Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

samedi 22 juin 2019

Rencontre inattendue face à l'océan



Histoire écrite avec les mots dans l'ordre de leur proposition


Elle est bien bonne celle-là !
Alors que je devais passer une journée sereine à lézarder sur la plage face à l’océan, ne voilà-t-il pas qu’un homme triste à souhait avec une mine de six pieds de long venait s’asseoir près de moi.
— Je ne vous dérange pas ?
Polie, je rétorquais que la plage était à tout le monde.
— Vous pouvez rester comme ça à regarder les vagues ? Moi je ne pourrais pas.
— Je ne vous le demande pas !
— Il me rend dépressif !
L’envie me démange de le planter là, mais un gamin tout excité arrive avec son seau, sa pelle et son râteau. Il s’installe face à nous et commence à creuser. Évidemment, mon voisin ne peut pas s’empêcher de l’asticoter :
— Tu es tout seul ? Tu ne peux pas aller plus loin, tu me déranges. En plus, tu me balances plein de sable sur les jambes.
Je faillis lui répondre que c’était lui aussi qui s’était installé à côté de moi, mais comme je n’avais pas envie de m’enguirlander avec lui, je me tus. C’était une superbe journée ensoleillée, je souhaitais en profiter. Je me demandais si je n’allais pas changer de place quand le gamin rétorqua :
— Je ne suis pas tout seul. Mes amis vont arriver.
Je souris in petto. Il ne va pas apprécier le stressé d’à côté, surtout qu’une troupe de garçons et filles déboulaient en riant et en se bousculant. Comme au ralenti, je vis alors mon voisin se lever et leur faire signe qu’il fallait partir plus loin. C’est qu’il grognait le bougre. À croire que l’océan lui appartenait et qu’il ne voulait absolument pas le partager.
— Pourquoi on ne peut pas se mettre là ? t’as réservé ? C’est écrit ton nom ?

Hou la, ça va se gâter. Moi qui rêvais d’une matinée tranquille pour oublier que ma voiture avait joué à la capricieuse en ne voulant pas démarrer, c’était raté. Elle m’avait filé le bourdon cette coquine rien qu’à penser aux réparations à venir. Elle n’est plus toute jeune ma titine. Du coup, pour évacuer mon humeur morose, j’avais emprunté la route de la plage à pied. J’étais heureuse de pouvoir profiter de cette journée en solitaire face à l’immensité du grand bleu. En passant devant la boulangerie, j’avais salué la propriétaire. Elle est amusante, Josette, elle désire toujours parler d’jeunes. J’ai beau lui dire que notre langue est chantante et belle à souhait, elle n’arrête pas de faire des phrases bizarres. Tiens aujourd’hui encore, elle m’a balancé un « cavaplutôtpasmal » au lieu de me dire ça va bien.

Mais revenons au malotru d’à côté qui ne semble pas vouloir lâcher sa place.
— Mais comment elle me parle la gamine ! Vous en pensez quoi vous ?
C’est à moi qu’il s’adresse là ? Je m’amuse de sa tête renfrognée et réponds sachant que je vais l’agacer davantage.
— Comme ci comme ça.
— Ce n’est pas une réponse, répondez à la question.

Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire.
— Allons calmez-vous ! Vous avez des enfants ?
Je ne l’imaginais pas me répondre de cette façon enthousiaste. Ce n’était plus le même homme, je n’en revenais pas.
— Oui, j’en ai 3. Une fille et deux garçons.
— Alors vous devriez comprendre que ces gosses ont envie de faire des châteaux de sable.
— Oui, mais pas devant moi. Regardez j’ai amené avec moi tout mon matériel. Comment voulez-vous que je peigne maintenant s’ils sont toujours face à moi à bouger dans tous les sens.
Je n’avais pas remarqué qu’il était arrivé avec tout son attirail.
— Vous disiez tout à l’heure que vous étiez dépressif devant l’océan et vous allez passer votre temps à le peindre ? Je ne comprends pas.
— C’est une commande et ma cliente est impatiente. J’avoue ne jamais l’avoir fait auparavant.
— Quel dommage !
— Bref, ce n’est pas tout ça, je dois m’installer et ces gamins m’embarrassent la vue et l’esprit.
— Zen mon bon monsieur ! Il fait beau, le soleil brille, tout va bien. Non ?
Il maugréa dans sa barbe. Enfin, façon de parler, parce qu’il n’en avait pas.

