Je ne
cesse de me regarder dans mon miroir. De dos, de face, je souris, je dénoue mes
cheveux, je les rattache, je m’approche de la glace pour traquer les
imperfections. Mes taches de rousseur se voient davantage à cause du soleil. Il
paraît que c’est sexy et que ça fait craquer les hommes. Bof !
Mélusine
assise sur mon lit me fixe.
— Tu
arrêtes de te mettre la tête à l’envers ? Tu vas avoir ton premier rendez-vous
avec Gabriel, ce n’est pas la mer à boire quand même !
— Il
y a tellement longtemps que ça ne m’est pas arrivé que je ne sais pas comment
m’habiller. À ton avis, je garde mes lunettes ou je porte mes lentilles pour
qu’il voie mieux mes yeux ? J’attache mes cheveux ou je joue à la vamp ? Je
mets un chapeau et mets mes boucles d’oreilles en…
— Ah
non, tu n’es pas en mode plage et tu as quand même la trentaine MarieSophe. Il
est temps que tu grandisses un peu et que tu défasses tes nattes.
— Oh
ça va !
— J’ai
compris ! soupire mon amie, je vais m’occuper de toi. Viens t’assoir à côté de
moi. Je vais te maquiller.
— Je
ne veux pas ressembler à une poupée.
— Fais-moi
confiance MarieSophe.
Elle
s’installe en face de moi et m’empêche de regarder la transformation. J’ai le
cœur qui bat et j’ai la trouille.
Gabriel s’est
déplacé personnellement pour m’inviter. Le confinement est terminé. Nous
pouvons enfin essayer de reprendre une vie normale tout en restant prudents.
Avec un ami médecin, je ne risque pas de l’oublier.
Mélusine
était repartie chez elle et avait à nouveau embarqué ses affaires. Ma maison
m’a semblé subitement bien vide et silencieuse. Mais, dès que j’ai eu le
rendez-vous fixé, je l’ai appelée et elle a rappliqué illico.
Soudain,
j’entends ma sonnette.
— Il
n’est pas déjà là quand même !
— Ne
bouge pas, je regarde par la vitre.
Mélusine
se penche et aperçoit Archibald.
— C’est
Archi !
Je ne
sais pas pourquoi je me sens aussitôt mal à l’aise et c’est bien la première
fois. Mélusine qui ne s’est rendu compte de rien, ouvre la fenêtre et
l’interpelle :
— Entre
Archi, nous sommes dans la chambre de MarieSophe.
Il a
l’habitude de ma maison. Il entre et je l’entends grimper l’escalier à vive
allure. Son silence quand il m’aperçoit me fait éclater de rire.
— Allo ?
Je suis si moche que ça ?
Mélusine
se retourne vers lui et affiche un sourire narquois.
— Alors,
elle n’est pas belle notre MarieSophe ?
Devant
le mutisme de notre ami, elle me regarde, fronce les sourcils, mais ne dit
rien. Je suis agacée.
— Laisse
Mélusine, ce n’est pas la peine. Tu vois dans quel état tu l’as mis ?
Je me
lève et passe devant le miroir. Je ne me reconnais pas. Les cheveux détachés et
ondulés, les yeux légèrement maquillés et la bouche rosée, je suis une autre
Marie-Sophie. J’affiche maintenant mes trente ans. Je ne suis plus une gamine
et je ne trouve rien à dire.
C’est
Mélusine qui sauve la situation en riant :
— Bon
les amis, il va falloir que tu dépêches pour t’habiller. Tu sais quoi
mettre ?
— Attends,
tu ne vois pas qu’Archibald n’a toujours pas dit un mot ?
Enfin,
il retrouve sa langue, me sourit et bafouille :
— Tu
es… magnifique.
Je n’ai
jamais entendu mon pote me dire ça et surtout de cette voix-là.
— Vous
sortez ?
— Elle,
elle sort, rit Mélusine. Son voisin d’en face l’a invitée.
— Ah…
je pensais que vous alliez faire la fête toutes les deux et que je pourrais me
joindre à vous. Mais ce n’est pas grave.
— Je
suis seule moi, nous pouvons y aller ensemble.
Elle lui
fait un clin d’œil. Archibald s’est repris et affiche un beau sourire.
— Bien
sûr, tu es d’accord pour chez Clovis ?
— Va
pour Clovis ! Je range mes affaires et je suis prête. Marie-Sophie, fais-nous
voir ta tenue ?
Je n’ose
pas. Je ne me reconnais toujours pas. Comment vais-je être à l’aise pour un premier
rendez-vous si je ne suis pas moi-même ! Alors, j’efface tout le maquillage que
mon amie a pris tant de plaisir à faire et remets mon jeans et mon tee-shirt.
Quand la sonnette de l’entrée retentit à nouveau, je suis prête et sors comme
un pantin de sa boîte.
Mélusine
est très surprise et Archibald sourit. Je passe devant eux, dévale l’escalier
et ouvre la porte en grand. Gabriel est en jeans aussi et chemise blanche.
Qu’il est beau ! J’en perds tous mes moyens.
Archibald
et Mélusine sont derrière moi. Avec aplomb, je dis :
— Si
nous allions tous ensemble chez Clovis ? Je suis certaine qu’ensuite nous pourrions
jouer au tarot. Tu connais ?
Je ne le
laisse pas répondre et commence à lui expliquer les règles. Ses yeux passent
au-dessus de ma tête. Je me retourne et vois le regard d’Archibald. Les deux
hommes se toisent. Archibald, le premier s’approche pour lui serrer la main.
— Allez
c’est parti ! Un repas chez Clovis !
Pendant
que Gabriel fait demi-tour, mon ami m’attrape par l’épaule.
— Tu
es drôlement mignonne avec tes cheveux détachés MarieSophe.
Mince,
j’ai oublié de refaire mes nattes.
©
Minibulle, 9 juin 2020