Consignes : Un
jardin, une comptine…
Ludivine
aimait le matin prendre son café dans son jardin.
Il
n’était pas comme les autres ce jardin. Il ressemblait un peu à celui du
château de ma mère, l’œuvre de Marcel Pagnol. Un portillon fermé à clé
décourageait les visiteurs d’y entrer par curiosité. Parce qu’il était
magnifique ce jardin. Un peu féerique avec sa petite cascade qui coulait sans
interruption et qui répandait une musique douce comme les sons égrenés d’une
harpe. Il faisait le bonheur de la jeune femme qui tous les matins ne se
lassait pas de le contempler depuis sa terrasse.
Mais
ce matin-là, un son particulier lui chatouillait les oreilles. Sa tasse de café
à la main, elle descendit les quelques marches et se dirigea vers le portillon.
Elle promena son regard par-dessus la haie et n’en crut pas ses yeux. Au milieu
du champ de coquelicot tous en fleurs, un pianiste jouait. Habillé de noir et
d’une chemise blanche, assis devant son piano de la même couleur que son
costume, il jouait les yeux fermés.
Comment
était-il arrivé là ? Ludivine n’osait pas l’interpeller quand soudain il sentit
qu’un regard l’observait. Il tourna la tête vers elle et sourit.
Ludivine
rougit. Elle aurait voulu lui dire que ce champ ne lui appartenait pas et
brulante de curiosité elle retenait avec peine les questions qui lui montaient
aux lèvres, mais elle parvint à rester muette. C’est alors qu’il en profita
pour jouer quelques notes qu’elle reconnut. Il se mit à fredonner :
— J’ai
descendu dans mon jardin, pour y cueillir du romarin… gentil coquelicot
mesdames, gentil coquelicot nouveau…
— Mais
que faites-vous là ? Et comment êtes — vous arrivée jusqu’ici avec votre
instrument ?
Ludivine
avait retrouvé la parole et s’approchait du jeune homme, après avoir posé son
café froid de toute façon sur le muret
— Bonjour
gente dame.
Il
se leva, s’inclina alors vers elle, lui saisit la main, et la baisa.
— Si
je vous ai dérangé, ma mie, je m’en excuse fortement. Mais je viens ici tous
les matins que les coquelicots sont en fleurs, après je disparais.
Ayant
dit cela, il reprit sa place face à son piano et recommença à jouer. Le rêve
d’Amour de Frantz Liszt s’invita alors dans le champ de coquelicots.
Ludivine
n’en croyait pas ses yeux. Elle s’accouda alors face au jeune homme et le
regarda.
Blond,
les cheveux bouclés avec un accroche-cœur sur le front, il ressemblait à un
ange. Ses longues mains fines couraient sur le clavier telles un papillon. Elle
ne pouvait en détacher le regard, captive de ses notes qui envahissaient
l’espace et la faisaient voyager. Elle ferma les yeux et se laissa emporter par
la magie de la musique.
Il
jouait merveilleusement bien et le morceau choisi réputé pourtant pour ne pas
être facile, ne semblait lui occasionner aucune difficulté.
Soudain
le silence se fit. Ludivine ouvrit les yeux. Il se leva, lui saisit la main et
murmura de sa voix douce :
— Acceptez-vous
de me suivre dans mon royaume ?
La
jeune femme envoûtée par ce regard bleu azur hocha la tête.
— Installez-vous
à côté de moi sur ce tabouret et surtout n’ayez pas peur.
Une
nuée les enveloppa tous les deux. Elle sentit qu’elle s’élevait dans les airs.
Il recommença à jouer. Elle posa sa tête sur son épaule et ils disparurent.
Les
coquelicots se refermèrent. Le champ redevint une pièce qui venait juste d’être
labourée. Un merle chanta. Le portillon mal refermé claqua. La tasse de café
resta abandonnée avec un fond de café. La cascade dans le jardin se tut.
©
Minibulle 24/11/2018