais voir ton calendrier de l’Aven, tu l’as commencé ?
—
Salut MarieSophe ! Tu es en retard ma belle, je n’ai plus de rien…
Il
me fait un clin d’œil et me fait signe de le suivre dans son atelier. J’adore cette
odeur de pain chaud qui flotte toujours chez lui. D’ailleurs quand je l’embrasse,
sa barbe en est imprégnée de ce parfum de brioche. Oui, parce que son pain, c’est
aussi ça. Il fond dans sa bouche comme une brioche.
—
Alors ce calendrier ?
—
Regarde, il est en vitrine. Chaque jour un nouveau pain. La fenêtre est
ouverte, demain nouvelle découverte et non, je ne te dirais pas ce que c’est.
Gourmande !
La
clochette tinte à nouveau.
—
Il me semblait bien t’avoir vue entrer.
Voilà
mon autre amie. Mélusine. Elle aussi, je la connais depuis des lustres. Elle
tient la mercerie sur la place à côté de l’église en face de la boulangerie.
Oui, c’est un tout petit village et tout le monde s’apprécie, se côtoie. Ce n’est
pas étonnant qu’elle m’ait aperçue entrer chez Archibald. Tous les trois, nous
sommes liés à la vie à la mort. Quand l’un va mal, les autres le savent
aussitôt. C’est ça l’amitié. Heureusement qu’ils étaient là à des moments
précis de ma vie. Voilà que je radote comme les vieux.
Mélusine
a des doigts de fée. Dans sa petite boutique qui ressemble à une maison de
poupée et qui sent bon la vanille, elle a des tissus multicolores qui
rivalisent avec des boutons de toutes sortes. Elle va chercher ses trésors à la
capitale comme elle dit. Entendez par là, Internet. Ah ça Mélusine, elle est
bien de son époque. Elle vit à l’heure des réseaux sociaux, elle publie tout ce
qu’elle fabrique, confectionne, et tout ce qu’elle aurait envie de faire et demande
les avis à ses followers. Elle est la reine du hashtag. Moi, à côté, je suis la
novice. J’ai l’impression d’avoir un métro voire deux de retard. Lorsque je viens
de découvrir un truc que je trouve superbe, fantastique, elle me dit « Ah oui,
mais ça fait longtemps que ça existe ça ! » Okay, MarieSophe rengaine tes
idées, t’es nulle. Je l’adore, elle est toujours là quand j’ai besoin d’elle et
c’est pareil dans l’autre sens. Archibald l’aime beaucoup aussi, mais son côté
très réseau l’indispose au plus haut point. Tous les deux sont totalement
opposés à ce sujet. Lui, il est dans son pétrin (je le fais râler quand je dis
ça, vu que ça ne veut rien dire, son pétrin, c’est son grand récipient qui
brasse sa pâte, il n’est pas dedans !) D’ailleurs, il a quand même accepté de se
le procurer. Au début, il faisait tout à la main, mais la demande étant trop
importante, il n’y arrivait plus. Il avait de jolis bras musclés du coup, mais
il a sacrifié sa sacro-sainte idée de rester « comme avant » comme son
grand-père. Oui ça coûte cher, mais heureusement qu’il a un bon comptable qui l’aide
et le conseille. Sinon, il serait encore avec son papier et son crayon. Tout le
contraire de Mélusine je vous dis !
—
Tu fais quoi pour les fêtes MarieSophe ?
—
Pas grand-chose !
—
Comment ça, pas grand-chose ? rugit Mélusine.
—
Tu n’as pas ton frère et ta sœur qui viennent ?
— Je
n’en sais rien.
Je
me tais. Mes deux amis me regardent, interrogateurs. Mélusine reprend :
—
Noël c’est familial non ?
—
Oui, mais apparemment, les sens diffèrent suivant les personnes. Bon, on a
encore le temps d’y penser, je vous abandonne, je vais passer voir Charles.
—
C’est ça, défile-toi encore une fois !
Je
leur fais un signe de la main, la clochette tinte à nouveau signalant mon
départ.
—
Bonjour !
Je
me cogne contre mon voisin d’en face, vous savez le beau gosse. Ce n’était vraiment
pas le moment. J’ai les yeux humides, par la faute de mes amis qui m’ont posé
des questions qui m’agacent et qui m’égratignent le cœur à chaque fois.
—
Pardon, je vous ai fait peur ?
—
Non, non.
Quelle
idiote, je me prends pour Camélia Jordana avec sa chanson « Non non non je ne
veux pas prendre l’air… »
Il
sourit. J’ai l’air malin.
—
Je vous raccompagne ?
Il
insiste. Il ne peut pas me foutre la paix, j’ai pas envie là. Je me sens moche,
j’ai les cheveux pas coiffés. En plus, je suis allée voir Archi comme j’étais,
en jeans et mon vieux pull, bravo ! Il est étonnant que Mélusine ne m’en ait
pas fait la réflexion. « Jamais sans son maquillage, on ne sait jamais » tu parles
que je vais rencontrer Tom Cruise ou Bradley Cooper devant ma porte. Mélusine
me dirait encore, « un peu rétro pour toi, non ? » Désolée, je ne connais pas
trop les people.
—
Savez-vous que vous avez de jolis yeux ?
Je
suis stupéfaite. Il se prend pour Jean Gabin ? Je n’ai rien d’une Michèle
Morgan.
Il
ne me reste qu’une seule chose à faire : la fuite.
©
Minibulle 3 décembre 2019
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