Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

vendredi 23 novembre 2018

Viviane



Deux mois plus tard…

Prune était retournée chez elle et faisait toujours la tête à son mari. L’ambiance n’était pas au beau fixe. Anabelle travaillait toujours avec Thomas. Même si la jeune femme semblait ne plus avoir de vue sur l’architecte, ils restaient très complices de par leur passion commune, leur profession, d’où Prune se sentait exclue.

Muguette avait vendu son agence. Elle s’investissait dans l’activité de sa maman. Ce qui lui faisait un bien fou. La maison était assez grande pour elles deux. Elles s’entendaient à merveille. La grossesse de la jeune femme se déroulait à merveille. Lors de l’échographie, elle avait eu la joie d’entendre le cœur de sa petite fille battre. En effet, quand la gynécologue lui avait demandé si elle souhaitait connaître le sexe de son bébé, elle n’avait pu résister à la curiosité. L’émotion l’avait submergée quand elle avait su. Une petite Muguette vivait dans son ventre. Elle ne voulait pas penser au papa… Pénélope qui l’avait accompagnée lui avait serré très fort la main, elles s’étaient comprises.

Angelo et Félicie filaient le parfait amour. Félicie avait quitté le service des impôts et accompagnait son homme comme elle aimait l’appeler dans sa boutique de fleurs. Les habitués avaient été ravis de la voir et elle s’était très vite sentie à l’aise dans cet univers floral.
Le jeune homme n’avait jamais dit à sa compagne, qu’il rencontrait régulièrement Jasmin. Ils se voyaient souvent pour prendre un café le matin avant l’ouverture du magasin. Félicie arrivant plus tard, ils ne s’étaient jamais croisés. Justement ce jour-là, attablés en terrasse, malgré le temps frisquet, tous deux vêtus de manteaux douillets, ils sirotaient leur breuvage chaud et grignotaient les viennoiseries mises à leur disposition quand une jeune femme vint s’asseoir près d’eux. Elle jeta un œil sur les deux hommes assis à la table voisine.
— Alors si je m’attendais à te retrouver ici Jasmin de La Rochefleurie, quelle surprise !
L’interpellé leva la tête et la dévisageant, son visage s’éclaira :
— Viviane ? C’est bien toi ?
La jeune femme tendit sa joue en éclatant de rire.
— Dis-moi ça fait un bail et tu n’as pas changé, toujours aussi craquant que dans mes souvenirs.
— Tu n’es pas mal non plus.
— Flatteur va !
Elle regarda Angelo qui souriait aussi.
— Non mais, c’est toi Angelo ?  Si je m’attendais à vous rencontrer aujourd’hui tous les deux.
Les deux hommes contemplèrent leur amie d’enfance. Brune aux cheveux longs, elle était restée telle qu’ils en avaient gardé le souvenir. Les yeux rieurs, une fossette au creux de la joue droite quand elle riait. Et surtout, un charme fou qui ne laissait jamais indifférents ceux qui la côtoyaient, mais dont elle n’avait pas conscience.
— Viens t’asseoir avec nous et raconte.
La jeune femme n’hésita pas et s’installa avec eux.
— Pas grand-chose d’intéressant. Je suis mariée, j’ai deux enfants.
— Tu es revenue vivre ici ? demanda Angelo
