Ils en faisaient des allers et retours, pelle et seau à la main, bob
sur la tête, pour piocher de l’eau. Accroupis face à face et très concentrés
sur leur tâche, ils mouillaient le sable, remplissaient leur seau, le
retournaient et tapaient avec leur pelle dessus afin de démouler une merveille
de pâté.
Éclats de rire, course dans le sable, cris de joie quand les vagues les
éclaboussaient et quand le seau se renversait et arrivait vide devant moi.
Je prenais forme peu à peu, ils étaient fiers de leur œuvre et très
heureux. Debout devant elle, ils jaugeaient leur construction : Il
faudrait rajouter une tour ici, un chemin là, rechercher des coquillages pour
la décoration et repartir au galop vers l’océan chercher de l’eau.
Ils y passaient des heures à creuser avec leurs mains, se mettre dans
le trou, vérifier que l’eau arrivait peu à peu, et que je ne risquais rien, car
ils espéraient toujours me retrouver le lendemain matin.
Ils ont tout essayé : mettre un petit drapeau en haut de mes tours
pour me retrouver ou me reconnaître, me construire très loin de cette eau qui
leur grignotait toujours du terrain, faire un énorme trou autour de moi afin
que je sois protégé. Rien n’y a fait.
J’ai essayé pourtant de résister. Je savais que le lendemain, mes bâtisseurs
arriveraient en courant pour voir si je les attendais, mais petit à petit, les
vagues venaient me lécher les pieds et je sentais alors mes fondations fondre,
s’effriter, et je m’écroulais désespéré.
Un jour, mes deux compères ont mis tout leur cœur à me construire, je
ressentais leur rage dans leurs coups de pelles assénés sur leur seau. J’étais magnifique avec mes tours, mes
créneaux et mes coquillages qui formaient un joli chemin pour arriver au pont
levis et je sentais que cette fois j’allais résister. J’avais compris que la
marée était plus basse que d’habitude et par chance ils avaient décidé de me
construire plus haut sur la plage.
Quand ils m’ont quitté ce soir-là avec un dernier regard, j’ai eu envie
de leur faire un clin d’œil et de leur dire que je les attendrais et déjà j’étais
heureux à l’idée d’entendre leurs cris de joie le lendemain. Mais les châteaux
de sable ne font pas de clin d’œil et je suis resté bien droit sur mon sable,
bien décidé à résister coûte que coûte.
Le soleil s’est couché, et j’ai pu admirer cette merveille car j’étais
toujours debout, je ne m’étais pas écroulé comme les soirs précédents. Les
derniers promeneurs me contournaient et murmuraient entre eux en me regardant,
j’étais fier. L’eau n’était pas arrivée jusqu’à moi, il était temps je crois mais
cette fois-ci le ciel était avec moi. Je me préparais à passer ma première nuit
sur la plage et à me laisser bercer par le bruit incessant des vagues. J’étais
heureux.
Le soleil s’est levé, j’ai cligné des yeux, me suis regardé. J’étais
toujours debout rien n’avait bougé. Ravi, j’ai attendu.
Ils ne sont jamais venus, les vacances étaient terminées.
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