Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

mercredi 4 décembre 2019

Il fut un matin ...


Consignes : Un jardin, une comptine…


Ludivine aimait le matin prendre son café dans son jardin.
Il n’était pas comme les autres ce jardin. Il ressemblait un peu à celui du château de ma mère, l’œuvre de Marcel Pagnol. Un portillon fermé à clé décourageait les visiteurs d’y entrer par curiosité. Parce qu’il était magnifique ce jardin. Un peu féerique avec sa petite cascade qui coulait sans interruption et qui répandait une musique douce comme les sons égrenés d’une harpe. Il faisait le bonheur de la jeune femme qui tous les matins ne se lassait pas de le contempler depuis sa terrasse.
Mais ce matin-là, un son particulier lui chatouillait les oreilles. Sa tasse de café à la main, elle descendit les quelques marches et se dirigea vers le portillon. Elle promena son regard par-dessus la haie et n’en crut pas ses yeux. Au milieu du champ de coquelicot tous en fleurs, un pianiste jouait. Habillé de noir et d’une chemise blanche, assis devant son piano de la même couleur que son costume, il jouait les yeux fermés.
Comment était-il arrivé là ? Ludivine n’osait pas l’interpeller quand soudain il sentit qu’un regard l’observait. Il tourna la tête vers elle et sourit.
Ludivine rougit. Elle aurait voulu lui dire que ce champ ne lui appartenait pas et brulante de curiosité elle retenait avec peine les questions qui lui montaient aux lèvres, mais elle parvint à rester muette. C’est alors qu’il en profita pour jouer quelques notes qu’elle reconnut. Il se mit à fredonner :
— J’ai descendu dans mon jardin, pour y cueillir du romarin… gentil coquelicot mesdames, gentil coquelicot nouveau…
— Mais que faites-vous là ? Et comment êtes — vous arrivée jusqu’ici avec votre instrument ?
Ludivine avait retrouvé la parole et s’approchait du jeune homme, après avoir posé son café froid de toute façon sur le muret
— Bonjour gente dame.
Il se leva, s’inclina alors vers elle, lui saisit la main, et la baisa.
— Si je vous ai dérangé, ma mie, je m’en excuse fortement. Mais je viens ici tous les matins que les coquelicots sont en fleurs, après je disparais.
Ayant dit cela, il reprit sa place face à son piano et recommença à jouer. Le rêve d’Amour de Frantz Liszt s’invita alors dans le champ de coquelicots.
Ludivine n’en croyait pas ses yeux. Elle s’accouda alors face au jeune homme et le regarda.
Blond, les cheveux bouclés avec un accroche-cœur sur le front, il ressemblait à un ange. Ses longues mains fines couraient sur le clavier telles un papillon. Elle ne pouvait en détacher le regard, captive de ses notes qui envahissaient l’espace et la faisaient voyager. Elle ferma les yeux et se laissa emporter par la magie de la musique.
Il jouait merveilleusement bien et le morceau choisi réputé pourtant pour ne pas être facile, ne semblait lui occasionner aucune difficulté.
Soudain le silence se fit. Ludivine ouvrit les yeux. Il se leva, lui saisit la main et murmura de sa voix douce :
— Acceptez-vous de me suivre dans mon royaume ?
La jeune femme envoûtée par ce regard bleu azur hocha la tête.
— Installez-vous à côté de moi sur ce tabouret et surtout n’ayez pas peur.
Une nuée les enveloppa tous les deux. Elle sentit qu’elle s’élevait dans les airs. Il recommença à jouer. Elle posa sa tête sur son épaule et ils disparurent.
Les coquelicots se refermèrent. Le champ redevint une pièce qui venait juste d’être labourée. Un merle chanta. Le portillon mal refermé claqua. La tasse de café resta abandonnée avec un fond de café. La cascade dans le jardin se tut.

© Minibulle 24/11/2018

mardi 3 décembre 2019

Les amis de Marie-Sophie




Ah décembre ! J’aime ce mois avec toutes ces préparations de fêtes. Bon d’accord, je ne suis plus une gamine, mais je crois encore à la magie de Noël et qui sait, je me laisserais bien dire que le vieux monsieur habillé de rouge à la barbe blanche existe bel et bien.
Archibald est mon ami depuis toujours. Je crois que je n’imagine même pas qu’il ne pourrait pas être là. Son prénom ? Il vient du fait que sa maman adorait Candie et son amoureux, Archibald. À quoi ça tient un prénom parfois, pas vrai ? C’est le boulanger du village. Et je dis bien, le boulanger. Il refuse tout net de faire des viennoiseries. Vous ne trouverez pas chez lui des croissants et pains au chocolat ou chocolatines. D’ailleurs, parlez-lui de cette guéguerre entre Parisiens et gens du sud, il se met dans une colère noire. Du coup, il n’en fait pas. Point barre.
Nous sommes dans un petit village qui a la chance d’avoir son école, son café « Chez Clovis » son église et son curé, et nous avons notre boulanger. D’ailleurs, il a dû commencer son calendrier de l’Aven. Chaque année, il s’essaye à de nouvelles de recettes de pains et croyez-moi il a un succès fou, comme dit la chanson de Christophe. En plus, il est beau gosse, et les touristes féminines l’été dévalisent sa boulangerie. Je suis certaine qu’elles grignotent toute la journée, elle n’arrête pas d’en consommer. Elles ne doivent pas avoir de problèmes de poids, et n’ont jamais entendu dire que le pain faisait grossir. Lui, il en rigole, et il m’énerve quand il me dit que je suis jalouse. « Ne touchez pas à mon Archi ! il n’est rien qu’à moi ! ». Pas marié, pas de petite copine, il n’a que sa boulangerie comme les marins ont la mer et les motards leurs engins.
— Salut, Archibald !
La clochette tinte et mon ami arrive, le tablier blanc autour de sa taille. Il a encore oublié de se raser.
— Je venais voir ton calendrier de l’Aven, tu l’as commencé ?
—  Salut MarieSophe ! Tu es en retard ma belle, je n’ai plus de rien…
Il me fait un clin d’œil et me fait signe de le suivre dans son atelier. J’adore cette odeur de pain chaud qui flotte toujours chez lui. D’ailleurs quand je l’embrasse, sa barbe en est imprégnée de ce parfum de brioche. Oui, parce que son pain, c’est aussi ça. Il fond dans sa bouche comme une brioche.
—  Alors ce calendrier ?
—  Regarde, il est en vitrine. Chaque jour un nouveau pain. La fenêtre est ouverte, demain nouvelle découverte et non, je ne te dirais pas ce que c’est. Gourmande !
La clochette tinte à nouveau.
—  Il me semblait bien t’avoir vue entrer.