Je le regardais poser son chevalet. J’avais envie de rire. Il n’allait pas rester longtemps. C’était la marée montante et les rouleaux se rapprochaient à vue d’œil. Les enfants qui avaient construit de beaux châteaux n’en avaient cure. Au contraire, ils espéraient bien que l’eau petit à petit allait s’engouffrer dans leurs remparts. Leur bonne humeur me ravissait le cœur et me donnait l’enviederienfaire de la journée.

Tout en surveillant l’océan qui grignotait peu à peu la plage, je jetais des coups d’œil discrets au peintre installé à côté de moi. Complètement habité par son art, il ne faisait plus attention à ce qui l’entourait. Quand une vague plus coquine que les autres recouvrit les châteaux des gamins, déclenchant leurs éclats de rire, mon voisin s’écria, horrifié.
— Vais-je devoir déménager ?
— Vous devriez même vous hâter.
Je me levais d’un bond pour éviter que ma serviette ne soit trempée. L’inconnu lui, n’eut pas cette chance. Palettes, pinceaux et toile posés près de lui furent balayés en un rien de temps. Les enfants qu’il avait tant invectivés plus tôt vinrent aussitôt l’aider à ramasser son matériel. Heureusement, le chevalet avait résisté. Curieuse, je jetais un coup d’œil. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un paysage bucolique au lieu d’une immensité bleue.
— Oui je sais, je n’ai pas peint ce qu’elle voulait.
— Mais pourquoi ? En tout cas, vous avez un don c’est indéniable. Ce paysage ne ressemble en rien à ce que vous avez devant vous. Vous avez tout imaginé.
— J’ai l’habitude.
— Quel talent vraiment.
Je regardais autour de lui et constatais que ses affaires récupérées par les enfants s’étaient éparpillées. Je les rassemblais près de lui et remerciais les gamins qui recommencèrent à creuser avec patience.
Stupéfaite, je contemplais l’homme qui continuait à peindre, mais quelque chose clochait. Son chevalet avait bougé, il n’était plus face à l’océan, mais cela ne semblait pas le déranger.
J’installais donc ma serviette plus loin.

— Vous ne parlez plus ? Seriez-vous déprimée à force de le regarder ? Je vous avais prévenue.
Je ne comprenais pas à qui il s’adressait, il ne me regardait pas. Il devait vraiment être habité par sa création.
Il reprit, lâchant sa toile des yeux et se penchant vers l’endroit où j’étais assise auparavant.
— Je vous trouve bien calme.

Alors je compris. Cet homme était aveugle. Ses lunettes noires m’avaient leurrée. Il ne semblait pas vouloir que je m’en aperçoive. Je m’approchais de lui.
— Je vous regardais peindre.
Il tourna aussitôt la tête vers moi, surpris.
— Vous m’avez fait peur. Vous avez une jolie voix, je m’en rends compte à présent. Avec le chahut des enfants, je ne vous avais pas entendue. Musicale à souhait, elle fait plaisir à écouter.
Heureusement qu’il ne me voyait pas rougir. Je sentais mes joues devenir brulantes. J’avais oublié que ses autres sens étaient exacerbés, il éclata de rire.
— Ne rougissez pas.
— C’est le soleil, j’y suis très sensible.
— Si vous le dites.

Je le regardais faire. Son travail était splendide. Rien à voir avec une marine, mais ce paysage était… je m’approchais plus près et constatais avec surprise que peu à peu le ciel bleu se mêlait à ce qui paraissait être… mais oui la mer… Je restais fascinée.

— Vous peignez aussi ?
— Pas du tout, j’ai deux mains gauches pour le dessin.
— La peinture n’est pas du dessin.
— Quand même ça y ressemble un peu. Je n’ai guère d’imagination pour ce genre de travail.
— Je suis certain que vous en avez pour d’autres.
Il continuait à me parler alors que son pinceau virevoltait sur sa toile.

