C’est
l’histoire d’un masque…
Je
suis le loup et je laisse filtrer un regard charbonneux. Des lèvres joliment
mises en valeur, sourient ou minaudent. Orné de dentelles, je suis celui qui
faisait chavirer les cœurs des hommes qui cherchaient leurs belles… autrefois. Combien
de nouvelles amours sont nées grâce à moi.
Je
suis de Venise et je cache tout le visage. Je rivalise avec les robes et les
costumes assortis. Souvent, je suis accompagné d’un éventail. Les rires et le
bonheur me suivent.
Aujourd’hui
je suis celui qui protège. Mais je voile aussi les sourires et seuls les yeux
parlent. Je ne suis pas toujours joli. Blanc et bleu la plupart du temps.
À cause de moi, ceux qui n’entendent pas et
lisent sur les lèvres pour comprendre se trouvent encore plus abandonnés.
Grâce
à moi, les gens peuvent sortir de chez eux, mais je sens bien que je les gêne.
Je leur tiens chaud, et occasionne de la buée sur les verres de lunettes. Affublé
d’un élastique, je tire les oreilles. Je suis épais, doté d’une norme
obligatoire pour empêcher un virus de passer. Je dois être changé toutes les 4 heures
et lavé régulièrement à 60°… ou abandonné suivant si je suis en tissus ou jetable.
Jamais,
les gens n’avaient eu autant besoin de moi, si bien que j’ai dû me réinventer.
Des couturières, des personnes qui n’avaient jamais tenu une aiguille de leur
vie se sont mises aussi à me fabriquer lorsqu’il n’y en avait plus assez. Quel
succès ! Je pourrais en tirer une gloire. Loin de moi cette idée, parce que
même si des stylistes décident de me faire encore plus joli, mon rôle reste le
même, protéger. Je n’ai pas envie d’être une pièce de collection.
Je
suis un masque, et je deviens le masque. Non, pas un titre de film ou Jim
Carrey tient la vedette. Même si je suis en haut de l’affiche, je n’en tire
aucune victoire. Je préférerais de loin, rester dans mes placards d’hôpitaux et
servir dans les blocs opératoires là où se trouve ma vocation. Celle-là, j’en suis
fier. Mon rôle de protection, n’a pas changé. Il y a juste que… je ne suis pas
fait pour déambuler dans les rues. D’ailleurs, tout le monde me regarde de travers
quand c’est moi qui ne le suis pas… de travers.
Certains
me snobent, m’oublient, m’abandonnent sur un coin de table. Comment faire pour
leur faire signe et leur rappeler que, même si je ne suis pas beau, même si je
les gêne, je fais barrage ?
Quand
je pense qu’à l’époque du carnaval, les gens adorent se déguiser avec… un
masque.
Hélas,
ce n’est pas de déguisement dont il s’agit ici, mais d’une barrière. Ne l’oubliez
pas, je n’avais rien demandé et croyez-moi, je suis bien mieux et à ma place avec
ceux qui se servent de moi tous les jours. Je tiens mon rôle et ils m’en
remercient quotidiennement. Tellement bien que lorsque j’ai disparu de leurs
placards, ils se sont sentis si démunis que leurs cris d’appels à l’aide m’ont
déchiré le cœur…
©
Minibulle 14/05/2020