Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

samedi 25 juillet 2020

Marie-Sophie prend le large



J’en ai marre, je suis fatiguée, je prends le large. Mes congés sont posés. J’ai bouclé un sac de voyage.
À 5 heures du matin quand tout le monde dormait encore dans le quartier et qu’aucune lumière ne filtrait chez Charles, j’ai démarré la voiture et je suis partie, sans rien dire à personne.

C’est bien pratique internet quand on peut choisir une destination en France, évidemment ! De toute façon, je ne voulais pas prendre l’avion ni le train, trop compliqué en ce moment. J’ai opté pour un endroit mi-campagne, mi-mer. Et voilà, comme dirait Sardou Je ne m’enfuis pas, je vole !  C’est ça, je vole. Je laisse derrière moi, mes emmerdes, mes soucis, mes questions. Du moins, je l’espère. Je ne veux plus penser à Gabriel, Archibald et Mélusine. Le seul serrement au cœur que j’ai ressenti, c’est en passant devant le portail de Charles. Lui, il va certainement s’inquiéter. Heureusement, j’ai songé à ne pas fermer complètement mes volets, il croira que je suis quand même là. J’espère qu’il ne se fera pas d'idées noires et qu’il n’ameutera pas toute la smala.

J’ai au moins deux heures de route, voire trois, parce que je ne roule pas trop vite, je respecte les limitations de vitesse. Mélusine me répète que je conduis mémère. Tant pis ! Je préfère arriver entière à destination que pas du tout.
J’ouvre ma vitre, et je respire. Le soleil se lève, il ne fait pas encore chaud, et les parfums qui se dégagent de la nature environnante me grisent. J’adore sentir, le foin coupé, les herbes tondues, les champs moissonnés. La route se déroule devant moi et je suis bien. Une boulangerie dans un petit village est déjà ouverte. Je m’arrête et achète deux viennoiseries.
— Vous êtes bien matinale. Vous êtes ma première cliente, je vous en offre une autre. Choisissez.
J’ai faim, je suis gourmande. Je jette mon dévolu sur un pain aux raisins. Si je mange tout ça, je vais pouvoir courir sur la plage. Mais je m’en moque, j’ai envie de me faire plaisir.
Il est bien gentil ce boulanger. Il ne faut pas que je pense à Archibald, non ! Il doit être à l’œuvre, lui aussi.
Un sourire, je remonte dans la voiture.

Je fais le choix de prendre l’autoroute, j’arriverais plus vite à destination. Je repère une aire sympa, pas encore envahie par les vacanciers comme moi et je me gare. J’ai emporté un thermos de café. Je vais pouvoir petit-déjeuner tranquillement, sur une table de pique-nique.
Je n’ai que les oiseaux comme seule compagnie. Ils s’approchent téméraires et quémandent des miettes que je leur donne avec plaisir. Il fait bon.
Mon portable sonne. Mince, j’ai oublié de le couper. Je sens que je vais avoir du mal à ne pas regarder qui c’est. Pourvu qu’il ne soit rien arrivé à Charles. Voilà que mon imagination se met en branle et alors que mon téléphone chante à nouveau
, je pense que ça doit être urgent. Il est dans mon sac. Le temps que je l’attrape, la sonnerie s’éteint. Je le coupe sans regarder qui m’a appelée.
Mais, je me sens moins sereine tout à coup. Qu’est-ce qu’il m’a pris de partir comme ça toute seule ?
Ah non, MarieSophe, tu ne vas pas commencer à te mettre martel en tête. Allez, remonte dans ta voiture et file vers ta destination.