— Fermez la bouche.
Comment diable avait-il pu se rendre compte que je l’avais gardée ouverte tout en contemplant l’œuvre qui prenait forme.
Tout à coup, il stoppa son travail et appela les enfants qui bavardaient plus loin toujours affairés à leurs châteaux.
— J’entends le marchand de glaces. Tenez, je vous donne un billet, allez vous faire plaisir.
Surpris par sa générosité, ils ne comprirent pas tout de suite.
— Je suis certain qu’il y a une petite gourmande parmi vous, me serais-je trompé ?
Les garçons se tournèrent vers une blondinette qui se pourléchait déjà les babines.
— Je te sens motivée pas vrai ? Allez filez, c’est moi qui régale !

Les enfants ne se firent pas prier et détalèrent.
— Vous aviez l’air d’un ours mal léché tout à l’heure, et maintenant vous leur offrez des glaces ?
Pensive, je le regardais. Il rangeait ses affaires. S’il ne voyait rien, il était extrêmement doué. Je ne parvenais pas à imaginer vivre sans contempler le soleil. Rien que les jours de pluie où il faisait sombre, je perdais le moral alors…
— Ce n’est pas vous tout à l’heure qui me disiez d’être zen ! Je ne suis pas malheureux. Je suis malvoyant depuis ma naissance. Ce n’est pas un accident. Je ne connais donc pas toutes ces choses dont vous n’arriveriez pas à vous passer. Les parfums, les ambiances, les sons me chantent une belle musique dans la tête.
— Comment avez-vous su que je m’étais rendu compte de votre handicap ?
— Lorsque vous vous êtes approchée de moi. Je n’étais pas tourné du bon côté.
— Je suis désolée.
— Ne le soyez pas. C’est ma vie. Je suis heureux et pas nostalgique du tout. De quoi pourrais-je l’être d’ailleurs ?

Il avait remballé ses affaires. Les enfants revenaient avec leur glace. Ils le remercièrent chaleureusement.
— Alors ces parfums ?
Sans se tromper, il désigna le chocolat, la fraise, l’abricot et la vanille. Il salua tout ce petit monde et se tournant vers moi il dit :
— Méfiez-vous de ne pas vous faire bousculer par une vague.

Je n’eus pas le temps de ranger ma serviette, je perdis l’équilibre et me retrouvais trempée des pieds à la tête. Il éclata de rire tout comme les enfants, ravis de voir que leurs châteaux tenaient encore debout, eux !


vendredi 21 juin 2019

Chez Frédo ça sent l'été ou Pagnol ?



— Il est où l’été tu peux me le dire ?

Le soleil n’est pas dans le ciel, ça, c’est sûr. Du coup, les deux commères n’ont pu aller s’installer sur leur banc habituel pour commenter. Mais elles ont de la ressource. Elles se sont retrouvées au bistrot du coin chez Frédo. Il n’est pas mal non plus, le bonhomme, il est au courant de tout. Mais il faut lui arracher les vers du nez, il n’est pas bavard. C’est drôle pour quelqu’un qui sert des bières et du café à longueur de journée, mais c’est ainsi. Frédo, il sait tenir sa langue.

— Salut Frédo, ça va bien ce matin ?
— Bonjour les filles.

Ginette et Augustine sont restées célibataires. Elles sont voisines depuis des lustres. Elles affichent fièrement leurs soixante-dix ans, parce qu’elles ne portent pas de lunettes, marchent sans canne, et ont gardé une certaine sveltesse. À peine quelques cheveux gris parsèment leur coiffure. La vie les a épargnées mais elles, elles n’épargnent personne.

— Alors, Frédo, que nous racontes-tu ?
— Il ne fait pas beau aujourd’hui. Tu vas participer à la fête de la musique ?
— Tu nous sers deux cafés s’il te plait. Ah, tu n’as plus de croissants ? Je t’avais prévenue, Ginette, que nous devions arriver plus tôt !
— Tu devrais en prévoir davantage Frédo, tu vas perdre de la clientèle sinon ! Pour ce que j’en dis après tout ça ne me regarde pas.

Il ne répondait jamais, il n’en avait pas le temps. D’ailleurs, il se demandait si les deux femmes s’en rendaient compte.

— Tu ne réponds pas ? Tu fais la gueule ?
Finalement, si, elles faisaient attention à lui.

— La fête de la musique est sur la place comme d’habitude.
— Tu pourrais inviter le soleil…
— Ce n’est pas moi qui le commande.
— Je te signale quand même Ginette que le soleil ne fait pas partie forcément de l’été.
— Tu es sérieuse ? Hiver neige, printemps oiseaux qui gazouillent et soleil, été encore plus de chaleur, automne feuilles qui tombent. C’est comme ça depuis la nuit des temps.
— Tu n’as pas remarqué que les spécialistes racontent que la terre se réchauffe et du coup qu’il fait plus chaud ?
— C’est bien ce que je dis, il faut le soleil et aujourd’hui, il s’est fait la malle.

