Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

samedi 28 mars 2020

Bavardages dans le jardin



Rita et Phil le couple de mésanges habitué de la cabane dans le jardin de Jean et Minouche, est revenu. Quand l’un est à la recherche de brindilles et de plumes, l’autre zinzinule pour prévenir si tout est calme et qu’il n’y a pas de danger. Tous les deux posés sur une branche, ils discutent et se s’interrogent parce qu’ils se rendent bien compte que ce n’est pas comme d’habitude.
— Rita, c’est bizarre quand même, regarde il n’y a pas une voiture sur la route.
— Demande à Alfred, il doit savoir lui !

Alfred c’est le chien de Jean.
— Oui Rita, il se passe des trucs inhabituels. Mon maître, qui fait toujours du vélo, ne sort plus. Il en fait dans son garage sur une drôle de machine et je n’ai pas le droit de l’approcher, il dit que c’est dangereux si je me prends les pattes dans ses roues. Il a même mis un carton devant la porte pour bien me faire comprendre que je ne dois pas aller l’ennuyer. Tu parles, je pourrais sauter au-dessus si je le voulais, mais je respecte son ordre. 

Marquise la chatte du voisin, curieuse comme ce n’est pas permis, s’est installée sur le mur et écoute la conversation. Elle ne peut pas s’empêcher d’y ajouter son grain de sel.
— C’est rudement bien, je trouve ! Plus de voitures, et je ne risque plus de me faire écrabouiller par des fous qui accélèrent quand j’ai le malheur de traverser la route.
— Mais c’est pour ça que je respire mieux alors ?
— Ben c’est sûr, plus de fumée qui s’échappe des camions, des bus, des machins qui roulent à toute berzingue. Ma fourrure est toute soyeuse.
Marquise est une chatte blanche qui se la joue diva.

— N’empêche, il doit se passer un truc grave, car mon maître reste souvent planté devant la télé à écouter. D’habitude, il n’a pas cette tête. Là, je le trouve bien soucieux.
— Oui, et vous savez quoi ? reprend Marquise. Il faut que je fasse attention à ne pas manger trop vite mes croquettes. J’ai entendu que ce n’était pas facile pour sortir en acheter. Du coup, je suis moins gourmande. Ma maîtresse est revenue chercher un papier obligatoire pour aller au magasin. Elle me répète que je ne dois pas l’abandonner, elle n’a plus que moi pour parler.
— En tout cas, pour nous, les oiseaux, le ciel est dégagé. Plus d’avions, plus de trainées blanches. Seuls les nuages nous font des coucous, et encore, il n’y en a pas trop en ce moment.

— Vous croyez qu’il y aura quand même des cerises ?
Voilà Gus le merle. Quel gourmand ! il s’en fiche lui, du moment que les beaux fruits rouges mûrissent comme chaque année.
— Tu sais, répond Phil, rien d’anormal pour ça. Les fleurs naissent de la même façon, les amis tourterelles continuent à roucouler, les coqs à chanter. Rita et moi avons trouvé facilement pour construire notre nid.
— La seule différence c’est que nous entendons davantage nos copains siffler.
— Moi qui surveille toujours devant le portail pour voir si quelqu’un arrive, je n’ai pas grand-chose à faire. Les enfants de Jean ne viennent plus. J’ai cru qu’ils étaient fâchés et j’ai imaginé que c’était à cause de moi, que j’avais peut-être fait une bêtise. Mais non, je les ai entendus parler avec un drôle de truc. J’ai passé la tête, j’en ai profité pour recevoir une caresse de ma maîtresse et j’ai reconnu leurs visages comme à la télé. Tu penses qu’ils vont se voir que sur un écran maintenant ? Ce n’est pas rigolo parce que pour jouer au ballon, ce n’est pas pratique. Mais ce que je préfère, c’est que Jean et Minouche ont bien le temps de s’occuper de moi. J’en ai encore plus qu’avant des caresses. Alors, je les regarde avec mes grands yeux d’amour et je fais le pitre pour les faire rire.
— Tu as de la chance, dit Marquise, j’en connais qui ont été abandonnés. Ils ont cru que c’était à cause de nous le truc qui les empêche de sortir.
— Un virus qu’ils disent.
— Mais nous on ne risque rien.
— Vous savez, Paulo, son maître l’a attrapé…
— Et alors ?
— Ben… Paulo est tout seul maintenant. Enfin, il a encore sa maîtresse, mais elle pleure tout le temps. Il n’a même pas pu lui dire au revoir. Il y a aussi Jojo, lui c’est le contraire, il a tous les gosses avec lui. Il y a des fois, il voudrait se cacher pour avoir la paix. Ils ne vont plus à l’école les enfants.


