Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

mardi 28 janvier 2020

Voyage en Laponie






C’était un rêve depuis qu’ils étaient gamins. Jules et Léon voulaient voir le père Noël. Ils n’avaient jamais pu le faire, mais aujourd’hui, ils étaient prêts.

Le voyage avait été long jusqu’en Laponie. Les deux amis d’enfance n’étaient plus tout jeunes. Bien emmitouflés dans leur pelisse, bonnets sur la tête, écharpes autour du cou, les mains dans des gants fourrés, on ne distinguait plus rien de leurs visages, sauf leurs yeux rieurs qui pétillaient de joie. Ils n’avaient pas imaginé qu’il allait faire si froid et que les chiens qui tiraient leur traîneau galoperaient aussi vite et leur lanceraient de la neige.
Seuls au monde dans l’immensité blanche, ils n’en menaient pas large. Le conducteur les rassurait, rien de fâcheux ne pouvait leur arriver, ses bêtes connaissaient parfaitement le chemin.

– Il faut qu’on s’arrête !
Les deux amis se regardèrent.
– Que se passe-t-il ?
– Rien de grave, mais je dois vérifier que mes chiens se portent bien. Je trouve que le meneur va trop doucement. Je vérifie qu’il ne se soit pas fait mal. Descendez s’il vous plaît !
– Mais il fait froid !
– Désolé, si vous vouliez avoir plus chaud, il ne fallait pas choisir notre pays.

Les deux hommes descendirent du traîneau en maugréant. Il n’avait pas l’air commode le chauffeur. Pourtant, rien ne laissait présager ce sale caractère.
– Bah, t’inquiètes, il doit se faire du souci pour ses bêtes. Viens, on va admirer le paysage.
– T’en as de bonnes, admirer le paysage. Que veux-tu qu’on regarde, il fait plus noir quand dans un tunnel, on ne voit pas à cinq mètres et...
– Où est passée ta bonne humeur légendaire Jules ? Allez profite…
Léon se mit à marcher à pas lourds dans la poudreuse. Soudain, deux yeux perçants et un cri bizarre le firent se retourner.
– Une marmotte ? Ici ?
– Que faites-vous ?
Les deux hommes se regardèrent incrédules. L’animal parlait.
– On est en panne !
– Tu réponds à une marmotte toi ? T’es grave quand même !
Jules se frottait les yeux et bouscula son camarade.
– Venez vous mettre au chaud chez moi, j’ai une cacasse à cul nu qui mijote sur ma cuisinière.
– Une ?...
Léon se claquait déjà les mains avec ses gants. Jules retint son ami qui suivait l'animal qui sur ses deux pattes, se dandinait pour rejoindre sa cabane.
– Si c’est comme chez Hansel et Gretel, nous allons finir enfermés et…
– Allez viens !
Il se retourna pour interpeller le conducteur des chiens, mais trop occupé à soigner ses bêtes, il ne fit pas attention à lui. Léon ne put s’empêcher de lui glisser :
– Vous n’avez pas de catadioptre pour vous signaler, si un autre traîneau arrive, vous risquez l’accident.
– T’es vraiment à part toi, l’apostropha Jules. On n’est pas sur les Champs Élysées ici !
Léon éclata de rire et attrapa par le bras son ami et tous deux, cahin-caha, parvinrent à la cabane de l’animal. Elle était entrée et avait laissé la porte ouverte. Finalement, leur voyage se déroulait bien et ils allaient de surprise en surprise.

— « Table décorée
Par le fumet alléché
Bien-être assuré »
– Quel poète ! ironisa Jules.
Il ne put retenir un Wouahou devant le décor de la cabane. 
– Faites comme chez vous, je vous en prie.
L'animal, un tablier ceinturé autour de sa taille, les invitait à s’asseoir.
– Quelle bonne odeur ! Vous accueillez souvent des visiteurs ici ?
– Vous êtes les premiers et j’en suis ravie.