Au fond du café, le vieux jukebox se mit en marche et la chanson de « Au p’tit bonheur » résonna. https://www.youtube.com/watch?v=3uStC_JW4XU

— Ah tu vois ! Qui a mis cette chanson ?
Comme personne ne répondait, Ginette balaya la salle de son regard de lynx.
— C’est toi César qui m’a fait la blague et qui te terre dans ton coin ? Ne baisse pas la tête, je t’ai repéré. Merci quand même ! J’ai appris que Baudelaire disait « L’été est une saison qui prête au comique. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais cela est. » Tu es comique de ne pas te dénoncer. Tu n’es plus à l’école.
— Tu connais Baudelaire toi ?
— Je ne suis pas ignare, qu’est-ce que tu crois ?
— Dis aussi que moi aussi je le suis.
— C’est toi qui le dis, ce n’est pas moi !

— Oh, les commères, vous allez vous taire ? J’aimerais bien prendre mon p’tit noir tranquille. L’été, c’est la saison des moustiques et des mouches. Vous êtes pires que ces saletés d’insectes qui colportent tout et n’importe quoi.
— Râle pas Marius ! T’es bien content de pouvoir t’installer sur la terrasse et de pouvoir jouer aux cartes avec tes potes.
— Je tape aussi le carton l’hiver.
— Allez, avoue que l’été c’est mieux pour reluquer les filles qui passent devant ton nez. Vu qu’il fait chaud, hein, tu m’as comprise. Ta femme pique sa crise de jalousie après, je l’ai entendue râler la semaine dernière.
— T’es une vraie vipère Augustine. Je comprends pourquoi t’as pas trouvé d’homme.
— Ah c’est certain qu’il ne serait pas venu souvent jouer avec nous celui qui t’aurait comme épouse, ricana César.
— Allez allez les amis, les interrompit Frédo, ne vous chamaillez pas. C’est l’été, les touristes vont arriver, ils vont s’installer sur ma terrasse.
— Ouais, et nous, tu vas nous virer.
— César, comment peux-tu dire une chose pareille ? Tu sais bien que vous êtes toujours les bienvenus ici.
— Évidemment, rétorqua Ginette, nous, nous faisons tourner ton commerce toute l’année.

Frédo ne put s’empêcher de lui lancer son torchon avec lequel il essuyait ses verres en riant.  
— Mauvaise langue !
— C’est pas vrai peut-être ? Je suis certaine qu’il ne manquera pas de viennoiseries dans ta corbeille quand ils débarqueront tes touristes. Nous, il n’y en a toujours que quatre qui se battent en duel.
— Qui vient jouer aux cartes avec moi ?
Marius installait le tapis sur la table au fond de la salle César leva la main.
— Et vous les filles vous en êtes aussi ? Sans rancune, allez. Je vous offre même un autre café.
— Je sais bien que tu as du cœur toi, sourit Augustine.
— Ne commencez pas à tricher vous deux, je vous ai à l’œil. Marius et Augustine, on aura tout vu. Gare à ta femme.