— Bon ce n’est pas tout ça, les amis, le mot d’ordre, c’est qu’il faut leur remonter le moral à tous. Ils nous aiment, à nous de leur montrer que nous aussi on peut les aider.
— Moi je chante.
— Moi je siffle et je m’égosille.
— Moi je ronronne.
— Moi je lèche.

On est là, nous !
— Vous croyez qu’ils vont changer leurs habitudes après ?
— Ça…

@Minibulle 28/03/2020


mercredi 25 mars 2020

A l'auberge de Jeannot


Texte écrit avec des phrases proposées en italique 

Pedro était de bonne humeur.
— J’ai décidé de chanter.
Le jeune homme entra dans l’auberge. Le patron le regarda et l’interpella :
— Non, tu ne vas pas chanter, tu vas faire pleuvoir.
La serveuse, Marie-Antoinette, leva la tête.
— Pourquoi qu’tu veux pas qu’il chante le Pedro ? Moi j’aime bien entendre sa voix.
Assis au fond de la salle, le détective se gratta le cou en grimaçant. S’il se mettait à pousser la chansonnette, il allait avoir du mal à se concentrer.
— Il a raison le Jeannot, j’ai du travail.
Marie-Antoinette, le plateau dans une main et le torchon dans l’autre ronchonna. Elle regarda son calendrier en soupirant.
— Il a un concert le Pedro, dans une semaine, il faudrait qu’il répète.
— De quoi tu mêles la Marie ! Si le monsieur doit travailler, laisse tranquille et toi Pedro va chanter ailleurs.
La voix du patron a tellement résonné dans l’auberge que d’une corbeille de fruits, une pomme tomba sur la coccinelle affolée qui ne comprit pas ce qu’il lui arrivait.
Pedro s’en moquait de tout ce charivari, il entonna :
— Au bout du chemin sera la victoire
— C’est quoi cette chanson ?
 Marie-Antoinette, admirative était complètement sous le charme du beau brun.
— Je ne sais pas encore, elle est de ma composition.
— Stop Pedro, tu vois pas que tu déranges ? Même la poule s’en mord la queue.
— Fais pas ton rabat-joie Jeannot, où t’as vu une poule d’abord ?
Pedro reprenait :
— Kwiki le kola croquait un cornichon kaki…
C’en était trop, le détective se leva d’un bond et renversa sa bière.
— Demain sera un autre jour, je reviendrai quand ce chanteur de pacotille aura terminé sa chansonnette.
Il ramassa sa sacoche et sortit de l’auberge bousculant au passage le repas servi à table pour les habitués.
Jeannot gronda et poussa Pedro dehors qui hurla :
— Je ne veux pas sortir !
Il était venu en vélo et quelle ne fut pas sa surprise de voir le client qui n’aimait pas sa musique s’acharner dessus. La hache transperça les boyaux de la bicyclette.
— Mais vous êtes fou, comment vais-je repartir chez moi ?
 — À pattes, mon ami !
— Mais vous n’avez pas le droit !
— Et vous, vous n’aviez qu’à pas m’écorcher les oreilles.
Il le planta là.
Dégouté, Pedro revint à l’auberge. Sans demander rien à personne, il s’empara du plateau des desserts et s’approcha d’une table. Il commença à servir. Les yeux de la jeune femme s’allumèrent devant la part de gâteau qu’on lui présentait.
— Mais qu’est-ce qu’il fait encore le Pedro ?
Jeannot roulait de gros yeux et son teint vira au rouge brique. Il tonna :
— Marie-Antoinette ? Où es-tu ?
— Je dévore un cookie ! Ils sont rudement bons !
— Je ne te paie pas pour manger les biscuits, mais pour servir les clients. Va donc voir ce que fait ton protégé de chanteur. Il n’est pas près de passer à The Voice je te le dis !
La jeune femme revint en salle.
— Alors comme ça on fait mon boulot ? Et comment que j’vais être payée si j’fais rien ? Excusez-le m’sieur-dame, il est chanteur pas serveur. Il est pas rapide en plus, par rapport à moi, on dirait l’escargot et la tortue qui font la course.
Elle éclata de rire, fière de sa boutade.
— Ben quoi le Jeannot, fais pas ta tête des mauvais jours, le soleil brille, la vie est belle !
— Oui, mais moi je n’ai plus de vélo.
Jeannot leva les bras au ciel.
— Et voilà qu’il recommence. Pourquoi qu’t’as plus de vélo ?
— Le client de tout à l’heure m’a crevé les pneus.
— Faut porter plainte ! clama Marie-Antoinette. C’est pas parce qu’il aime pas vos chansons qu’il a le droit de faire ça.
Le couple avec leurs quatre enfants attablés avait terminé leur dessert.
— Vous prendrez bien un p’tit café ? Je vous l’offre pour le dérangement occasionné.
Jeannot tenait absolument à garder sa clientèle.
— Marie-Antoinette, viens chercher le plateau ! Et toi Pedro laisse ces messieurs-dames tranquilles.
Le père de famille, un grand gaillard velu comme un ours, remercia pour le café et s’enquit auprès de l’aubergiste :
— Mes enfants me réclament un chien, vous ne savez pas où je pourrais en trouver un ?
Marie-Antoinette qui n’était jamais à court d’idées se frappa la tête et répondit :
— Chez le rebouteux, son fils a toujours des chiots à donner. C’est la maison au bout de la rue. Faites pas attention, le gamin est peu fêlé de la tête, il n’a pas la lumière à tous les étages comme on dit. Il se prend pour le cycliste qui volait sur les nuages. Mais il n’est pas méchant et vous trouverez certainement votre bonheur.
Les enfants poussèrent des cris de joie et commencèrent à faire une ronde autour de Marie-Antoinette.
— Allez, papa, on y va on y va !
Le grand gaillard remercia la jeune femme et aussitôt elle imagina :
— L’ours me sourit et m’invita à danser.