Installés autour de la table recouverte d’une nappe rouge et verte, Jules et Léon ne savaient quoi dire. Soudain, une petite marmotte s’approcha d’eux. Elle tenait un minuscule xylophone entre ses pattes.
– Je vous présente ma fille. Elle va vous jouer un air de saison en guise d’apéritif.
Complètement subjugués par l’ambiance chaleureuse et toute fois irréelle, les deux hommes écoutèrent avec bonheur la musique émise par l’instrument. Voir interpréter un chant de Noël par une marmotte au xylophone, une autre faire la cuisine, dépassaient l’entendement. Mais n’étaient-ils pas en Laponie ?
– Je vous souhaite un excellent appétit. Ne tardez pas trop parce que votre chauffeur va bientôt venir vous chercher.
– C’est rudement bon ce que vous avez préparé ! Une cacasse à cul vous dites ? Jamais entendu parler.
– On l’appelle le plat du pauvre, parce qu’il y a des pommes de terre et de l’oignon. Pas grand-chose en fait.
Jules contemplait la marmotte qui feuilletait son livre de cuisine et leur montrait à tous deux l’image représentant la recette qu'elle avait confectionnée. Il se frottait les yeux souvent, pour être sûr qu’il ne rêvait pas.
La porte s’ouvrit brusquement et tel un zouave sorti de sa boîte le conducteur des chiens apparut.
– Nous pouvons repartir, Yvette, tu m’en donnes une lichée de ta cacasse ?
– Mais… vous vous connaissez ?
Ignorant la question, il les invita à les suivre. Les bêtes étaient à nouveau harnachées et piaffaient d’impatience.
Les deux hommes, avant de se réinstaller dans le traîneau, se retournèrent en même temps pour saluer leur hôte et la remercier. Il n’y avait personne. Seul, un rideau blanc les enveloppait et les sapins habillés de leur manteau neigeux courbaient un peu leur tête.
Sans mots dire, ils prirent place, se recouvrirent du plaid et les chiens s’emballèrent au cri du « en route » de leur maître.
Ils entendirent alors comme un son de clochettes qui les saluaient.  

vendredi 17 janvier 2020

Muguette et Marie-Sophie s'interrogent



Elles se jaugent du regard et se demandent ce que l’une a de plus que l’autre. Elles se trouvent toutes les deux intéressantes alors pourquoi ces questions qui les taraudent… qui va engager la conversation la première ? Qui va oser se lancer dans la bataille ? La plume est spectatrice. Elle ne sait pas qui va commencer, elle les laisse maîtresse de leurs mots, elle espère que ça ne dérapera pas, sinon elle devra intervenir. Elle attend.

— Comme ça tu t’appelles Marie-Sophie ? MarieSophe pour les intimes, ouais ! pas mal !
— C’est vrai que Muguette c’est original.
— Ah tu vois !
— On se tutoie ?
— ça te dérange ?
— Nous n’avons pas gardé les moutons ensemble !
— Hey, toi tu piques les répliques de Jasmin. Tu triches.
— Pardon !
La Plume intervient et promet qu’elle ne le refera pas.