— Figure-toi que je viens d’être nommée professeur des écoles et j’ai fait la rentrée cette année.
— C’est formidable ça, répondit Jasmin. Tu t’es installée alors ?
— Figure-toi que j’ai trouvé une superbe maison grâce à une agence immobilière géniale. Je n’ai pas attendu longtemps pour que la gérante me déniche mon coup de cœur.
Jasmin baissa la tête et pensa aussitôt qu’il s’agissait de Muguette. Angelo poursuivit :
— Quelle est la profession de ton mari ?
— Comédien.
Les deux hommes éclatèrent de rire.
— Connu ? Il passe à la télé ?
— Vous êtes comme les fans vous ! Oui, il est connu, et il passe surtout au cinéma.
Elle sortit de son sac une photo. Jasmin et Angelo ne purent retenir un sifflement admiratif. En effet, l’homme qu’ils avaient devant les yeux étaient la vedette du moment.
— Pas trop difficile de vivre avec une célébrité ?
— Il nous assez protégés les enfants et moi. Je pense que personne ne sait que je suis sa femme.
Angelo regarda sa montre discrètement et se leva :
— Désolé de vous laisser, mais j’ai une boutique de fleurs à ouvrir. Viviane, si tu as le temps, un de ces jours passe nous voir ma compagne et moi.
Il glissa une carte sur la table et l’embrassa sur la joue.
— A bientôt j’espère !
Jasmin et la jeune femme restèrent seuls.
— Et toi raconte, que deviens-tu ? Es-tu marié ?
— Non, je vis toujours dans la grande propriété et je suis directeur des Impôts.
— Toi ? Directeur des Impôts ? Mais il me semblait que tu voulais reprendre le vignoble de ton grand-père ?
Viviane tout en grignotant son croissant regardait son ami toute surprise.
— Toi qui aimais le grand air et les vignes, comment en es-tu arrivé aux impôts ?
— Une longue histoire.
— Pas de compagne, pas d’enfants ?
— Non, libre comme l’air.
Ils se regardèrent en silence puis Viviane murmura :
— Je suis désolée de t’avoir laissé comme ça, mais je n’ai pas pu t’en parler.
Elle essuya les miettes qui étaient tombées sur son manteau.
— C’est vrai que j’étais amoureux de toi, mais je crois qu’Angelo aussi.
Il sourit à ce souvenir.  
— Enfin, moi, c’était de toi que j’étais amoureuse.
— Oui je sais et tu m’as brisé le cœur…
En disant cela, il sourit.
— Un joli souvenir de jeunesse.
— Tu étais mon premier amour quand même et j’ai mis du temps à t’oublier.
 Vrai ? Tu étais amoureuse de moi ?
— Ne me dis pas que tu ne le savais pas. Tu as été le premier tu le sais bien.
— Oui, et ce n’était pas une réussite, tu te rappelles ?
Apparemment les souvenirs n’étaient pas les mêmes pour la jeune femme. Elle se leva un peu déçue. Il fit de même et ils se retrouvèrent face à face.
— Nous pourrons nous revoir si tu veux Viviane, je serais heureux de connaître tes enfants. Tu ne m’as pas dit, garçon ou fille ?
— Les deux et des jumeaux. Ils ont vingt ans.
— Waouh, félicitations ! Tu as bien de la chance, moi ce bonheur m’est refusé.
Il secoua la tête comme pour chasser un insecte imaginaire.
— Pourquoi refusé, demanda Viviane ? Attends de trouver la femme de ta vie et tu verras ça arrive plus vite qu’on ne le pense, j’en sais quelque chose.