— Ohé, Marie-Antoinette, débarrasse la table, j’te paie pas à bayer aux corneilles et à rêver tout haut. Il est parti ton ours.
Pedro par contre était toujours là.
— Voulez-vous que je vous aide ?

© Minibulle 25/03/2020

dimanche 22 mars 2020

Muguette, Marie-Sophie, Petit Paul ... et La Plume


La plume a décidé d’ouvrir le tiroir où Muguette est enfermée depuis quelque semaines déjà…

— Ah quand même ! Regarde comment je suis toute fripée ! qu’as-tu bafouillé pour moi La Plume ? Où sont Prune, Félicie et Jasmin ?

Je n’ai pas le temps de réagir que MarieSophe me coupe le sifflet.

— Tu arrêtes un peu de la ramener ?
— Marie-Sophie ? Mais, tu es là toi ? Je croyais que c’était mon histoire !
— Je te signale que nous sommes en confinement, pas plus de cinq personnes ensemble, alors, tes copines, tu peux t’assoir dessus !

Pour le coup, je n’en reviens pas, Marie-Sophie semble très remontée, c’est bien la première fois que je l’entends s’exprimer de cette manière.

— Ohé La Plume, pourquoi a-t-elle le droit de parler et pas moi ?

Mais elles vont se taire oui ? Je n’arrive pas à en écrire une ! Marie-Sophie répond à ma place

— Je pense que c’est parce que toi tu vas bientôt partir…
— Partir où ?
— C’est un secret !
— Et je ne suis pas au courant ?
— Puisque c’est un secret !
— Je m’ennuie dans mon tiroir.
— C’est la vie ma pauvre chérie ! Tu crois que je suis plus gâtée que toi ? Figure-toi que La Plume n’arrête pas de me mettre le voisin d’en face dans les pattes.
— Tu ne vas plus le voir si tu es en confinement. Bien fait pour toi !
— Tu es franchement de mauvaise humeur, tu ferais mieux de retourner dans ton tiroir.
— Non, je suis sortie. J’en profite. Alors quoi de neuf ici ?
— Pas grand- chose ! J’avais commencé à aller à la salle de sports et pfft, terminé !
— Quoi terminé ?
— Avec ce confinement, plus de sport.
— Mais de quoi me parles-tu ? Tu es dans un tiroir aussi ?
— Mais non, tu ne comprends rien Muguette. On voit que ça fait un moment que tu n’es pas sortie de ton trou.
— Oh ! ça va la bêcheuse ! ce n’est pas parce que toi tu te peux te pavaner que tu dois faire la fière. 
— D’accord, je t’explique ! Il y a un vilain virus très contagieux qui…
— J’aime pas les virus !
— Celui-là je te garantis qu’il n’est pas gentil du tout ! Pour ne pas l’attraper, il n’y a qu’une chose à faire, rester chez soi !