— Va pour le tu de toute façon, vu ton caractère…
Muguette sourit.
— Qu’est-ce que t’es belle !
Marie-Sophie soupire. Pourquoi elle n’est pas comme elle.
— Quel âge as-tu ?
— Environ la trentaine et toi je devine que tu en as trente-cinq.
— Mais comment tu sais tout ça toi ?
— Parce que je suis née après toi.
— Alors, raconte-toi, je ne te connais pas.
— Pas grand-chose à dire sur moi. J’habite dans le même quartier depuis toujours. Près de chez mes parents en plus.
— Sérieux ?
— Oui, mais pas avec eux.
— Jasmin est aussi encore chez ses parents.
— La plume doit aimer les grandes familles.
— Sans doute. Tu as un fiancé ? Laisse-moi deviner son prénom…
— Non.
— Bah tu rigoles !
— Vrai !
— Mais j’ai deux amis. Archibald et Mélusine.
— Ah oui quand même, sacrée Plume.
Elles se regardent à nouveau. Puis Marie-Sophie reprend.
— Il y a une grande différence entre nous.
— Attends, je vais feuilleter ta vie.
Muguette tourne les pages.
— Il n’y a pas grand-chose encore sur toi ?
— Oh ça va, je t’ai dit que ça ne faisait pas longtemps que j’existais. Tu n’as rien remarqué ?
— Tu as un pépé, et… mais si tu as un amoureux. Ton voisin d’en face.
— Non, autre chose.
Muguette fronce les sourcils et soudain :
— C’est toi qui parles ? Je n’en reviens pas.
— Oui, c’est moi.
— La Plume a sans doute eu peur que je dise trop de bêtises ou qu’elle n’arrive pas à me canaliser.
— Parce que tu crois que je peux dire tout ce que je veux moi ? Pourquoi ?
— Je ne sais pas. Peut-être que tu lui ressembles davantage ?
— Mais regarde-toi, tu as une chevelure magnifique, alors que moi je suis représentée…
— Nous avons le même regard coquin !
Elles éclatent de rire toutes les deux.
— C’est vrai.
— Nous ne nous laissons pas faire ni l’une ni l’autre.
La Plume, surprise se demande qui a dit quoi.

— Il est beau ton Jasmin ?
— Oui et je suis amoureuse. Mais ma vie n’est pas facile, surtout que mon amie Prune a des ennuis. Arrête de rire, c’est le prénom qui te fait cet effet ? J’ai eu le même.
— Je ne sais pas ce qui est passé par la tête de la Plume pour vous affubler de tous ces prénoms.
— J’aime bien et c’est très acidulée du coup. Archibald et Mélusine ? On dirait un conte de fées.
— Ma vie n’a rien d’une histoire pour enfants et pas question de » il était une fois » ni de prince charmant.
— Pourquoi ?
— Je ne suis pas jolie.
— En voilà une idée. La Plume n’aurait pas créé une héroïne moche.
— Pourquoi donc ? Ce qu’il nous arrive, ce n’est pas toujours comme dans les livres.
— Ah parce que ta vie est un roman ?
— Mais qu’est-ce que tu crois Muguette ? Tu as été inventée par la Plume, si elle n’a plus rien à te faire dire, tu disparaitras.
— Mais quelle horreur ! Impossible. Surtout que mon histoire est racontée et va être publiée.
— Quoi ?
— Et qu’il va certainement y avoir un autre tome parce que la Plume a plein d’idées et que ça ne peut pas s’arrêter comme ça.
— Mais pourquoi je ne suis pas publiée moi ? Tu vois, je te l’avais dit que j’étais moche et qu’elle te préfère toi.
— Non Marie-Sophie. Je crois que tu es tout aussi importante à ses yeux que moi. Tu es différente c’est tout. Et qui te dit qu’un jour, tu ne seras pas en tête de gondole ? Tu sais la Plume est imprévisible…
— Ne dis pas du mal d’elle, j’aime bien quand elle me fait vivre.
— Moi idem. Je découvre avec elle toutes mes péripéties. Bon, j’avoue ! quelquefois, elle avait vu autre chose pour moi et puis pouf d’un coup, l’histoire change, parce que je n’en fais qu’à ma guise et que c’est ma vie finalement. Tiens regarde, la gifle au grand-père, jamais elle n’a eu cette idée. Mais il m’agaçait tellement ce Louis que ma main est partie toute seule.
— Jamais je ne frapperai le pépé. Je le respecte trop.
— Donc, nous sommes différentes et la Plume t’aime bien. Mais, essaie de la faire changer d’avis. Par exemple… sois plus féminine.
— Ah tu es comme Mélusine, toi. Mais à quoi ça sert ?
— Tu es un plus jeune que moi, mais un peu de maquillage par-ci, une petite robe par-là et tout de suite tu n’es plus la même… Et ton voisin d’en face craquerait complètement.
— Ce n’est pas ma préoccupation première.
— Alors là, figure-toi que moi aussi, je n’avais pas envie de ça. Et puis, regarde où j’en suis, j’ai même une pitchounette. Tu veux que je te dise, elle devait se prénommer Eugénie… et puis finalement…
— Non ?
— Si !
À nouveau, elles éclatent de rire.
— Il s’appelle comment ?
— Qui ?
— Tu sais bien de qui je parle, allez avoue.
— Florent.
— Fais en sorte qu’à la prochaine histoire vous vous rencontriez et que vous discutiez.
— Il trouve que j’ai de jolis yeux.
— C’est un bon début et alors ?
— Je me suis enfuie.
Muguette s’énerve.
— Dis-donc la Plume, c’est quoi cette idée ? À moi tu me dégotes un copain et pas à elle ?
Marie-Sophie lui intime de se taire.
— Je crois que c’est de ma faute. C’est moi qui n’ai pas voulu.
— Ah parce que toi aussi tu fais changer d’avis la Plume ?
Leurs regards malicieux se rencontrent et Marie-Sophie ajoute :
— Et pourquoi suis-je représentée en rousse ?
— Je pense qu’elle t’imagine complètement différente de moi.
— Tu ne trouves pas que je fais un peu gamine pour trente ans ?
— Je suis certaine que la Plume ne nous fera jamais vieilles. Elle est trop jeune dans sa tête et c’est tant mieux. Je n’aimerais pas devenir une mémé ringarde.
— Et si ton histoire se décline en plusieurs tomes alors ? Tu vas bien prendre de l’âge comme tout le monde. 
— Je ne pense pas que ça durera éternellement, je crois avoir compris où ma vie va s’arrêter.
— Tu veux dire que tu vas mourir ?
— Ah non, j’ai déjà vécu celle de mon père, je n’ai pas envie que ça recommence.
— Oh… Moi je les ais encore tous les deux.
— Tu vois bien qu’elle t’aime. Elle ne te fait pas souffrir.
— Alors tu vas disparaitre comment ? Tu ne veux pas me le dire ?
— Elle serait où la surprise ? Par contre, toi, je suis d'avis que tu as de longues années devant toi.
— Ouais, et si je n’ai pas envie ?
— Tu sauras lui dire. Et puis, d’autres héroïnes peuvent venir nous rejoindre. Elles ne demandent que ça.
— Tu en connais des trucs toi ! Et pourquoi pas un héros ?
— Soumets-lui l’idée…
— Tu crois qu’elle pourrait écrire sur un mec ?
— La plume ? Bien sûr que oui. Laisse-lui le temps.
— Et si on se retrouvait dans…
— Sur la place des grands hommes dans dix ans ?
À nouveau, elles éclatent de rire.