— Maman ohé nous sommes là !
Viviane se retourna et sourit aux jeunes gens qui arrivaient face à elle. Jasmin fit de même et se figea sur place.
— Je te présente Jasmin mon fils et sa sœur Fleur.


vendredi 16 novembre 2018

Dis Malou, tu m'écris une histoire



Quand Millie est arrivée chez Malou, elle avait des dessins plein son sac. Avec un regard à la « chat Potté » elle murmura :
— Tiens Malou, je t’ai apporté ça, tu pourras inventer une histoire et la mettre sur ton blog, tu sais avec Muguette.
Malou regarde Millie et saisit les dessins.
— Ils sont beaux ? demande avec anxiété Millie
— Bien sûr ma choupinette qu’ils sont beaux.
— Tu vas écrire une histoire ?
— Là tout de suite ?
— Oui pourquoi tu ne peux pas ?
Malou regarde Millie et sourit.
— Tu sais, il faut d’abord que je regarde bien tes dessins et qu’une histoire me vienne en tête.
— Quand tu écris sur Petit Paul tu n’as pas des dessins et en plus, Petit Paul il n’existe pas alors que moi j’existe.
— Tu aimes bien Petit Paul ?
— Oui. Maman me raconte les histoires parce que je ne sais pas encore lire.
— D’ailleurs, c’est moi avec Petit Paul ?
Malou sourit mais ne répond pas.
— Tu dis rien ? T’es fâchée ?
— Non, je réfléchis !
— Pour mon histoire ?
— As-tu une idée ?
— Ah non, c’est toi qui dois avoir les idées.
— Pourtant tu aimes bien raconter et inventer des histoires.
Millie sourit à son tour et vient se blottir dans les bras de Malou.
— Et si nous inventions ensemble ? demande Malou
— Avec Panpan ?  (Panpan est le lapin doudou de Millie)
— Si tu veux.
— Tu as vu la bleue, elle a des ailes.
— Oui, on pourrait l’appeler Maya l’abeille. Elle n’a pas le corps d’une abeille, mais on peut croire qu’elle s’est habillée autrement pour aller danser.
— Bonne idée, s’enthousiasme Millie.
— Elle rencontre alors sa copine avec le chapeau.
— Oui celle qui a chien. Et pourquoi il ne lui volerait pas son chapeau le chien ?
— Tu as raison, et Maya va le rattraper puisqu’elle …
— Non, c’est Panpan qui va rattraper le chapeau parce qu’il court vite.
— D’accord.
— Et celle qui a la couronne, c’est la princesse. Elle va être en colère parce que Maya l’abeille lui tourne autour et qu’elle est allergique. Elle a peur de se faire piquer.
— Tu en as des idées dis-moi ! alors, je récapitule.
Malou commença alors l’histoire.

— Il était une fois, une princesse qui était allergique aux piqures d’abeilles. Un jour, une petite bestiole habillée de bleue vint bourdonner à ses oreilles. Prise de panique, elle hurla qu’il ne fallait pas qu’elle s’approche d’elle parce qu’elle avait peur des abeilles et que si elle se faisait piquer, elle deviendrait toute rouge. Sa copine « Soleil » habillée toute en jaune essayait de la calmer quand arriva en courant un lapin qui portait un chapeau. Surprise, la princesse en oublia de crier et Maya en profita pour se poser sur sa tartine de miel parce qu’elle adorait ça. Soleil essaya de la chasser quand arriva en courant la fille sans chapeau.
— Excusez-moi Princesse, vous n’auriez pas vu mon chapeau ?
— Si, regardez le lapin là-bas, c’est lui qui est arrivé avec.
— Merci, je vais essayer de le récupérer parce qu’il y a du soleil aujourd’hui.
— Oui je sais, c’est moi qui le fais briller.
Soleil toute fière se dressa de toute sa hauteur pour bien montrer qui elle était. Mais la fille au chapeau se mit en colère :
— Vous feriez mieux de chauffer moins, sans chapeau, je vais attraper mal à la tête.
— Je ne suis pas d’accord, sans soleil, il n’y aura plus de fleurs, et moi je ne pourrais plus rapporter du pollen pour ma reine, butina Maya.
La princesse regarda la bestiole bleue, son amie Soleil et la fille au chapeau sans chapeau.
— Vous n’êtes jamais contentes. Quand il pleut, vous vous mouillez, quand il fait chaud, vous vous brûlez, alors que faut-il faire ?
— C’est vous la princesse, c’est vous qui décidez ! rétorqua la fille au chapeau sans chapeau.
— Un peu de soleil, un peu de pluie, vous serez contentes ?
— D’accord, répondit Panpan que tout le monde avait oublié, du moment que les carottes poussent, moi je suis content !

Millie applaudit et rit.
— Tu es formidable Malou. Tu vas la publier l’histoire ?
— Oui ma Pitchounette. Je peux mettre tes dessins aussi ?
— Sur ton blog ?
— Oui.
— Avec Petit Paul et Muguette ?
— Oui.
— Trop contente !