Muguette est muette, la bouche grande ouverte.

— Ohé ? Dis quelque chose.
— Que veux-tu que je te dise, s’il faut rester chez soi !

Je vais peut-être reprendre en main la situation et écrire un semblant d’histoire, mais…

— Pourquoi La Plume me met-elle toujours le voisin d’en face dans les pattes ?
— Tu n’as qu’à lui poser la question.

Je n’en sais fichtre rien, il me plait bien le beau gosse, mais je me demande pourquoi je lui ai trouvé un prénom si banal…

— Et puis ce prénom Florent, franchement, elle aurait pu trouver mieux !

Qu’est-ce que je vous disais !

— C’est vrai quoi ! Toi as droit à Jasmin, Angelo !
— Et Archibald alors ?
— Ah, mais tu suis mon histoire ?
— Tu vois dans mon tiroir, je n’ai pas grand-chose d’autre à faire !
— Archibald est mon ami, pas mon amant !
— Qui sait ? Peut-être va-t-il le devenir ?

Ah non, Archibald est le meilleur pote de Marie-Sophie, pas question d’en changer.

— Charles, ton grand-père de substitution est bien plus gentil que Louis, le patriarche de mon histoire.
— Moi je l’aime bien Grand-Pa !

Allons bon, voilà qu’arrive Petit Paul.

— Il faut rester dans ton tiroir bonhomme, ce n’est pas prudent de sortir.
— Pourquoi, je ne suis pas malade.
— C’est vrai ça ! Dis donc Marie-Sophie, tu me racontes des blagues là ! Si La Plume n’a pas envie qu’on attrape le virus, elle ne nous le donnera pas.
— C’est comme un virus informatique ? Mon papa dit que c’est dangereux, il ne faut pas ouvrir les messages bizarres, ça détruit tout le disque dur !
— Réfléchis, si le disque dur de La Plume disparaissait ?

Qu’elle ne parle pas de malheur Muguette, je vais la faire taire pour de bon. Tu vas voir !

— Boucle la Muguette, tu vas nous porter la poisse. Tu es une vraie chipie ! Imagine que ton histoire s’envole en fumée, tu serais bien tien ! Plus de Muguette, plus de Jasmin et plus de Petit Paul.
— Moi je suis dans une autre, alors, je ne risque rien !

Et toc ! Petit Paul tu as raison !

— Si je comprends bien, plus personne ne m’aime ? Tout le monde m’oublie ? Mais… c’est horrible !

Ah non ne pleure pas Muguette, je vais devoir te consoler, tu me fends le cœur ! Tu sais bien que tu es dans mon cœur, si tu savais d’ailleurs ce qu’il se prépare… mais chut !

— Ne pleure pas Mug ! Moi je t’adore !

Petit Paul, heureusement que tu es là !

— OK, moi aussi, je t’aime bien !

Marie-Sophie en rajoute.

— Après tout, c’est un peu grâce à toi que je suis née.

Ah bon ? Si Muguette avale ça, j’en reste baba.

— C’est vrai ?
— Mais oui ! Tu ne pouvais plus être très présente à cause de… bref, le secret, tu sais ! Alors, La Plume m’a créée moi ! Mais elles nous aiment toutes les deux. Même si nous sommes très différentes.
— Et tu n’as pas de petit garçon avec toi Marie-Sophie ?

Et paf ! Petit Paul qui en rajoute une couche. Je ne vais pas m’en sortir. C’est vrai ça, pourquoi il n’y a pas de gamin avec MarieSophe ?

— Non, et je n’en ai pas envie !

J’ai ma réponse.

— Quand même… et tu n’as pas d’amoureux ?
Aie !
— Si elle en a un, mais elle n’en veut pas !
— C’est pareil pour toi Muguette avec Jasmin, tu le fais tourner en bourrique comme dit maman.

Et vlan ! attrape ça dans les dents Muguette.

— Je suis sûr que tu vas tomber amoureuse Marie-Sophie, les filles, ça tombe toujours amoureux.
— D’où sors-tu ça Petit Paul ? Je suis toute seule et ça va très bien comme ça !

— Qui parle d’amoureux ici ?