Oui, laissez-moi le temps de vous apprivoiser toutes les deux. Un héros ? En serais-je capable ? Pas tout de suite, mais qui sait ?

© Minibulle 17 janvier 2020

mardi 14 janvier 2020

Lettre à Janvier



– Personne n’a rien dit. Je suis arrivé, comme ça, un 1er de l’année, et rien !

Janvier est triste et il se lamente seul dans son grand fauteuil. Du coup, l’hiver ne sait plus trop ce qu’il doit faire. Il fait trop chaud pour la saison à certains endroits et trop froid à d’autres. Janvier a tellement pleuré qu’il en a fait déborder des fleuves. La Garonne ne s’en est pas encore remise. Trop de larmes d’un coup, il semble qu’elle va ressortir 9 fois de son lit. Elle en a assez la Garonne de fuir partout. Elle aime bien se prélasser et parfois être au sec, mais là, vagabonder comme ça dans les champs, ce n’est plus de son âge.
– Arrête de pleurer Janvier, je n’en peux plus.

Peut-être va-t-il se calmer, car aujourd’hui il a reçu une lettre. Une petite fille sans doute, l’enveloppe est parfumée.
Il l’ouvre tranquillement, il craint le pire.
– Cher Janvier,
Je suis bien contente que tu arrives car c’est le mois de mon anniversaire. C’est vrai que ce n’est pas de chance après les fêtes d’avoir encore des cadeaux, mais moi j’aime bien. Alors rien que pour ça, je te remercie d’être là enfin.
Tu es le premier de l’année, qu’est-ce que ça te fait ? Aurais-tu aimé être le dernier ? Avec un nom pareil tu ne pouvais que démarrer l’année, tu t’appelles comme le Dieu romain Janus qui ouvre des portes, qui détient les clés et qui est le dieu des débuts et des fins. Tu vois tu aurais pu être à la fin de l’année, tu aurais préféré ?