Quelle nulle ! Je n’ai pas pensé à vérifier l'essence et le voyant clignote. Je vais devoir à nouveau m’arrêter. Le problème… c’est que je n’ai jamais fait le plein toute seule. C’est toujours Archibald qui s’en est occupé. Je sais quand même où se trouve le réservoir et ce qu’il faut y mettre dedans, mais je ne me suis jamais servi du pistolet. Je vais faire comme si.
Une voiture est en place. Je me gare à la pompe suivante. Heureusement, je suis du bon côté. Je ne me voyais pas du tout tirer comme un âne le tuyau. Mine de rien, je zieute mon voisin qui, très à l’aise, laisse son plein se faire tout seul. Il regarde son téléphone. J’entends le  clac , signe que le liquide ne coule plus.
J’ouvre mon réservoir, enfin j’essaye. Il y a un sens à ce foutu bouchon, et voilà pourquoi Archibald, s’en occupe à ma place. Il est difficile à débloquer. Je peste. Quelle quiche !
— Je peux vous aider ?
Je sursaute, lève la tête et rencontre deux yeux rieurs qui me scrutent.
— Donnez, je vais le faire. Je fais le plein, plein ?
Je réponds oui en pensant que je n’aurais certainement pas à le refaire, ma titine ne consommant pas beaucoup.
À nouveau, il enclenche le pistolet et se remet sur son téléphone. Clac. Il jette un œil sur le compteur et s’arrange pour que le total soit sans un centime. Il est top ce bonhomme !
— Voilà, vous êtes tranquille. Il vous reste à payer.
— Merci.
— Bonne route.
Il repasse de l’autre côté, monte dans sa voiture et se dirige vers le magasin.
Je fais de même, contente finalement d’avoir trouvé cet homme sur mon chemin.
Je le retrouve dans les allées de la boutique. Il flâne devant le comptoir du salon de thé. Je le vois choisir un croissant. Il demande un café.
— Madame, c’est quelle pompe ?
— Celle à essence.
La caissière sourit.
— Je voulais dire, quel numéro ?
Mince, je devais regarder ça aussi ?
— La 3.
Mon sauveur est derrière moi. Il tient d’une main son gobelet et de l’autre sa viennoiserie emballée
Je paye et sors, rouge de honte.
Il me rattrape rapidement.
— Je déteste déjeuner seul. Vous voulez quelque chose ?
— J’ai ce qu’il faut dans ma voiture, merci.
— Nous le partageons ensemble ?
Pourquoi la chanson de Michel Fugain me vient immédiatement à l’esprit C’est un beau roman, c’est une belle histoire , je souris malgré moi.
— Je prends ça pour un oui. Suivez-moi il y a une table là-bas.
Si on m’avait dit que j’allais boire un café avec un inconnu sur aire d’autoroute, j’aurais renvoyé l’imbécile à ses pénates.
Je saisis mon thermos. Heureusement, il me reste le pain aux raisins offert par le boulanger.
— Vous êtes en vacances ?
— Oui.
— Toute seule ?
Mais pourquoi faut-il aussitôt qu’il pose cette question ? J’allais rétorquer quand il enchaîne :
— Moi, je vais retrouver ma femme. Elle est prof, elle a plus de congés que moi. Mais enfin, ça y est, je vais pouvoir profiter d’elle et de ma gamine. Elle a deux ans.
T’es nulle MarieSophe, tous les hommes ne pensent pas à draguer. Il avait juste envie de prendre un café accompagné.
— Oui, je vais retrouver mon copain.
— Bonne route alors, j’ai encore pas mal de kilomètres à faire.
Il me fait un signe de la main.
Il me reste une dizaine de kilomètres à parcourir.

C’est adorable. Les photos sur le site ne mentaient pas. Je suis dans une belle chaumière, qui ressemble à celle des 7 nains de Blanche-Neige, grandeur nature. J’ai une vue sur la mer, un jardin avec des fleurs partout, je suis ravie.
Le propriétaire m’accueille avec le sourire.
— J’espère que vous aimez les animaux. Vous risquez d’être réveillée par le coq demain matin et les cloches des mes vaches. Je vous présente Margot et Rosalie.
Elles sont superbes ses bestioles. Toutes deux de couleur marron, elles sont énormes. Elles mâchonnent leur herbe bien grasse en me regardant avec leurs yeux bienveillants.
— Je suis Morgan, vous savez celui sur la photo ?
J’ai du mal à le reconnaître.
— J’ai laissé pousser ma barbe. Pendant l’été, c’est plus pratique. Je n’ai pas toujours le temps de me raser. Venez donc visiter mes abeilles. Vous goûterez mon miel. Je vous en ai mis sur la table de la cuisine. Vous aurez aussi droit à mes confitures maison.
Je le suis, le sourire aux lèvres. Je me sens détendue. Je vais pouvoir passer de belles vacances loin de tout.
Il a quatre ruches et il y a de l’animation, je peux vous le dire. Je n’ai pas envie qu'elles me piquent.
— Vous ne risquez rien, tant que vous n’approchez pas davantage. Venez goûter ma citronnade maison. J’imagine que vous avez soif avec cette chaleur qui commence à grimper ? Mais, ne vous inquiétez pas, là où vous êtes, la température reste fraîche.
Il me fait visiter la chaumière comme je l’appelle et m’avoue qu’il est bien content d’avoir de la compagnie près de chez lui.
— Si vous avez besoin de quoique ce soit, n’hésitez pas, j’habite à côté. Je vous laisse vous installer et rejoignez-moi pour le verre de bienvenue.
Pourquoi a-t-il fallu que je rallume mon téléphone ? Intoxiquée, je suis, oui !
Il sonne quand je l’ai dans la main. Il y a un message C’est bien le Pays basque ?
Comment diable Archibald a-t-il fait pour savoir où je suis ?