jeudi 20 juin 2019

Histoire improbable d'une chapelière, d'un huissier et d'une sirène


La chapelière regardait avec circonspection le courrier qu’elle venait de recevoir. Sa boutique était ouverte au 2e étage de la mairie et beaucoup de fonctionnaires à l’heure méridienne, ne résistaient pas à la tentation d’admirer sa nouvelle collection.
Mon Dieu qu’elle n’aimait pas cette expression « heure méridienne ». Pour elle, la « méridienne » correspondait à son joli canapé installé face au grand miroir. Tout moelleux et recouvert de coussins multicolores, il accueillait avec bonheur, les gentes dames qui désiraient faire des essayages.
Mais l’heure n’était pas à la rêverie, elle devait comprendre, ce que voulait dire ce courrier qui émanait de… elle retourna l’enveloppe pour lire l’adresse et épela tout haut « Office des huissiers de justice de la Côte en vers ».
Pour le coup, elle se laissa tomber dans sa « méridienne » qui s’affaissa gracieusement.
— Je ne pige rien.
Un bruit d’essoufflement, d’eau qui dégoulinait, la fit se relever en vitesse. Sa cliente préférée et amie entrait dans sa boutique.
— Je suis désolée, je vais encore te tremper ton parquet, mais comment faire autrement ?
— Tu ne pourrais pas de temps en temps te transformer en femme ?
— Je ne peux pas. J’ai fait le vœu de récupérer des jambes que lorsque je serai sélectionnée pour participer à un grand match de football. Comme pour tenir 90 minutes, je dois conserver mes jambes, je ne veux pas utiliser ce précieux temps pour grimper en haut de tes 2 étages. Avec ma queue, j’arrive assez facilement à me mouvoir. Le seul problème c’est que je mets de l’eau partout et que les fonctionnaires grincheux du premier me regardent d’un drôle d’air. Les agents de service se précipitent avec leur balai et leur éponge pour essuyer les traces derrière moi. C’est d’un gênant. Je n’aime pas que des inconnus touchent mes écailles. Elles sont fragiles.
La chapelière éclata de rire, imaginant la scène. La sirène reprit :
— Tu en fais une drôle de tête ? Un problème ?
— Regarde ce courrier.
Elle parcourut la missive et la rendit à son amie.
— Si c’est l’huissier à qui je pense, tu n’es pas sortie de l’auberge, ma pauvre !
— Mais pourquoi vient-il ici ? Je paie toutes mes cotisations et mon loyer. Tu crois que je pourrais lui offrir un chapeau pour l’amadouer ?
— Ça m’étonnerait avec la chevelure qu’il a… Un vrai crâne d’œuf !
La porte s’ouvrit alors sur un nain connu, non plutôt un inconnu.
La chapelière s’avança avec son plus beau sourire, tandis que la sirène se laissait tomber élégamment dans les coussins.
— Elle ne risque pas d’abimer votre matériel, la femme qui ressemble à Ariel ?
Surprise, elle regarda son amie qui ne semblait pas avoir entendu.
— Bonjour monsieur. Désirez-vous un conseil pour faire un cadeau ?
— Croyez-vous vraiment que les chapeaux sont des cadeaux ? Ils ne sont que de vulgaires oripeaux, vous voyez le tableau ? Madame, je viens assez tôt pour décider avec vous de la nature de vos travaux.
Les deux femmes n’osaient pas rire. Il était plutôt bel homme. Aussi, fut-elle surprise quand elle l’entendit se présenter.
— Maître Arnaud Bobo, huissier de justice, j’arrive bien à propos, et ne jouez pas avec moi à l’actrice.
— Parlez-vous toujours comme ça ?
— En vers, je suppose ? Est-ce que cela vous indispose ?
 — Aimez-vous le football ?
Interloqué, il se tourna vers la sirène qui venait de l’interroger.
— En voilà une question à laquelle je répondrais non.
La chapelière l’invita alors à s’asseoir pour discuter.
— Vous parliez de travaux ? Je peux savoir pourquoi. Il y a un problème ?
— Trouvez-vous normal de vendre des chapeaux dans une collectivité territoriale ?
— Je ne me suis jamais interrogée à ce sujet.
— Et que je découvre une sirène dans votre canapé ? Comment a-t-elle fait pour jusqu’à vous grimper ?
— Oh ! ne vous tracassez pas pour moi, j’ai l’habitude, je suis très musclée. Regardez ma queue comme elle navigue bien, je me débrouille formidablement pour monter ces 2 étages.
— Là n’est pas le hic. Il faut un ascenseur pour tout accueil public.
— Un ascenseur ? Je ne pourrais jamais le prendre, j’ai le vertige. De plus, je risque de produire un court circuit avec ma queue mouillée. Je doute que d’autres usagers apprécient de l'emprunter.
— Tu parles en vers aussi ? C’est contagieux, est-ce une maladie ? Mon Dieu moi aussi !
— Mat an traou ? Petra’ po…
— Je vous prie de vous exprimer en français. Vous m’agacez à la fin !
— Je suis heureux que vous soyez guérie, cela aurait été malencontreux. Avec du breton, j’ai changé le ton. Vous ne discourerez plus en vers, du moins je l’espère.
— Bref, je ne suis pas venue prendre de tes nouvelles pour discuter ascenseur moi. Alors, fichez le camp, ne voyez-vous pas que vous dérangez ?
— Jamais on ne m’a ainsi parlé. Je suis huissier. Qu’on se le dise. Arrêtez vos bêtises !
— Vous me saoulez, vous comprenez ?
— Voilà que vous recommencez ? Je vais faire vite, il faut un ascenseur pour votre sœur, elle s’appelle Brigitte ?
— Pourquoi Brigitte ?
— C’est pour la rime et cessez votre pantomime. Donc, je note pour l’heure, travaux à faire et pas dans un millénaire, un ascenseur.
— Vous devriez partir monsieur !
La sirène se leva, s’approcha de l’huissier qui n’en menait pas large. Elle l’agrippa par sa cravate et se mit à chanter. La chapelière fit un clin d’œil à son amie et ouvrit la fenêtre.
Aussitôt, le bruit des vagues de l’océan en bas résonna à leurs oreilles. Il l’appelait. En tenant la main d’Arnaud Bobo, elle plongea.
La chapelière referma la fenêtre. Mon Dieu qu’elle n’aimait pas l’heure méridienne.  