Janvier à ce se stade de la lecture, relève la tête. Il ne s’est jamais posé une telle question. Terminer l’année au lieu de la commencer ? Quelle drôle d’idée. C’est à lui que reviendraient les fêtes de Noël, le sapin, les cadeaux ? Jamais Décembre ne voudrait échanger avec lui. Pourtant, ils ont tous deux 31 jours, seul l’ordre est à inverser. Janvier soupire, il y a belle lurette qu’il démarre l’année avec un jour férié et il ne se voit pas travailler en arrivant. Rien que pour ça, il n’a pas envie de changer. C’est vrai quoi, débarquer et se reposer, quelle belle idée. Il peut prendre le temps de regarder autour de lui, de réfléchir à ce qu’il va bien pouvoir faire pour rendre les gens heureux. Débuter une nouvelle année, c’est un merveilleux challenge qu’il essaie de relever chaque fois. Il poursuit sa lecture.

– Tu aimes bien la galette Janvier ? Tu n’es pas en colère qu’il y en ait déjà en décembre ?
À nouveau, il s’interrompt. Décidément, son compagnon précédent en prend à ses aises avec ce gâteau. Il devrait lui en parler. C’est le 6 janvier l’épiphanie, pas un autre jour. Quelle tristesse, tout se perd. Il écrase une larme et continue sa lecture.

– Tu connaissais l’histoire de celui qui avait la fève ? Il devait en repayer une ? J’ai de la chance, ce n’est pas moi qui l’ai eue. Pourtant, j’aurais bien aimé, mais c’est papa qui l’a trouvée. Ce n’est pas grave, je sais qu’il va en racheter et ce sera la surprise. Au fait, tu vas faire tomber des flocons chez moi cette année ? Je n’en vois jamais moi. Je n’ai pas de montagne, je n’ai pas la mer, je suis juste là, dans un paysage normal. Lorsque je regarde à la télé, tous les gens qui partent en vacances à la neige, je les envie. Je n’y vais jamais moi, je n’ai pas assez d’argent. Tu sais ce qu’il pense mon papa ? Que les hommes sont bizarres quand même. Ils râlent quand ça glisse sur la route et dès qu’ils le peuvent, ils filent à la montagne pour skier et la trouver. Ce n’est pas la même là-bas ?
Janvier sourit. Il devrait réfléchir à ce problème. Comment faire pour que tous les enfants puissent profiter de cette belle poudre blanche ? Mais il pense que ça va encore crier dans les chaumières, s’il détraque la météo. Déjà qu’il a beaucoup pleuré, enfin… pas que lui, décembre s’en est mêlé aussi, d’ailleurs, il se demande bien pourquoi.

– Tu sais que c’est toi qui décides quel sera le temps des autres mois ? Tu crois que nous allons avoir une belle année ? Moi j’aime bien les fruits, les fleurs. Si tu fais bien ton travail, tout ira bien. Mais un proverbe dit que « janvier sans gelée n’amène pas une bonne année » alors tu vas faire comment ?
Janvier se lève brutalement. Les arbres même démunis de leurs feuilles bruissent de peur.
Il grogne, il marche de long en large. Cette lettre l’agace, car elle lui montre encore une fois que quoi qu’il fasse, personne ne sera content. Et si on le laissait faire tranquillement son boulot ? Janvier, c’est janvier. Il peut faire froid, mais beau, il peut pleuvoir s’il en a envie, il peut faire plus chaud que d’habitude s’il a décidé de rencontrer son ami Soleil et qu’ils bavassent tous les deux oubliant l’heure et du coup faisant monter la température. Mais de quel droit lui dicterait-on sa conduite ?