© Minibulle 25/07/2020



samedi 11 juillet 2020

Marie-Sophie, ça se complique !


Marie-Sophie vient de se rendre compte que son meilleur ami Archibald est amoureux d’elle. Elle saute par la fenêtre de l’arrière-boutique de Mélusine, et se trouve nez à nez avec Gabriel sa baguette à la main.

Nous nous regardons aussi surpris l’un que l’autre. Je suis plus rapide que lui, il n’a pas le temps de placer un mot et une fois de plus je m’enfuis.
Je cours à perdre haleine et arrive en sueur chez moi. Charles en laisse tomber sa clé à molette. Fou de bricolage, il a toujours un outil à la main. Je me plie en deux devant chez lui afin de reprendre mon souffle. Je ne suis vraiment pas faite pour la course à pied. Je réalise qu’il va falloir que je rentre fissa dans ma maison au risque de voir débarquer derrière moi Gabriel. Je sursaute quand j’entends :
— Ce n’était pas la peine de t’enfuir aussi vite, nous habitons en face l’un de l’autre, je savais parfaitement où te retrouver.
Charles plonge la tête dans le capot de sa voiture. Il ne va m’être d’aucun secours. Je n’ai toujours pas repris mon souffle, et la sueur dégouline de mon front. Je dois être cramoisie, mes lunettes glissent sur le nez, les larmes m’aveuglent, je suis pathétique et en plus, affreuse, c’est certain.
J’essaie de récupérer le peu de dignité qu’il me reste. Je me redresse, tente de respirer normalement et sans un mot me dirige vers mon chez moi. Gabriel me barre la route.
— Non, tu ne vas pas t’enfuir encore une fois. Tu peux m’expliquer ce qu’il t’est passé par la tête pour enjamber la fenêtre de ta copine ? Tu aurais pu te faire mal en sautant.
Qu’il est agaçant ! Il n’est pas médecin pour rien. Je ne vais pas pouvoir bouger le petit doigt sans qu’il imagine que je vais me fracasser. Je ne suis pas si maladroite quand même !
— Regarde ton genou !
Je baisse la tête. Il saigne.
— Une vraie gamine ! Tu as passé l’âge tu ne crois pas ?
Charles fait un bruit d’enfer avec sa boîte à outils, je ne sais pas ce qu’il cherche, mais il farfouille dedans et ça s’entrechoque drôlement son bazar.
C’est à ce moment-là que je me rends compte que je ne supporte pas du tout la vue du sang et que je vais faire un malaise, c’est sûr ! il ne faut surtout pas que Gabriel s’en aperçoive sinon je vais partir aux urgences avec gyrophare et tout le tutti.

— Ah tu es là !
Il ne manquait plus que lui. Archibald ! Il a abandonné sa boulangerie, il doit vraiment être inquiet.
 Mélusine le suit. Ils ne peuvent pas me foutre la paix.
— Mais tu t’es fait mal ?
Oh non ! ça recommence. C’est chouette les amis, mais il y a des moments où je les trouve un peu lourds.
— Je m’en occupe !
Évidemment, Gabriel a la part belle. C’est son boulot de soigner les gens. Et moi j’ai perdu ma langue. En fait, je serre les dents pour ne pas m’évanouir. Je ne dois absolument pas baisser la tête pour voir mon genou.
J’essaie de capter le regard de Mélusine. Entre filles, nous devrions nous comprendre. Elle prend aussitôt les choses en main. Elle bouscule Gabriel, saisit mon bras et m’entraîne chez moi. Je lui tends ma clé. Les deux garçons restent dans la rue.