samedi 15 juin 2019

"Entrer dans ma vie" à la manière de Stefano et Héloïse


Charlie était au téléphone avec une amie. Héloïse était assise non loin d’elle. Elle dessinait. Elle était en admiration devant sa maman qui possédait une multitude de stylos qui se déclinaient du rouge au bleu en passant par le vert, l’orangé, le rose, le jaune. Celui qui avait sa préférence était le turquoise, parce qu’il avait la même couleur que les yeux de papa Joe.
— Tu sais, ce n’est plus du tout comme avant, depuis qu’il est entré dans ma vie. J’ai toujours le cœur qui bat vite quand je le vois et qu’il me regarde.
Héloïse leva la tête. Charlie discutait encore et lui tournait le dos.
La petite fille discrètement quitta la pièce.
Stefano jouait avec son père et Texas, le terre neuve.
— Te voilà toi ? Charlie n’est pas avec toi ?
— Elle est occupée à parler avec sa copine.
Héloïse murmura à l’oreille de son petit compagnon :
— Tu sais ce que ça veut dire « entré dans ma vie » ?
— Qu’est-ce que vous mijotez tous les deux ?
Joe les contemplait, le sourire aux lèvres.
— Rien, c’est secret.
— D’accord, alors, je peux vous laisser à vos histoires ? J’ai encore du travail. Ne faites pas de bêtises, hein ? De toute façon, je ne suis pas loin. Je vous surveille.