– Je sais bien que tu feras comme tu pourras, je t’aime bien, et je te souhaite une heureuse année, parce que finalement c’est toi qui donnes le ton.
C’était signé Aurore.  
Quel joli prénom ! il pensa à sa copine, qui se levait tous les jours, quoiqu’il arrive. Elle était un peu sombre en ce moment, mais bientôt elle allait gagner en luminosité et retrouver toute sa splendeur.

Janvier replia la lettre et l’enfouit dans une poche de son grand manteau. Il fera comme il voudra, comme il pourra, et tant pis pour les mécontents. Après tout, ne dit-on pas que de toute façon la météo, il faut bien faire avec ? Il éclata de rire. Le soleil pointa alors le bout de son nez.


mercredi 8 janvier 2020

Petit Paul demande à Muguette d'être sa reine.



Et si Muguette et Petit Paul se retrouvaient autour d’une galette… enfin presque…

Le portable de Muguette sonna. Quand elle décrocha, elle eut l’heureuse surprise de reconnaître la voix de Petit Paul.
— Comment vas-tu mon bonhomme ? Je suis surprise de t’entendre.
— Je voulais savoir si tu voulais bien être ma reine ?
Stupéfaite, Muguette resta muette.
— Tu es toujours là ?
Elle avait oublié que le petit garçon n’était pas particulièrement patient.
— Oui, mais je n’ai pas compris ta question.
— Ce n’est pourtant pas difficile. J’ai mangé de la galette, j’ai eu la fève et je voulais que tu sois ma reine. Ici, grand-Ma est trop vieille, et maman c’est maman, elle ne peut pas être reine. Alors, j’ai pensé à toi.
Muguette sourit toute seule.
— Bien sûr que je suis d’accord.
— Tu en as mangé une ?
— Oui avec des fruits confits.
Elle ne vit pas que le petit garçon faisait une horrible grimace, mais elle l’imagina quand elle entendit le cri d’horreur dans le téléphone.
— Pouah ! j’aime pas ces machins qui collent.
— Alors, elle était à quoi ta galette ?
— Devine ?...
Il ne put tenir sa langue plus longtemps ;
— Aux pépites de chocolat. Je me suis mis sous la table et c’est moi qui ai désigné ceux qui avaient leur part.
— Ah bon ? Je suis surprise.
— Mais c’était pour me faire plaisir. Grand-Pa dit que la vraie galette est à la frangipane.
— Il n’a pas tort.
— J’aime pas la frangipane. D’abord, on n’est pas à Paris, et Grand-Pa raconte que c’est la galette parisienne. Pour le faire changer d’avis, lui, c’est pas facile. Tu crois qu’il en existe une qui s’appelle comme ma ville ?
Muguette sourit. Effectivement, le patriarche, elle en gardait un sacré souvenir.
— Muguette ? Tu es toujours là ?
— Oui Petit Paul, je t’écoute. Moi, ma galette était la couronne des rois briochée. C’est la question qui revient souvent sur le tapis : dans le nord pâte feuilletée, dans le sud pâte briochée.
— Je préfère la brioche, mais sans les trucs dedans. Tu as été aussi sous la table ? Tu as eu la fève ?
Muguette éclata de rire.
– Une question à la fois si tu veux bien ? Bien sûr que non, tu me vois à quatre pattes au sol ? Tu sais, j’étais seule avec Pénélope, alors, cela n’a pas été difficile pour désigner les personnes à qui distribuer les parts. N’étant que toutes les deux, il en reste pour ce soir, donc il n’y a pas eu de fève. Les deux recettes sont bonnes. Ma préférée, la briochée nature.
— Comment on fait pour la couronne ?
– Je vais mettre celle que j’ai ici et je te poste la photo.
– J’ai pas de portable à moi tu es au courant ? Je suis encore trop jeune. Ah, mais, t’as qu’à l’envoyer à mon parrain.
Il éclata de rire et entraîna Muguette avec lui.
— Si tu avais la fève, tu le choisirais comme roi hein ?
Elle ne le voyait pas Petit Paul, mais elle devinait son air malicieux, ses yeux plissés, et elle sut que Jasmin n’était pas loin, quand elle l’entendit crier :
— Parrain, Muguette va t’envoyer une photo sur ton téléphone et…
Petit Paul avait raccroché.