Je reprends la main, parce que si je les laisse jacasser comme ça, j’en ai pour cinquante pages.

— Tu vois je te l’avais prédit que La Plume allait me remettre le beau gosse dans les pattes.
— C’est vrai qu’il n’est pas mal ! Comment dis-tu qu’il s’appelle ?
— Touche pas ! Il est dans mon histoire !

Tiens donc Marie-Sophie serait-elle jalouse ? Allez hop, tout le monde dans les tiroirs et les cahiers, vous connaîtrez la suite plus tard.

— Mais…
— Je…
Je ne veux plus vous entendre jusqu’à nouvel ordre.
— Ça veut dire quoi nouvel ordre ?

Petit Paul a toujours le mot de la fin !

© Minibulle 22/03/2020

samedi 21 mars 2020

Jules et les 3 portes



La maman de Jules est jolie et très gentille, du moins c’est ce que pense son gamin, mais il n’est pas très objectif. Il adore son parfum. Son prénom ? Emmeline. Ils habitent une grande maison, « le château » comme l’appellent les gens.
Jules à l’école s’y sent bien. Il a cinq ans. Il est en avance pour son âge et ses copains lui font bien comprendre qu’il est différent. Il sait lire, écrire son prénom et celui de sa maman. Son papa ? Il n’en a pas. Emmeline ne lui en parle jamais et ne répond pas à ses questions. Grave erreur pour Jules, qui est têtu et très curieux.
Dans son château, il y a à l’étage où Emmeline travaille, trois portes. C’est très étrange ce qu’il y a d’inscrit dessus. Sur la première « Hier » brille de mille feux. Jules adore y entrer. Il peut y choisir les moments préférés qu’il a déjà vécus. Dans sa courte vie, il a des souvenirs qu’il aime bien se rappeler comme la pêche avec grand-père, ses premiers pas avec les éclats de rire de maman, la course en vélo sans les petites roues (la chute où il s’est déchiré le menton, il évite de regarder, il semble encore avoir mal !). C’est bien dans cette pièce, mais c’est le passé.
Sur la deuxième, pas amusante du tout, « Maintenant » le nargue et ne lui apprend rien du tout, vu que dès qu’il pousse la porte, la salle est vide. Oui, il a bien compris que « maintenant » c’est le présent, donc il est là, la main sur la poignée, instant du moment, point !
Cette pièce est moche et n’a pas d’âme, enfin c’est ce qu’il croit. Jules veut pousser la porte « Demain », mais sa maman le lui a fortement interdit.
— Tu ne peux pas connaitre de quoi l’avenir sera fait, impossible de le voir !
Jules a argumenté à sa manière :
— Je ne ferai pas de bêtises si je sais que si je la fais il va m’arriver quelque chose de mal.
— Non Jules, je te défends formellement d’ouvrir cette porte.
Il n’a pas reconnu sa voix ni son regard qui lui avait semblé flamboyer. Même si ce n’est pas possible, hein, d’avoir des flammes dans les yeux. D’ailleurs maman a vite retrouvé son sourire et d’une caresse sur le nez l’a renvoyé à ses jouets.
C’est sans compter que Jules est têtu comme une mule et curieux comme une fouine. Il a donc décidé qu’aujourd’hui mercredi, il désobéira et entrebâillera juste celle de « Demain ».
Emmeline, occupée dans sa cuisine à confectionner un gâteau au chocolat fredonne, il en profite pour rejoindre l’étage, il n’en aura pas pour longtemps. Il grimpe les marches quatre à quatre et arrive le cœur battant devant la porte qu’il pousse. Elle résiste. Jules se laisse glisser au sol en soupirant, découragé. Puis il rampe vers « Maintenant ». Bien sûr, il n’apprend rien de plus. Alors il entre dans « Hier » et il se voit courir dans l’escalier, parvenir face à « Demain ». Non, il n’avait pas réussi à ouvrir la porte.
— Jules ?
Il sursaute, il n’a pas entendu Emmeline approcher.
— Tu ne sens pas l’odeur du gâteau ?
Emmeline regarde son petit garçon dans les yeux.
— Je n’ai pas faim !
— Jules ?
Il n’a jamais compris comment sa maman lit en lui comme dans un livre ouvert.
— Aurais-tu envie de me désobéir ?
— Non, mais…
— Viens goûter s’il te plait !
La tête basse, il la suit. Même pas l’odeur du chocolat ne réussit à lui redonner le sourire. C’est un comble !