lundi 12 novembre 2018

Une page se tourne


— Tu crois qu’il va venir ?
Muguette tournait en rond dans la cuisine. Pénélope, sa maman, préparait le petit déjeuner pour ses hôtes. Elle recevait une famille, un couple et deux enfants. Malgré le temps incertain, l’attrait de l’océan faisait toujours recette. Elle ne répondit pas à sa fille. La jeune femme se précipita pour la énième fois à la fenêtre. Le ciel était bleu. Il faisait beau. Elle entendait les mouettes qui comme d’habitude la saluait. Quand son portable bipa, elle sursauta.
— Alors ma Mug ? Prête ?
— Coucou Félicie. J’ai une peur tu ne peux pas savoir. Déjà une semaine que je lui ai laissé le message pour qu’il vienne me retrouver aujourd’hui. Pas de réponse. Rien.
— Angelo ne l’a pas vu. Je ne peux pas te rassurer Mug. Alors, comment vas-tu lui annoncer la nouvelle ?
— Il le sait déjà non que je suis enceinte ! Je ne vois pas ce qui a de changé.
— Tu as raison. Pourquoi pense-t-il alors qu’il n’est pas de lui ? Pourtant quand tu lui as annoncé ici, il était ravi et ne s’est pas posé de questions ?
— Je ne comprends pas Félicie ! Quand je pense que son grand-père a traité mon enfant de bâtard, sans me connaître en plus ! Je n’arrive pas à l’avaler.
Pénélope toucha l’épaule de sa fille et lui indiqua une voiture qui remontait l’allée. Muguette reconnut celle de Jasmin.
— Il arrive Félie ! Je raccroche et je te tiens au courant. Pense à moi !
Les mains moites, elle saisit une serviette en papier sur la table pour se les essuyer. Derrière la vitre, elle contempla son chéri qui descendait. Comme il était beau. Pénélope, curieuse, le regardait aussi et chuchota à l’oreille de sa fille :
— Bel homme, je te l’accorde ! Va l’accueillir ma chérie !
Muguette ouvrit la porte. Jasmin leva la tête et l’aperçut. Elle allait courir vers lui quand elle se rendit compte qu’il ne souriait pas et qu’il ne faisait aucun geste pour l’aborder. Elle attendit alors qu’il soit devant elle pour lui dire bonjour. Elle lui tendit sa joue qu’il embrassa distraitement.
— Bonjour Muguette.
Le ton était froid et son regard avait pris la couleur de l’orage. Le caractère de la jeune femme reprit le dessus et oubliant ses bonnes résolutions, elle attaqua bille en tête.
— Tu viens ici et tu me fais la tête alors que nous ne nous sommes pas vues depuis une semaine ?
Surpris, parce que bêtement il avait pensé qu’elle ferait profil bas et lui offrirait ses plates excuses pour la gifle donnée à son grand-père, il faillit faire demi-tour.
Pénélope ayant entendu la réplique de sa fille sortit et accueillit l’amoureux de sa fille en souriant.
— Bonjour, je suppose que vous êtes Jasmin. Je suis Pénélope, la maman de Muguette. Entrez, je vous en prie, j’ai fait du café et quelques viennoiseries vous attendent sur la table si le cœur vous en dit.
En disant cela, elle tendait la main, qu’il saisit aussitôt. Il la suivit et passa près de Muguette sans la regarder.
La rage au cœur, la jeune femme lui emboîta le pas.
— Vous avez fait bonne route ?
— Oui, je vous remercie.
— Sucre dans votre café ?
— Non merci, je le préfère sans pour savourer tout son arôme.
— Vous avez raison, je fais de même. Un croissant peut-être ?
Il saisit la viennoiserie en se rendant compte qu’effectivement il avait faim. Il laissa promener son regard sur la cuisine en évitant le regard de Muguette. Pénélope le pria de l’excuser, elle devait s’occuper de ses vacanciers. Elle les laissa seuls non sans glisser un clin d’œil vers sa fille.