mardi 7 janvier 2020

Marie-Sophie, entre les deux son cœur balance


Je rentre du travail et je ne suis pas franchement de belle humeur. Finis Noël et le Nouvel An, j'ai dû reprendre le collier et avec ça, retrouver les collègues.
Je déteste présenter mes vœux. Il faut embrasser, sourire, se souhaiter la bonne santé. Ça m’agace ! de toute façon, je peux toujours leur souhaiter, s’il s’avère qu’il leur arrive des catastrophes, ce ne sera pas de ma faute, j’aurais rempli mon taf !
Charles est à sa porte. J’ai l’impression qu’il m’attend. Je stoppe devant chez lui et baisse ma vitre laissant tourner le moteur. À lui, je vais dire qu'il ait le meilleur et je serai sincère.
— Bonne année Pépé. Que tout se passe bien pour toi. Au fait, tu as revu Célestine ?
— Tu es bien curieuse !
— Tu rougis ? Je n’y crois pas ! Alors, raconte !
Il bougonna dans sa barbe et changea de conversation.
— Je te souhaite aussi une merveilleuse année MarieSophe.
J’aimais quand il m’appelait comme ça.
— J’espère que tu vas enfin te trouver un petit copain.
C’était trop beau, il fallait qu’il gâche tout. Rageusement, je remontais la vitre et partais rentrer la voiture chez moi.
— Ne fais pas la tête !
Il m’avait suivi le bougre. Il est vrai que nous n’étions pas loin l’un de l’autre. Je sortis le pain encore tout chaud de chez Archibald et reclaquais la portière.
— Pourquoi tu n’acceptes pas de rencontrer Florent ?
— Alors là, c’est le bouquet, tu m’accuses d’être curieuse, mais toi, tu es pire. Tu n’as qu’à jouer à l’entremetteur tant que tu y es.
— Mais quel caractère !
— Qu’a-t-elle encore fait ?
Il ne manquait plus que ma mère qui vienne aux nouvelles. Je vous rassure, nous n’habitons pas ensemble, mais nous sommes voisins. Je ne suis pas un Tanguy au féminin. Mais telle que je la connais, elle a dû surveiller la voiture. Elle sait mes horaires de bureau. Elle me serra dans ses bras comme si j’étais encore sa petite fille. J’aime bien, j’avoue, mais devant Charles, ça me chagrine un peu. Elle lui tendit la main et réitéra sa question. Mais Charles ne lui répondit pas, la salua et retourna chez lui.
— Je n’arrive pas à comprendre pourquoi tu t’entêtes à l’appeler pépé, alors que ce n’est même pas ton grand-père. Il a un fichu caractère quand même non ?
— Je ne trouve pas, moi je l’aime bien, et il est toujours là quand j’ai besoin de lui.
— Et nous, nous ne comptons pas ?
J’aurais mieux fait de me taire, elle va me tanner pour en savoir davantage, et je vais encore avoir droit au sempiternel refrain.
— Tu es malheureuse ? J’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ?
Et voilà, c’est parti. Je l’aime bien, maman. Pourtant, il y a des fois, je regrette d’habiter si près de chez eux. Papa était architecte et quand il a construit ce lotissement, il m’a gentiment proposé d’acquérir une maison. À l’époque, je commençais juste à bosser, j’avais à peine vingt ans, je me suis dit que c’était une bonne idée. Mais je n’avais pas imaginé que dix ans plus tard, je serais toujours au même endroit seule. Surtout qu’ils n’habitaient pas là avant… lorsqu' ils ont eu l’opportunité de se rapprocher, ils ont sauté sur l’occasion comme un chat sur une souris. J’étais heureuse au début, et puis, au fur et à mesure, j’ai commencé à trouver un peu lourd qu’ils me surveillent. Je vais avoir 30 ans quand même !
— Tu viens dîner à la maison ?