La lune toute ronde le nargue à travers les rideaux. Jules bien réveillé veut absolument savoir ce qui se cache derrière cette porte. Il se lève et se dirige à pas de loup vers « Demain ». Surpris qu’il n’y ait pas de résistance il la pousse, le cœur battant.
Tout d’abord, il ne voit rien. Il avance un peu plus dans la pièce qui s’éclaire davantage. Jules ne distingue pas grand-chose et ne reconnait rien. Il essaye de même que dans celle de « Hier » de se rappeler un souvenir, sauf que dans le futur, il n’y en a pas. Ce n’est pas drôle se dit Jules, en fait, c’est comme dans le présent. Si je reste planté, ça n’avance pas. Donc, il s’approche d’une grande porte qu’il n’a pas distinguée. Il la pousse.
— Salut, Jules, alors tu l’as enfin prise ta décision ? Tu vas te marier ?

Jules recule, effrayé. Se marier ? Avec qui à cinq ans se marier ? Il entrebâille à nouveau la porte et ne reconnait personne, sauf… Étienne, son meilleur copain. Heureusement qu’il a toujours les mêmes lunettes rondes, qu’est-ce qu’il fait vieux ! Mais… Le garçon là, c’est lui Jules, il sait que c’est lui avec sa mèche qui lui tombe dans les yeux. Il ne fait plus un bruit.

— Il paraît que oui !
— Félicitations, mon pote, Valentine et toi formez vraiment un chouette couple !

Valentine ? La rouquine ? Jules referme la porte.
Il en aperçoit une autre, plus petite.

— Ah mon pauvre Jules !
Pauvre ? Jules s’approche pour écouter :
— Je t’avais dit qu’il ne fallait pas goûter ces vers de terre, c’est franchement… tu vas avoir mal au ventre ! Regarde Valentine…
Beurk ! Jules retire la porte vers lui. Manger des vers de terre ? Encore avec Valentine ? Elle ne me lâche pas celle-là !

Il s’assoit par terre et réfléchit. La porte « Demain » est le futur. Bon, il n’a pas envie d’apprendre qu’il va être malade s’il mange ces sales bestioles, par contre, se marier avec Valentine, ça…
Ses yeux commencent à se fermer, il décide de regagner sa chambre où il s’endort aussitôt.

C’est l’odeur du pain grillé et du chocolat chaud qui le tire du lit. Quand il rejoint sa maman dans la cuisine, elle l’attend avec une tartine de confiture à la main.
— Bien dormi mon bonhomme ?
Il ronchonne un oui et s’assoit à table.
— Tu penseras quand même à t’habiller, l’école c’est dans une heure.
Emmeline fredonne et lui ébouriffe les cheveux en passant près de lui.
Quand on sonne à la porte, surprise, elle regarde son fils.
— Bien matinal ! qui cela peut-il être ?
Quand Jules aperçoit Valentine accompagnée de Juliette, sa mère, entrant dans la cuisine, il manque s’étrangler avec sa tartine.
— Bonjour Emmeline. Désolée de te déranger si tôt, mais Valentine a mal au ventre, si tu pouvais…
Emmeline est médecin, et à la campagne, on n’attend pas forcément que le cabinet médical ouvre. Elle soupire.
— Qu’est-ce qu’il se passe, ma pitchounette ?
Jules devant sa tartine devient tout rouge.
— Elle a mangé des vers de terre.
Les deux femmes se regardent surprises. Valentine furibonde réplique :
— Menteur ! et puis d’abord comment tu le sais ?  
— Je t’ai vue.
Emmeline fixe Jules, pendant que Juliette interroge sa fille.
— C’est vrai ?
Valentine hoche la tête.
— Alors tu ne dois pas t’étonner pas d’avoir mal au ventre, lui murmure Emmeline en lui massant doucement l’abdomen. La douleur disparut et la gamine retrouva le sourire.
— Voilà, elle est guérie, mais ne t’avise pas de recommencer.
 Juliette remercia et emmena sa fille.
C’était chose courante de débarquer ainsi à l’improviste chez Emmeline. Un peu sorcière, comme l’appellent les habitants du village, ils n’hésitent pas à venir frapper au carreau au moindre bobo. Pourtant, la jeune femme est véritablement médecin, mais de même que sa mère et sa grand-mère avant elle, elle possède un don.
— Dis-moi Jules, comment tu étais au parfum pour Valentine ?
Jules ne ment pas parce qu’il a horreur de ça.
– J’ai ouvert la porte de « Demain » et tu sais quoi ? Je vais me marier avec elle. Jamais je ne serais d’accord, elle m’énerve. Moi, je veux toujours rester avec toi. Mais je n’ai pas compris, je ne les ai pas encore mangés moi les vers de terre, pourtant je me suis vu.
Emmeline interrompt son fils :
— Si je réfléchis bien, tu m’as désobéi ?
Il rougit de plus belle.
— As-tu vu aussi que j’allais te flanquer une jolie punition ? Par exemple, t’interdire d’aller à la pêche ce week-end.
— Maman, s’il te plait, non !
Jules fondit en larmes.
— Je ne recommencerai plus, je te le jure. Et puis d’abord, ça me fait trop peur de connaitre « Demain ». Je préfère que ça arrive tout seul sans que je sache. Dis maman, je ne vais pas me marier avec Valentine hein ? Et puis, j’étais vieux, et il y avait aussi Étienne, je ne l’avais pas reconnu, sauf qu’il avait toujours ses lunettes. Moi, je ne veux pas devenir comme grand-père.
— Bon Jules, va t’habiller, tu vas finir par être en retard, ça ce n’est pas demain, c’est maintenant !

