Longtemps,
Stefano était resté dans sa chambre. Allongé sur son lit, il fermait les yeux.
Le cœur lourd comme une pierre, il essayait désespérément de la retrouver.
Il
s’était levé, avait regardé le cadeau enrubanné qu’il avait fabriqué avec la
maîtresse. Il avait eu beaucoup de mal à écrire le mot magique. Ses camarades
de classe ne tenaient pas en place et étaient fiers de leur travail. Lui, même
s’il savait que c’était joli et que ça allait lui plaire, il traînait son cœur.
Quand il était rentré, il avait abandonné son cartable. Joe, son papa, lui
avait ébouriffé les cheveux. Ils s’étaient regardés. Pas un mot n’avait été
prononcé, mais un voile avait terni le bleu délavé du gaillard au chapeau de
cuir. Stefano avait serré fort la main de son père et avait refoulé la vague
qui allait déferler dans ses yeux à lui. Il avait sorti son paquet, et était
parti le cacher dans sa chambre, comme il faisait avant.
Maintenant,
il errait dans la maison comme une âme en peine.
— Pourquoi
tu es triste ?
Le
petit garçon ne répondit pas. De grosses larmes coulaient le long de ses joues.
Héloïse s’approcha de lui et entoura ses épaules de ses bras.
— Tu
sais… Je peux partager avec toi.
Elle
aussi avait fabriqué à la crèche un cadeau. Dans la voiture, la veille, elle
l’avait montré à Joe en lui promettant de ne rien dire. Elle riait, ravie
d’avoir réussi à peindre sans déborder. Elle avait choisi les couleurs qui
plairaient à Charlie. Du bleu, du rose, du jaune, parce qu’il fallait que ça pétille,
comme disait la fillette. Sa maman, c’était un bonbon sucré, une friandise
qu’elle adorait embrasser, renifler, câliner.
C’était
long d’attendre dimanche pour Héloïse sans divulguer son secret.
— Je
n’arrive plus à me souvenir d’elle.
Stefano
pleurait à chaudes larmes, à présent. Héloïse, bouleversée par le chagrin de
son ami, partit en courant. Il resta seul avec sa peine.
Charlie
s’approcha doucement du petit bonhomme secoué de gros sanglots.
— Tu
n’es pas ma maman, hurla Stefano, je veux ma maman…
La
jeune femme ne répondit pas. Elle lui caressa simplement les cheveux. Il se
blottit alors dans ses bras et murmura.
— Ce
n’est pas que je ne t’aime pas mais… je ne veux pas l’oublier.
— Je
ne t’ai jamais demandé de l’oublier Stefano, ta maman restera toujours dans ton
cœur.
— Moi,
je veux bien partager, je lui ai dit.
Héloïse
à son tour avait les yeux embués.
— Que
se passe-t-il ici ?
La
grosse voix de Joe les fit tous sursauter.
— Quelqu’un
est malade ?
Il
siffla son chien Texas qui déboula à toute allure en bousculant tout sur son
passage. Joe reprit :
— Je
sens qu’une crêpes party est demandée. Qui vient m’aider ?
Charlie
et Héloïse levèrent la main ensemble.
— Et
toi Stefano, tu casses les œufs ?
— J’ai
pas faim. Arrête de faire comme si tout allait bien.
Joe
soupira. Charlie lui fit signe qu’elle s’occupait de la pâte. Il s’approcha de
son fils.
— Moi
aussi, elle me manque. Mais tu sais, nous sommes à égalité tous les deux. Tu n’as
plus ta maman, moi non plus et depuis plus longtemps que toi.
Stefano
leva les yeux. Il n’avait jamais imaginé ça.
— Toi
aussi alors tu as de la peine quand on fête les mamans ?
— Oui
et je me dis que là où elle est, elle doit la fêter et penser à nous. Je vais t’avouer
un secret. Viens avec moi.
Ils
sortirent tous les deux dans le jardin.
— Ta
grand-mère adorait les tourterelles. Combien de fois, avec elle, je les
regardais s’ébattre sur la pelouse et dans les arbres. J’arrivais même à imiter
leur roucoulement. Quand elle est partie, j’étais plus vieux que toi. J’avais
donc davantage de souvenirs partagés avec elle. Mais peu importe l’âge. Quand j’ai
elle m’a quitté, j’ai cru que le monde allait s’effondrer. Un jour que je n’en
pouvais plus de ne plus la voir, j’ai crié, j’ai appelé, et je lui ai demandé
de me faire un signe.
Stefano
était suspendu à ses lèvres, le regard levé vers lui, une perle d’eau encore accrochée
à ses cils.
— Et
alors ?
— Une
tourterelle a roucoulé.
Joe,
tout grand gaillard qu’il était, écrasa furtivement une larme. Peu importe à
qui elle était destinée, sa femme disparue, ou sa maman. Le petit garçon se blottit
contre lui et murmura.
— Merci
papa.
— Ta
maman les adorait aussi.
Ils
retournèrent tous les deux dans la cuisine où les filles s’activaient
allègrement à confectionner des crêpes.
— Alors,
ça avance ? demanda Joe en se frottant les mains.
Héloïse,
le nez enfariné, riait.
Quand
plus tard, ils se régalèrent autour de la grande table en bois, Joe offrit à
son fils un tableau.
— Regarde,
je l’ai fait pour toi.
Stefano
ébahi, découvrit un pêle-mêle de sa maman. Héloïse se pencha et déclara, la figure
barbouillée de chocolat :
— Tu
vois, tu vas pouvoir lui dire, bonne fête maman.
Dans
le jardin, une tourterelle roucoula. Stefano sourit. Joe lui fit un clin d’œil.
Il était heureux d’avoir redonné le sourire à son fils, même si pour lui l’absence
était toujours aussi douloureuse.