— Merci Mél !
— Pourquoi t’es-tu sauvée ?
Tout en parlant, elle me nettoie le genou et m’affirme qu’il n’y a plus de sang, que c’est juste une égratignure.
— J’ai entendu ce qu’a dit Archibald.
— Si tu n’avais pas sauté par la fenêtre, tu aurais compris que je lui ai passé un savon. Archibald n’est pas amoureux de toi, il est un peu trop protecteur. Il me fait le même coup quand il se rend compte que j’ai un copain. Il est comme un grand frère pour nous.
— Tu parles du gendarme ?
— Non, lui, il ne le connaît pas. Avant…
— Tu as eu des copains toi ? Et je n’étais pas au courant ?
— Tu es toujours dans ta bulle MarieSophe, mais je t’aime comme ça. De toute façon, ça n’a jamais duré.
— C’est peut-être pour ça qu’Archibald t’a fait la leçon.
— Je te vois venir toi ! Tu imagines qu’il pense que Gabriel n’est pas fait pour toi ?
— Tout de suite les grands mots « fait pour moi ». Est-ce que quelqu’un est vraiment fait pour quelqu’un d’autre ?
— J’aime bien l’idée. Trouver sa moitié, c’est une belle image.
— Ouais ! Bof !
Je m’approche de la fenêtre pour constater que les garçons ont disparu.
— Ils sont partis.
— Et alors ? MarieSophe, que ressens-tu pour Gabriel ? Il est sympathique et il en pince pour toi.
— Je n’en sais rien, jamais personne ne s’est intéressé à moi, pourquoi ça commencerait aujourd’hui ?
— Et nous ? On ne compte pas ?
— Ce n’est pas pareil !
— Et Charles ? Il est toujours aux petits soins pour toi.
Mélusine me contemple.
— Enlève-moi ces nattes, tu as passé l’âge.
— Non, elles font partie de moi.

J’entends du bruit, les garçons arrivent… Enfin, seul Archibald est là. Il me regarde et me sourit.
— Tu te rappelles quand tu avais des pansements partout quand nous étions gamins ? Tu n’as pas changé. Toujours aussi maladroite. Allez viens.
Il me tend les bras et je m’y blottis. Je me sens bien. Je ne veux pas le perdre. Mélusine soupire.
— Je vous laisse, j’ai fermé la boutique à cause de vous. Il faut que je gagne ma vie moi, je n’ai pas comme toi Archi, quelqu’un qui peut faire le boulot à ma place.
Elle m’embrasse et s’en va nous abandonnant tous les deux.
— Tu peux repartir servir tes clients, tu sais. Je n’ai rien de grave.
— Ce soir, on se regarde quoi sur Netflix ? Tu fais ton choix ? J’apporte tout. Tu ne t’occupes de rien.
Et voilà, c’est tout Archibald. Je suis certaine que nous allons passer un bon moment. Je ne veux pas penser à Gabriel, c’est trop compliqué.
— À tout à l’heure.
Il me quitte en sifflotant.

Je regarde la maison d’en face. Rien ne bouge. Charles est toujours en train de bricoler dans son moteur. Je vais le retrouver.
— Tiens, voilà la grande blessée !
Ses yeux rient.
— Oh ! ça va ! Tu es tout seul ?
— Comme tu vois.
Il continue de bidouiller la tête dans le capot. Le silence s’éternise.
— Tu vas la poser ta question ?
— Pardon ?
Il est toujours penché sur son moteur et je ne comprends pas ce qu’il veut dire.
— C’est ça fais ton imbécile !
Je ne réponds pas. Il se relève enfin.
— Tu n’as pas envie de savoir où est Gabriel ?
— Pas du tout.
Il rit.
— Alors pourquoi es-tu là ?
— Je n’ai pas le droit de prendre de tes nouvelles et de voir si tout va bien ?  
— Ben voyons. Arrête MarieSophe. Il est reparti travailler. Il a été appelé.
— Ah…

Une voiture stoppe devant nous. Une jolie brune baisse sa vitre. J’ai le temps d’apercevoir qu’elle a un petit chien dans un panier sur la banquette arrière ainsi qu’un bébé qui dort dans son siège auto. Charles, très aimable, s’essuie les mains et s’approche.
— Excusez-moi, je cherche la maison de Gabriel. Il m’a dit que je pouvais m’installer chez lui quelques jours. Vous êtes Charles ? Il m’a beaucoup parlé de vous. Il savait que j’allais sans doute tomber sur vous en arrivant ici.
Son accent est chantant, sa voix est légèrement cassée, elle a le teint mat, les yeux verts en amande. Je capte tout ça en quelques secondes alors que Charles lui indique où l’entrée. Elle a le bip pour ouvrir le portail. Elle le remercie en souriant et entre chez Gabriel.
Charles se tourne vers moi.
— Moi je vais bien et toi ?

© Minibulle 11 juillet 2020