Je voulais regarder Netflix ce soir et pas l'envie de me faire questionner encore et encore par papa qui espère toujours que je vais avoir de l’augmentation. Il me serine que je n’ai aucune ambition.
— Maman, je suis fatiguée. J’ai plein de choses à faire, et il faut que je mette de l’ordre un peu chez moi.
— Pourquoi ? Tu es toute seule, tu ne dois pas avoir grand-chose à ranger ? Si ? Ah, mais peut-être que tu as un petit copain et que tu ne souhaites pas que je le rencontre ? C’est ça ? Tu sais, nous serions tellement heureux ton père et moi que…
Je ne l’écoute même plus. Ce refrain je le connais par cœur. Elle me suit pourtant dans la cuisine et je la vois regarder partout, histoire de se rendre compte s’il n’y a rien qui traine comme une paire de chaussettes masculines.
Déçue, elle me sourit :
— Alors, je te laisse. Passe une bonne soirée, et n’hésite surtout pas à venir, si jamais tu changeais d’avis.
Elle m’embrasse et ne reste plus que dans la pièce son parfum. Je soupire. Je l’aime ma maman et je regretterais presque de lui faire de la peine en préférant être ici toute seule. Il faut que j’arrête de culpabiliser. Elle est très forte à ce jeu-là, ma mère !
Charles a dû voir qu’elle était partie, il est là devant ma fenêtre. Je lève le rideau et lui fais signe d’entrer.
— Florent est passé tout à l’heure.
Non, ça recommence ! Il ne lâchera rien le pépé.
— Il  désirait savoir si je te connaissais bien.
Je reste muette, le cœur battant la chamade.
— Tu ne me demandes pas ce que j’ai répondu ?
Je soupire et hausse les épaules.
— J’ai dit que tu me voyais comme ton grand-père.
— Charles, ne te mêle pas de ça !
— Oh la ! je n’aime pas quand tu m’appelles comme ça. Mais tu sais, MarieSophe, ce n’est pas bon de rester toute seule.
— Tu l’es bien toi, tout seul, non ? Tu es malheureux ? Non… et puis, que veux-tu qu’il me trouve ? Je suis moche, je ne ressemble à rien, je ne vois vraiment pas ce qui peut l'attirer chez moi.
— Tu es jolie comme un cœur. J’aurais bien aimé avoir une petite-fille comme toi. Ne laisse pas filer ton bonheur. Moi, il m’est passé devant et je n’ai pas su l’attraper. Crois-moi je l’ai regretté.
Il ne m’a jamais raconté sa vie Charles. J’ai bien envie d’en connaitre davantage, mais il ouvre la porte, me souhaite une bonne soirée et s’en retourne chez lui.
Je grimpe dans ma chambre pour enfiler une tenue plus cool et je remarque que mon voisin d’en face est aussi chez lui. Sa chambre donne sur la mienne et sa lumière est allumée. Je me planque derrière mon rideau et essaie de l’imaginer. C’est à ce moment-là que mon portable sonne.
— Salut, MarieSophe, j'ai fermé la boulangerie, je peux passer chez toi ? Je sais que tu as du pain tout frais, et je t’apporte une terrine de campagne que j’ai préparée, j’ai une bouteille de vin comme tu aimes.
— Bien sûr Archi, tu viens quand tu veux et ça te dit qu’on regarde Netflix, c’est quand même mieux à deux.
Il éclate de rire et raccroche. Finalement, je ne suis pas toujours seule. Archibald, mon meilleur ami, si proche de moi qu’il me connait si bien, débarque souvent comme ça. Je souris. Peut-être que c’est lui mon amoureux et que je ne m’en rends pas compte. Je regarde à nouveau la fenêtre d’en face. Je distingue une deuxième silhouette derrière les rideaux. Ça t’apprendra Marie-Sophie à jouer les curieuses. Pourquoi suis-je déçue ? Ah oui, il m’avait dit que j’avais de jolis yeux. Tu parles !

© Minibulle 7/01/2020