— Dis, tu crois que je pourrais changer le futur ?
En marchant vers l’école tous les deux, main dans la main, Jules n’en démord pas :
— Je ne veux pas épouser Valentine et devenir comme grand-père…
Emmeline sourit.
— Tu as bien le temps, peut-être changeras-tu d’avis ?
— Ah non ! moi, je vais le changer le futur, tu vas voir. Et avant qu’Emmeline réagisse, Jules partit à la rencontre de Valentine qui arrivait avec Juliette.
— Tu sais quoi Valentine ? Je ne vais pas me marier avec toi !
La petite fille le regarde de ses grands yeux couleur d’océan :
— Ben pourquoi ? Je ne suis pas fâchée pour les vers de terre.
La question surprit tellement Jules qu’il resta planté sur le trottoir.
C’est ainsi qu’Emmeline le retrouva.
— Tu sais, dit Jules, finalement, peut-être que ce n’est pas une mauvaise idée.
— Que veux-tu dire Jules ?
— Elle a vraiment de jolis yeux Valentine !
Il remet sa main dans celle de sa maman et continue sa route pour aller à l’école.

À suivre…

© Minibulle 21/03/2020

vendredi 20 mars 2020

Le printemps est arrivé


C’est le printemps ! Il est arrivé ! Mais si !

Tends l’oreille, qu’entends-tu ?
Le silence !
Faux ! Essaie encore !

— Ils n’ont plus l’habitude de nous écouter. Pourtant, chaque jour, nous chantons, nous sifflons, et partageons notre plus belle musique. Même nos petits, dès qu’ils quittent le nid, ils s’y attellent à émettre leur cui-cui ! Ils n’ont plus envie, ils ne savent plus.

Tends l’oreille qu’entends-tu ?
Mais oui, la tourterelle roucoule, la mésange zinzinule, le merle siffle, la grive babille, le moineau piaille, le rossignol chante.

 Ouvre grands les yeux, que vois-tu ?
Des tulipes, des jonquilles, la pelouse verdit, le rosier et l’hortensia s’habillent de feuilles, le forsythia jaunit, le seringat prépare sa floraison, les jacinthes exhalent leur parfum, le cerisier est tout blanc.

Respire à fond, écarte les bras, que sens -tu ?  
Je ne sais pas, c’est nouveau. Je ne reconnais pas ces parfums…

— Évidemment, plus de pétarades de motos, plus de voitures qui font rugir les moteurs, ça change !

Alors qu’inhales-tu ?
Prends ton temps, mets-toi sur pause ! Ferme les yeux… écoute, et laisse-toi emporter par Dame Nature.

Elle s’en moque des virus, elle ! elle continue inexorablement son parcours. Mais aujourd’hui, tu as la chance de pouvoir la contempler, profites-en ! Où que tu sois, en ville, à la mer, à la campagne, à la montagne, le printemps est arrivé, la belle saison ! Quoiqu’il se passe, il est là ! Qu’attends-tu pour le saluer ? Même sur ton balcon tu sais, il peut être présent, à toi de lui faire de la place.

© Minibulle, 20 mars 2020