Héloïse saisit la main de Stefano. Ils se retrouvèrent dans leur cabane fabriquée par Joe, dans le fond du jardin.
— Maman a dit que c’était plus comme avant depuis « qu’il est entré dans ma vie ». De qui elle parle ? Et ça veut dire quoi, entré dans ma vie ? Moi, je croyais qu’on entrait dans la maison. Tu sais, elle nous le répète souvent quand elles nous ramènent de l’école. « Entrez dans la maison ».
Stefano se gratta la tête, signe de grande réflexion. Elle avait de ces questions, Héloïse !
D’ailleurs, elle reprenait sans lui laisser le temps de respirer.
— Papa Joe dit aussi aux poules d’entrer le poulailler et quand quelqu’un frappe « entrez » c’est ce qu’il répond. Alors ? De toute façon, ça ne veut rien dire entrez dans la vie. C’est trop grand la vie. T’es pas d’accord ?
— T’arrêtes de parler ? Je ne peux pas réfléchir.
Héloïse baissa la tête.
— Ne boude pas, t’es pas jolie.
— Je boude pas. Tu crois que c’est grave ? Qu’elle a une maladie ? Parce qu’elle a dit aussi que son cœur battait vite quand il la regardait. Je sais que le cœur c’est grave quand il bat vite. Je veux pas que ma maman elle meure comme la tienne.
— Tais-toi ! Tu racontes n’importe quoi !
Il ne put s’empêcher de penser que pour lui c’était l’inverse, elle était sortie de sa vie.
— Que se passe-t-il ?
Joe qui les entendait se disputer s’était approché de leur cabane. Devant le mutisme des deux enfants, il se permit d’entrouvrir la porte.
— Alors, c’est toujours secret ? Pourquoi tu pleures ma bichette ?
Héloïse avait les yeux plein de larmes. Stefano répondit à sa place.
— Elle a peur que Charlie meure.
— En voilà une idée !
— Oui, elle dit que son cœur bat vite quand il la regarde celui qui est entré dans sa vie. Je suis sûre qu’il lui a fait mal. C’est grand la vie, comment on peut y rentrer ? Il y a une porte ?
Surpris, Joe restant sans voix.
— Tu vois, tu sais pas non plus.
Devant le désarroi de la fillette, Joe s’assit près d’elle.
— Entrer dans la vie de quelqu’un c’est une expression ou plutôt une image. Regarde, c’est un peu comme toi, qui es entrée dans notre vie à tous les deux, Stefano et moi. Depuis, mon petit garçon sourit souvent, et moi de connaître ta maman, je suis très heureux.
— Tu avais laissé la porte ouverte alors ?
Joe réfléchit et répondit simplement :
— Vous êtes arrivées certainement quand nous avions besoin de vous. C’est pour ça que la porte n’a pas été difficile à pousser.
— C’est comme quand Texas pousse la porte mal fermée avec son museau ?
— Tout à fait !
— Elle est belle alors, cette spression
— Expression ! Tu as raison, elle est jolie.
— Qui est jolie ?
Charlie arrivait le sourire aux lèvres. Elle s’était doutée en ne voyant personne dans la maison qu’elle les trouverait cachés dans le jardin. 
— Maman ! Tu ne vas pas mourir, je suis trop contente !
— Ah ! je suis heureuse de savoir que je vais bien.
— Ta fille me demandait ce que voulait dire « entré dans ma vie ».
La jeune femme rougit et se tourna vers Héloïse.
— Pourquoi pensais-tu que j’allais mourir ?
— Parce que tu as dit que ton cœur battait vite quand il te regardait. Et puis que c’était plus comme avant. Tu parlais de papa Joe ? Toi aussi, tu avais laissé la porte ouverte pour qu’il puisse entrer ?
Elle regarda Joe, Stefano et sa fille et leur tendit les bras.
— Tu as raison, c’est une jolie expression.
Stefano demanda alors à son père :
— Quand maman est sortie de notre vie, c’est parce que la porte était ouverte ?
Joe soupira.
— Non mon bonhomme. Ta maman est partie parce qu’elle était malade, et qu’il a bien fallu qu’on entrouvre la porte même si nous n’avions pas envie qu’elle nous quitte. C’est un peu comme les oiseaux, ils s’envolent un jour… ensuite, nous l’avons laissé longtemps fermée cette porte, tu te rappelles ?
— Oui, puis un jour, Charlie et Héloïse sont arrivées.
— Tu ne m’as pas laissé entrer tout de suite quand même !

Plus tard…
— Alors comme ça, il parait que ton cœur bat vite quand je te regarde ?



vendredi 7 juin 2019

Derrière la fenêtre d'Anna


Histoire inventée avec les mots proposés en rouge


Derrière sa fenêtre, Anna ne pouvait s’empêcher de regarder les gens passer. Elle n’était pourtant pas femme à rester sans rien faire, mais elle était comme ça Anna, il fallait qu’elle se tienne au courant de tout ce qui arrivait en dehors de chez elle. Elle aurait pu écrire la gazette du coin. Elle savait tout. Hier encore, Simone, sa voisine, était venue lui raconter les potins du jour. C’était pour elles deux, une évasion sur l’extérieur.
Anna ne vivait pas seule. Elle avait un mari et des enfants. C’était surprenant, mais même pas eux réussissaient à la faire taire.
Celui qui avait sa préférence, c’était celui qui habitait juste à côté, Achille. Non pas qu’il était beau, elle dirait même qu’il était bof. Plutôt sympa et agréable pour discuter, il était toujours prêt à lui offrir un petit café.
Un coup d’œil sur le pot au feu qui cuisait doucement et qui n’avait pas besoin de son aide, et hop, elle s’esquiva.