Celle-ci laissa Jasmin déguster son croissant sans mot dire. Elle se planta devant la fenêtre et regarda au loin. Il termina tranquillement son café.
— Tu désirais me parler, je t’écoute.
Déstabilisée par le ton employé, elle resta muette.
— Je ne compte pas rester toute la journée, alors abrège si tu veux bien.
Surprise par le ton, elle se rebiffa.
— Bon tu ne me parles pas comme ça d’accord.
Elle respira à fond et se lança.
— Je suis partie parce que je ne voulais plus te voir. La manière dont ton grand-père m’a traitée est inqualifiable. Il ne me connaît pas et…
— Je ne peux pas avoir d’enfant Muguette, alors, on arrête là tes histoires. Tu as voulu me faire endosser une paternité qui ne me concerne pas. Mon grand-père sait depuis longtemps que je suis stérile, il est normal qu’il n’accepte pas un « bâtard » dans la famille.
La gifle claqua sur la joue de Jasmin. Muguette siffla :
— Mon enfant n’est pas un bâtard comme tu l’appelles. Il est de toi. Mais puisque tu ne veux pas me croire, que tu t’imagines que je suis une vulgaire traînée, alors va-t-en mais surtout ne cherche plus jamais à avoir des nouvelles de ton enfant. Il sera à moi, je l’élèverai seule et tu n’auras rien à me dire.
— Tu me prends vraiment pour un imbécile ?
— Mais enfin, je sais avec qui je couche non ? Je te répète et c’est la dernière fois, que cet enfant est de toi. As-tu les preuves de ce que tu dis au moins ? Parce que moi, je suis certaine de ce que je t’annonce. Et au fait pourquoi à l’apéro chez Félicie et Angelo, tu étais heureux ? Qu’y a-t-il de changé ? Puisque tu sais depuis longtemps que tu es stérile, tu aurais dû me poser la question ce soir-là non ?
Jasmin ne répondit pas. Muguette éleva le ton.
— Va-t’en je ne veux plus te voir. J’avais espéré…
La jeune femme s’interrompit.
— Muguette, peux-tu comprendre que je …
— Non, je ne comprends pas. Tu ne me fais pas confiance, ça je l’ai compris. Alors pars, et ne cherche plus jamais à me revoir, ni moi, ni ton enfant.
La jeune femme lui tourna le dos et disparut.
Comment pouvait-il être aussi con ! Il s’en voulait de ne pas la croire. Mais la voix de stentor de son grand-père résonnait encore à ses oreilles.
— Tu es stérile mon pauvre Jasmin, tu ne pourras jamais avoir d’enfants. J’espère que ta sœur pourra nous faire un garçon qui aimera les vignes et pourra reprendre le flambeau. Hélas, je ne le verrais pas. Je refuse que ta copine te fasse endosser un gamin qui n’est pas le tien et qui plus tard pourrait revendiquer une part de mes vignes. Je veux du vrai sang De La Rochefleurie, pas du n’importe quoi ! Tu as vu comme elle m’a giflé ? On ne frappe pas un vieil homme !
Jasmin se repassait en boucle ces mots. Il devait en avoir le cœur net. Il allait faire ce foutu examen. Et si son grand-père lui avait menti, comment le dire à Muguette ?  Comment revenir vers elle ? Il craignait de trop souffrir et de ne pas voir son enfant grandir. Il était certain qu’elle refuserait de le recevoir. Alors pourquoi faire cet examen, puisque de toute façon, il ne la verrait plus ? La tête basse, il reprit sa voiture et disparut.
Jusqu’au bout, elle avait pensé qu’il reviendrait vers elle. Le voilage d’une chambre du haut retomba doucement, comme le rideau qui se ferme après un acte d’une pièce de théâtre.


