J’en
ai marre, je suis fatiguée, je prends le large. Mes congés sont posés. J’ai bouclé
un sac de voyage.
À
5 heures du matin quand tout le monde dormait encore dans le quartier et
qu’aucune lumière ne filtrait chez Charles, j’ai démarré la voiture et je suis partie,
sans rien dire à personne.
C’est
bien pratique internet quand on peut choisir une destination en France,
évidemment ! De toute façon, je ne voulais pas prendre l’avion ni le train,
trop compliqué en ce moment. J’ai opté pour un endroit mi-campagne, mi-mer. Et
voilà, comme dirait Sardou Je ne m’enfuis pas, je vole ! C’est ça, je
vole. Je laisse derrière moi, mes emmerdes, mes soucis, mes questions. Du
moins, je l’espère. Je ne veux plus penser à Gabriel, Archibald et Mélusine. Le
seul serrement au cœur que j’ai ressenti, c’est en passant devant le portail de
Charles. Lui, il va certainement s’inquiéter. Heureusement, j’ai songé à ne pas
fermer complètement mes volets, il croira que je suis quand même là. J’espère
qu’il ne se fera pas d'idées noires et qu’il n’ameutera pas toute la smala.
J’ai
au moins deux heures de route, voire trois, parce que je ne roule pas trop
vite, je respecte les limitations de vitesse. Mélusine me répète que je conduis
mémère. Tant pis ! Je préfère arriver entière à destination que pas du tout.
J’ouvre
ma vitre, et je respire. Le soleil se lève, il ne fait pas encore chaud, et les
parfums qui se dégagent de la nature environnante me grisent. J’adore sentir,
le foin coupé, les herbes tondues, les champs moissonnés. La route se déroule
devant moi et je suis bien. Une boulangerie dans un petit village est déjà
ouverte. Je m’arrête et achète deux viennoiseries.
— Vous
êtes bien matinale. Vous êtes ma première cliente, je vous en offre une autre.
Choisissez.
J’ai
faim, je suis gourmande. Je jette mon dévolu sur un pain aux raisins. Si je
mange tout ça, je vais pouvoir courir sur la plage. Mais je m’en moque, j’ai
envie de me faire plaisir.
Il
est bien gentil ce boulanger. Il ne faut pas que je pense à Archibald, non ! Il
doit être à l’œuvre, lui aussi.
Un
sourire, je remonte dans la voiture.
Je
fais le choix de prendre l’autoroute, j’arriverais plus vite à destination. Je
repère une aire sympa, pas encore envahie par les vacanciers comme moi et je me
gare. J’ai emporté un thermos de café. Je vais pouvoir petit-déjeuner
tranquillement, sur une table de pique-nique.
Je
n’ai que les oiseaux comme seule compagnie. Ils s’approchent téméraires et
quémandent des miettes que je leur donne avec plaisir. Il fait bon.
Mon
portable sonne. Mince, j’ai oublié de le couper. Je sens que je vais avoir du
mal à ne pas regarder qui c’est. Pourvu qu’il ne soit rien arrivé à Charles.
Voilà que mon imagination se met en branle et alors que mon téléphone chante à
nouveau
,
je pense que ça doit être urgent. Il est dans mon sac. Le temps que je l’attrape,
la sonnerie s’éteint. Je le coupe sans regarder qui m’a appelée.
Mais,
je me sens moins sereine tout à coup. Qu’est-ce qu’il m’a pris de partir comme
ça toute seule ?
Ah
non, MarieSophe, tu ne vas pas commencer à te mettre martel en tête. Allez,
remonte dans ta voiture et file vers ta destination.
Quelle
nulle ! Je n’ai pas pensé à vérifier l'essence et le voyant clignote. Je vais
devoir à nouveau m’arrêter. Le problème… c’est que je n’ai jamais fait le plein
toute seule. C’est toujours Archibald qui s’en est occupé. Je sais quand même
où se trouve le réservoir et ce qu’il faut y mettre dedans, mais je ne me suis
jamais servi du pistolet. Je vais faire comme si.
Une
voiture est en place. Je me gare à la pompe suivante. Heureusement, je suis du
bon côté. Je ne me voyais pas du tout tirer comme un âne le tuyau. Mine de
rien, je zieute mon voisin qui, très à l’aise, laisse son plein se faire tout
seul. Il regarde son téléphone. J’entends le clac , signe que le
liquide ne coule plus.
J’ouvre
mon réservoir, enfin j’essaye. Il y a un sens à ce foutu bouchon, et voilà
pourquoi Archibald, s’en occupe à ma place. Il est difficile à débloquer. Je
peste. Quelle quiche !
— Je
peux vous aider ?
Je
sursaute, lève la tête et rencontre deux yeux rieurs qui me scrutent.
— Donnez,
je vais le faire. Je fais le plein, plein ?