— Saperlipopette, vous voilà déjà dans votre jardin à surveiller si je suis en train d’enlever les mauvaises herbes.
— Bonjour voisin. Quel caractère merdique ce matin !
— Génial ! je vois que vous êtes de très bonne humeur !
Elle ne releva même pas et posa la question qui la turlupinait depuis que Simone lui en avait parlé.
— Dites-moi, vous qui savez tout !
— Vous êtes tout de même étonnante, c’est vous qui êtes au courant de tout et vous me demandez si…
— Est-il vrai que vous avez un perroquet ?
Il éclata de rire.
— Vous êtes drôle vous ! Un perroquet ? Et je l’appellerais aussi Jacquot tant que vous y êtes ! Ce serait de la folie d’avoir cette bestiole ici.
— C’est Simone qui m’a dit que…
— Ah cette originale ? Elle a voulu vous faire une blague, connaissant votre curiosité sans limites. Je n’ai pas d’animaux chez moi, mais par contre, j’ai un scoop pour vous.
— Super ! De quoi s’agit-il ?
— J’ai prononcé le mot magique, je crois. Suivez-moi, je vais vous montrer.
— J’arrive, je fais le tour.

Quel bonheur ! Anna était sur un petit nuage. Elle tenait une nouvelle qu’elle allait pouvoir raconter à Simone, puis à son mari (qui s’en moquait complètement), et ses enfants qui s’exclameraient « tropbiensamère ».

Devant chez Achille, elle ne frappa même pas à la porte. Elle ne put s’empêcher une fois de plus d’admirer l’intérieur de sa maison. Il vivait seul. Enfin, c’est ce qu’il disait. Que c’était dépaysant ! Il adorait les voyages, ça se voyait aux souvenirs qu’il rapportait de ses périples.

— Entrez par ici ! Regardez ce que je viens de me dégoter.
— Qu’est-ce que c’est que cette relique ?
Vexé, il resta sans voix. Sentant que sa parole avait dépassé sa pensée, elle s’excusa et bafouilla :
— Désolée, je voulais dire que c’était touchant de vous être acheté un gramophone.
Bon prince, il retrouva le sourire.
— C’est un bonheur d’aller sur les brocantes. J’y trouve tellement de jolies choses. C’est un loisir addictif pour moi.
— Vous êtes un vrai romantique vous ! Et vous comptez écouter de la musique avec cet engin ?
— Bien sûr, je vais vous mettre un disque et vous me direz ce que vous en pensez.

Aussitôt dit aussitôt fait, mais…
— Alors, il ne fonctionne pas ? Souhaitez-vous que je vous aide ?
— Comme c’est touchant, mais je devrais pouvoir y arriver seul.
— C’est parce que je suis une femme ? Quelle ségrégation, ça ne changera donc jamais.
— Tenez-moi plutôt la vis au lieu de raconter n’importe quoi.
— Mon Dieu qu’il est palpitant votre scoop ! Je me retrouve ici devant votre « truc » abracadabrantesque.

Il ne prit pas la peine de lui répondre. La musique s’éleva enfin dans la pièce. Sur une valse de Strauss, il enleva sa voisine et la fit tourner dans son salon.

— Pourquoi êtes-vous dans le noir ?
Simone était entrée elle aussi chez Achille. Ils s’arrêtèrent net de danser. Anna était rouge de honte. Elle était complètement partie dans sa rêverie où elle se voyait en crinoline au bras de…
— Ohé ! Quelle interprétation vraiment poignante de l’œuvre de Johann !
Simone se moquait de ses voisins sans vergogne.
— Je le tiens le scoop, je t’ai photographiée avec mon téléphone. Je vais pouvoir en parler à tout le quartier. Pour une fois, Anna, c’est toi qui vas tenir la vedette et tout le monde sera partie prenante pour en faire des gorges chaudes.
Elle éclata de rire.
— Te voilà bien attrapée !


— Que se passe-t-il ici ?
Un jeune homme débarquait à son tour dans le salon.
— Je vous présente, mon fils.
Les deux femmes furent très surprises de découvrir que leur voisin avait un garçon. Il ne s’occupait d’ailleurs pas d’elle et se tourna vers son père.
— J’ai installé l’ordinateur dans ton bureau, tu pourras t’amuser à faire toutes tes programmations en langage SEO et cette fois-ci ne fais pas d’inversion, sinon, je devrais encore revenir.
— C’est peut-être pour ça qu’il fait des bêtises, ton père, pour que tu viennes le voir plus souvent, murmura Anna qui décidément, n’avait pas sa langue dans sa poche.
— Viens Simone, laissons-les tous les deux passer une soirée enchanteresse.