vendredi 2 novembre 2018

Les souvenirs de Muguette



C’est l’odeur de pain grillé et de café qui réveilla Muguette. Elle ouvrit les yeux et écouta.
C’était bien lui qui ronflait au loin. Elle l’entendait comme si elle y était. Elle referma les yeux et se souvint.
Elle était toute petite, deux ans à peine, mais le souvenir restait bien présent. Elle essayait de courir dans le sable, et elle riait aux éclats, parce que les vagues venaient lui lécher les chevilles. Il ne faisait pas chaud, et maman répétait qu’elle allait prendre froid et qu’on n’avait pas idée d’emmener une pitchounette comme ça sur une plage en novembre. Mais papa riait. Il disait à maman qu’elle avait ses bottes jaunes à petits pois, qu’elle avait son ciré et sa capuche avec son bonnet dessous, qu’elle ne risquait rien et qu’il fallait bien qu’elle s’habitue à l’océan. Lui, il l’aimait tant…Il le prenait en photo tout le temps. D’ailleurs, c’était son travail à son papa. Qu’est-ce qu’il faisait de jolies photos. Elle se rappelle les jolis sourires qu’il lui demandait de faire devant l’appareil…
Muguette laissa échapper une larme et rageuse l’essuya. Elle gardait toujours les yeux fermés pour essayer de garder l’image de son papa, d’entendre encore et encore son rire, sa voix, et de sentir ses bras autour d’elle. Elle rageait de perdre peu à peu ses sensations. Trente-trois ans qu’elle voulait à tout prix garder en elle son image. Il y avait bien les albums photos, mais c’était avant sa naissance. Dès qu’elle était née, les photos avec ses parents emplissaient les pages. Le bonheur sortait de l’album tellement il y en avait. Et puis… plus rien.
Elle avait deux ans et un peu plus quand il était parti au ciel…
Elle l’avait cherché longtemps dans l’immensité étoilée, mais ne l’avait jamais trouvé. Elle était restée seule avec sa maman, Pénélope.
Elle sourit en pensant qu’elle portait bien ce prénom, sa mamounette. Elle était restée fidèle à … Ulysse. Oui, son papa s’appelait Ulysse. Prénom peu répandu et pourtant il en était fier. Muguette se rappelait qu’elle arrivait à le prononcer et ça faisait rire son père parce que ça ressemblait plus à « Hue Hisse ».
Pénélope et Muguette, Muguette et Pénélope. Inséparables, fusionnelles. Un amour sans limite. Comment se faisait-il que la jeune femme n’en parle jamais ? Qui pouvait deviner qu’elle avait une maman à qui elle téléphonait tous les jours, à qui elle se connectait sur skype chaque soir ? C’était preuve de faiblesse ça, et Muguette était une femme forte. Alors quand le grand-père de Jasmin l’avait traitée comme une moins que rien, son seul refuge ne pouvait être que chez Pénélope.
Elle se tourna dans le lit et ouvrit les yeux. Elle regarda sa chambre. Toujours la même, avec sa pile de livre en équilibre, sur son bureau. Une œuvre d’art comme répétait Pénélope. Une photo encadrée de l’océan prise par Ulysse, un soir d’orage. Une armoire avec des cartes postales épinglées sur la porte. Un peignoir rouge accroché sur la patère. Un bouquet de fleurs séchées.
Un grattement familier à la porte qui n’était pas fermée la fit sourire. Blacky s’impatientait. La jeune femme n’eut qu’un mot à dire pour qu’une boule blanche la bouscule, saute sur le lit et se mette à la lécher tout en sautant sur elle en jappant de joie.
— Je vois que tu es réveillée ma chérie, je peux t’apporter ton petit déjeuner.
— Attends maman, je peux descendre quand même, ne t’embête pas.
— Regarde, j’ai préparé ton plateau préféré.
Muguette regarda sa maman et lui tendit les bras. Elle se ressemblait toutes les deux. Brune, avec quelques fils d’argent pour Pénélope, mais c’était les mêmes. Après s’être serrées dans les bras affectueusement, Muguette s’adossa contre ses oreillers et entreprit de commencer son petit déjeuner devant le regard du westie qui espérait bien un peu de la brioche qui chatouillait son odorat depuis que Pénélope était entrée.
 Félicie a appelé.
Muguette s’étrangla avec son café.
 Félicie ?
 Tu devais bien te douter qu’elle savait où tu allais te cacher.
 Qu’est-ce-que tu lui as dit maman ?
 De rappeler, que tu dormais encore.
Pénélope regarda sa fille.
— Muguette chérie, tu ne peux pas te cacher comme ça indéfiniment. Pour ton bébé, il faut…
— Je sais. Je ferais ce qu’il faut pour lui. Pour l’instant, je veux rester ici. Je n’avais pas de rendez-vous important et je peux travailler d’ici.
— Je ne m’inquiète pas pour ça ma chérie. Tu peux rester ici le temps que tu voudras. J’ai des vacanciers qui viennent mais tu ne seras pas dérangée.
Pénélope tenait une chambre d’hôtes. Elle avait quatre chambres à disposition des touristes qui passaient régulièrement. Elle gérait toute seule ce qu’avec son mari, ils avaient monté ensemble. Mais elle s’en sortait. Forte et courageuse, elle n’avait jamais baissé les bras et avait élevé toute seule Muguette.
— Si on allait le voir ?
Pénélope savait parfaitement à quoi elle faisait allusion.
— Je t’attends en bas.
Muguette termina son café et une brioche à la main, elle sortit du lit au grand désespoir de la chienne qui dut le quitter aussi. Elle fila sous la douche.