Je
réponds oui en pensant que je n’aurais certainement pas à le refaire, ma titine
ne consommant pas beaucoup.
À
nouveau, il enclenche le pistolet et se remet sur son téléphone. Clac.
Il jette un œil sur le compteur et s’arrange pour que le total soit sans un
centime. Il est top ce bonhomme !
— Voilà,
vous êtes tranquille. Il vous reste à payer.
— Merci.
— Bonne
route.
Il
repasse de l’autre côté, monte dans sa voiture et se dirige vers le magasin.
Je
fais de même, contente finalement d’avoir trouvé cet homme sur mon chemin.
Je
le retrouve dans les allées de la boutique. Il flâne devant le comptoir du
salon de thé. Je le vois choisir un croissant. Il demande un café.
— Madame,
c’est quelle pompe ?
— Celle
à essence.
La
caissière sourit.
— Je
voulais dire, quel numéro ?
Mince,
je devais regarder ça aussi ?
— La
3.
Mon
sauveur est derrière moi. Il tient d’une main son gobelet et de l’autre sa
viennoiserie emballée
Je
paye et sors, rouge de honte.
Il
me rattrape rapidement.
— Je
déteste déjeuner seul. Vous voulez quelque chose ?
— J’ai
ce qu’il faut dans ma voiture, merci.
— Nous
le partageons ensemble ?
Pourquoi
la chanson de Michel Fugain me vient immédiatement à l’esprit C’est un beau
roman, c’est une belle histoire , je souris malgré moi.
— Je
prends ça pour un oui. Suivez-moi il y a une table là-bas.
Si
on m’avait dit que j’allais boire un café avec un inconnu sur aire d’autoroute,
j’aurais renvoyé l’imbécile à ses pénates.
Je
saisis mon thermos. Heureusement, il me reste le pain aux raisins offert par le
boulanger.
— Vous
êtes en vacances ?
— Oui.
— Toute
seule ?
Mais
pourquoi faut-il aussitôt qu’il pose cette question ? J’allais rétorquer quand
il enchaîne :
— Moi,
je vais retrouver ma femme. Elle est prof, elle a plus de congés que moi. Mais
enfin, ça y est, je vais pouvoir profiter d’elle et de ma gamine. Elle a deux
ans.
T’es
nulle MarieSophe, tous les hommes ne pensent pas à draguer. Il avait juste
envie de prendre un café accompagné.
— Oui,
je vais retrouver mon copain.
— Bonne
route alors, j’ai encore pas mal de kilomètres à faire.
Il
me fait un signe de la main.
Il
me reste une dizaine de kilomètres à parcourir.
C’est
adorable. Les photos sur le site ne mentaient pas. Je suis dans une belle
chaumière, qui ressemble à celle des 7 nains de Blanche-Neige, grandeur
nature. J’ai une vue sur la mer, un jardin avec des fleurs partout, je suis
ravie.
Le
propriétaire m’accueille avec le sourire.
— J’espère
que vous aimez les animaux. Vous risquez d’être réveillée par le coq demain
matin et les cloches des mes vaches. Je vous présente Margot et Rosalie.
Elles
sont superbes ses bestioles. Toutes deux de couleur marron, elles sont énormes.
Elles mâchonnent leur herbe bien grasse en me regardant avec leurs yeux
bienveillants.
— Je
suis Morgan, vous savez celui sur la photo ?
J’ai
du mal à le reconnaître.
— J’ai
laissé pousser ma barbe. Pendant l’été, c’est plus pratique. Je n’ai pas
toujours le temps de me raser. Venez donc visiter mes abeilles. Vous goûterez mon
miel. Je vous en ai mis sur la table de la cuisine. Vous aurez aussi droit à
mes confitures maison.
Je
le suis, le sourire aux lèvres. Je me sens détendue. Je vais pouvoir passer de
belles vacances loin de tout.
Il
a quatre ruches et il y a de l’animation, je peux vous le dire. Je n’ai pas
envie qu'elles me piquent.
— Vous
ne risquez rien, tant que vous n’approchez pas davantage. Venez goûter ma
citronnade maison. J’imagine que vous avez soif avec cette chaleur qui commence
à grimper ? Mais, ne vous inquiétez pas, là où vous êtes, la température reste
fraîche.
Il
me fait visiter la chaumière comme je l’appelle et m’avoue qu’il est bien
content d’avoir de la compagnie près de chez lui.
— Si
vous avez besoin de quoique ce soit, n’hésitez pas, j’habite à côté. Je vous
laisse vous installer et rejoignez-moi pour le verre de bienvenue.
Pourquoi
a-t-il fallu que je rallume mon téléphone ? Intoxiquée, je suis, oui !
Il
sonne quand je l’ai dans la main. Il y a un message C’est bien le Pays
basque ?
Comment
diable Archibald a-t-il fait pour savoir où je suis ?
©
Minibulle 25/07/2020