J'ai rédigé ce texte en écoutant les rêveries de Schumann, proposé par "La Petite Fabrique d'Ecriture"
Le rêve de Zoé
Zoé ouvrit
les yeux dès qu’elle entendit résonner les premiers accords. Elle sauta
aussitôt du lit.
Doucement,
elle descendit l’escalier en pyjama pour s’approcher du grand salon où jouait
Eugénie, sa grande sœur.
Elle s’approcha à pas feutrés et regarda Eugénie qui
semblait ne faire qu’un avec son instrument.
Celle-ci
vivait sa musique. Ses jolies mains fines volaient sur le clavier comme de
minuscules papillons et ses doigts effleuraient les touches blanches et noires,
la difficulté n’ayant pas de prise sur elle. Jamais on ne pourrait croire qu’il
avait fallu des heures de travail pour arriver à cet instant magique et qu’elle
avait essuyé des larmes de rage à chaque passage mal exécuté.
Son visage
reflétait le bonheur de jouer et la satisfaction de parvenir enfin à jouer ce
morceau cent fois répété.
Elle avait
les yeux fermés, un léger sourire sur les lèvres, et Zoé aurait bien aimé
savoir à quoi elle pensait.
Zoé rêvait
de lui ressembler.
Elle jouait
elle aussi, mais elle n’avait pas son don, ni sa patience.
Elle était
beaucoup plus jeune aussi.
Elle
s’imaginait dans une salle de concert, en longue robe blanche.
Elle se
voyait arriver sur la scène et saluer son public, s’installer face à son piano,
Prendre une
grande inspiration et commencer à jouer dans un silence respectueux.
Ses mains,
elles aussi, effleureraient les touches, et les notes s’envoleraient dans la
salle.
Puis à la
fin du morceau, la foule applaudirait.
Alors, elle
se lèverait doucement, garderait une main sur le piano et saluerait son public,
son autre main sur le cœur. Ses cheveux balaieraient alors le sol, et d’un
geste délicat, elle les relèverait et les ramènerait sur le côté.
Zoé se mit à
virevolter doucement dans le salon les bras en croix, en pyjama et pieds nus.
Puis se
rapprocha de sa sœur et s’accouda sur le piano, les yeux rivés sur les touches.
Quand
Eugénie planta le dernier accord, tout en douceur, ses mains s’envolèrent vers
le visage de sa petite sœur qu’elle caressa.
Un silence,
puis d’une toute petite voix :
« Dis,
tu veux bien le refaire ? »