— Elle est là ?
Pénélope regardait le jeune homme qui lui faisait face. Elle le connaissait bien. C’était Bob, l’inséparable ami de sa fille. Elle le fit entrer.
— Comment va-t-elle ?
— Tu veux un café ?
— Si vous ne me répondez pas c’est qu’elle va mal.
Pénélope lui servit une tasse.
— Tu as fait tout ce chemin pour la voir ? Tu as roulé de nuit ?
— J’ai rencontré son mec.  Il ne va pas bien du tout.
— Bob ?
Muguette en jeans et sweatshirt l’interrogeait du regard.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Après ton coup de fil, je n’ai pas pu m’empêcher de venir te voir. Muguette, il faut que tu reviennes. Ton mec n’est pas au top. Et je crois qu’il t’aime vraiment.
— Tu connais l’histoire ? Je ne pense pas qu’après avoir flanqué une gifle à son grand-père, il me pardonne aussi facilement.
— Tu sais que depuis qu’il a eu les oreillons, il est stérile ? Il m’a raconté ça devant un café. Une histoire de fous quand même et en plus c’est amusant parce que moi qui avais fait le malin quand j’étais venu avec Marlène te raconter que je ne pouvais pas avoir de gosses. Il y a plus malheureux que moi finalement, jamais je n’aurais dû rigoler avec ça. Mais je ne voulais pas de gosse avec Marlène, je n’ai trouvé que cette blaguasse pour qu’elle me foute la paix. D’ailleurs, c’est fini entre nous, elle m’a saoulé. En plus je n’avais pas réfléchi, que du coup, elle pouvait tomber enceinte. Mais qu’est-ce-que tu as ? Tu es toute pâle ?
Muguette ouvrit grand les yeux et posa ses mains sur son ventre.
— Mais ce n’est pas possible…
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il n’est pas possible ?
— Je suis enceinte.
Ce fut autour de Bob d’ouvrir des billes grandes comme des soucoupes.
— Ben alors là ma vieille, qu’est-ce que t’as foutu ?
— Ah non, tu ne vas t’y mettre toi aussi. Mon gosse n’est pas un bâtard ok ?
Pénélope alertée par le bruit accourut dans la cuisine.
— Dis-lui maman que mon bébé ne sera jamais un bâtard.
Muguette s’effondra en pleurant.
— Vous le saviez vous que Jasmin était stérile ?
Ce fut au tour de Pénélope de s’interroger. Muguette, en larmes, regarda son ami et murmura :
— C’est toi le père alors !
Bob se laissa tomber sur la chaise et éclata de rire.
— On ne me l’avait jamais faite celle-là ! Je le saurais quand même si je t’avais fait un gosse non ?
— Tu te rappelles le soir où tu as embarqué Anabelle ?
— Oui et alors ?
— On a bu et …
Muguette se tut rouge de honte. Pénélope se tourna vers Bob et l’apostropha :
— Et ? Tu as fait quoi à ma fille ?
— Rien.
Muguette s’énerva :
— Rien ? Je me suis quand même réveillée dans ton lit.
— Oui mais bourré comme j’étais, je ne risquais pas de te faire un gosse. Et puis Muguette, je n’aurais jamais couché avec toi, tu es comme ma sœur.
— Tu es certain ?
— Certain.
— Alors mon bébé est de Jasmin.
— C’est pas gagné pour lui faire avaler ça dis-moi !