Voilà mon autre amie. Mélusine. Elle aussi, je la connais depuis des lustres. Elle tient la mercerie sur la place à côté de l’église en face de la boulangerie. Oui, c’est un tout petit village et tout le monde s’apprécie, se côtoie. Ce n’est pas étonnant qu’elle m’ait aperçue entrer chez Archibald. Tous les trois, nous sommes liés à la vie à la mort. Quand l’un va mal, les autres le savent aussitôt. C’est ça l’amitié. Heureusement qu’ils étaient là à des moments précis de ma vie. Voilà que je radote comme les vieux.   
Mélusine a des doigts de fée. Dans sa petite boutique qui ressemble à une maison de poupée et qui sent bon la vanille, elle a des tissus multicolores qui rivalisent avec des boutons de toutes sortes. Elle va chercher ses trésors à la capitale comme elle dit. Entendez par là, Internet. Ah ça Mélusine, elle est bien de son époque. Elle vit à l’heure des réseaux sociaux, elle publie tout ce qu’elle fabrique, confectionne, et tout ce qu’elle aurait envie de faire et demande les avis à ses followers. Elle est la reine du hashtag. Moi, à côté, je suis la novice. J’ai l’impression d’avoir un métro voire deux de retard. Lorsque je viens de découvrir un truc que je trouve superbe, fantastique, elle me dit « Ah oui, mais ça fait longtemps que ça existe ça ! » Okay, MarieSophe rengaine tes idées, t’es nulle. Je l’adore, elle est toujours là quand j’ai besoin d’elle et c’est pareil dans l’autre sens. Archibald l’aime beaucoup aussi, mais son côté très réseau l’indispose au plus haut point. Tous les deux sont totalement opposés à ce sujet. Lui, il est dans son pétrin (je le fais râler quand je dis ça, vu que ça ne veut rien dire, son pétrin, c’est son grand récipient qui brasse sa pâte, il n’est pas dedans !) D’ailleurs, il a quand même accepté de se le procurer. Au début, il faisait tout à la main, mais la demande étant trop importante, il n’y arrivait plus. Il avait de jolis bras musclés du coup, mais il a sacrifié sa sacro-sainte idée de rester « comme avant » comme son grand-père. Oui ça coûte cher, mais heureusement qu’il a un bon comptable qui l’aide et le conseille. Sinon, il serait encore avec son papier et son crayon. Tout le contraire de Mélusine je vous dis !
—  Tu fais quoi pour les fêtes MarieSophe ?
—  Pas grand-chose !
—  Comment ça, pas grand-chose ? rugit Mélusine.
—  Tu n’as pas ton frère et ta sœur qui viennent ?
— Je n’en sais rien.
Je me tais. Mes deux amis me regardent, interrogateurs. Mélusine reprend :
—  Noël c’est familial non ?
—  Oui, mais apparemment, les sens diffèrent suivant les personnes. Bon, on a encore le temps d’y penser, je vous abandonne, je vais passer voir Charles.
—  C’est ça, défile-toi encore une fois !
Je leur fais un signe de la main, la clochette tinte à nouveau signalant mon départ.

—  Bonjour !
Je me cogne contre mon voisin d’en face, vous savez le beau gosse. Ce n’était vraiment pas le moment. J’ai les yeux humides, par la faute de mes amis qui m’ont posé des questions qui m’agacent et qui m’égratignent le cœur à chaque fois.
—  Pardon, je vous ai fait peur ?
—  Non, non.
Quelle idiote, je me prends pour Camélia Jordana avec sa chanson « Non non non je ne veux pas prendre l’air… »
Il sourit. J’ai l’air malin.
—  Je vous raccompagne ?
Il insiste. Il ne peut pas me foutre la paix, j’ai pas envie là. Je me sens moche, j’ai les cheveux pas coiffés. En plus, je suis allée voir Archi comme j’étais, en jeans et mon vieux pull, bravo ! Il est étonnant que Mélusine ne m’en ait pas fait la réflexion. « Jamais sans son maquillage, on ne sait jamais » tu parles que je vais rencontrer Tom Cruise ou Bradley Cooper devant ma porte. Mélusine me dirait encore, « un peu rétro pour toi, non ? » Désolée, je ne connais pas trop les people.
—  Savez-vous que vous avez de jolis yeux ?
Je suis stupéfaite. Il se prend pour Jean Gabin ? Je n’ai rien d’une Michèle Morgan.
Il ne me reste qu’une seule chose à faire : la fuite.

© Minibulle 3 décembre 2019