Avoir de
l’imagination, il paraît que ce n’est pas donné à tout le monde. Encore faut-il
une fois que vous l’ayez, que vous arriviez à mettre sur le papier ce qu’elle
vous dicte.
Moi c’est
tout le temps, tous les jours, n’importe quand, avec n’importe qui et je pars
dans mes délires.
Je passe
devant une habitation ou les propriétaires sont occupés à tailler la haie. Sauf,
que la dame, elle, j’ai l’impression qu’elle se cache parce qu’elle est au
téléphone. Cling ! super imagination se met en route et c’est parti ! Voilà ce
que ça donne. N’oubliez pas que je suis en vélo, je suis donc passée en coup de
vent… enfin presque !
— Où
ça ?
Vous avez sans doute remarqué que les hommes
ne captent pas la même chose que nous, et quand ils font du sport, ils ne
regardent pas ce qu’il se passe ailleurs, ils sont concentrés eux !
— Qui
la maison ?
— Arrête
de faire l’imbécile. La dame !
— Qu’elle
parle doucement, c’est normal, elle ne va pas ameuter tout le quartier avec sa
discussion.
— Si
ça se trouve, elle parlait avec son amant !
— Ou
avec ses enfants.
— Pourquoi
elle se cacherait ?
— Qui
te dit qu’elle se planquait ? Pédale plus vite au lieu de réfléchir.
Rappel à
l’ordre n° 1. Je reprends le rythme.
— Je
suis sûre qu’elle ne voulait pas qu’on se rende compte qu’elle était au
téléphone. Imagine, elle a un rendez-vous. Elle est habillée n’importe comment,
il faut qu’elle se change. Comment va-t-elle faire ? Elle va devoir inventer
une excuse…
— Et
qui c’est qui va encore se taper tout le boulot. Pauvre homme !
— Oh
ça va, tu n’es pas drôle !
Il rit.
— Tu
l’as bien cherché !
— N’empêche
tu vois que l’homme va devoir bosser, mais pas qu’elle le trompe.
Remarquez
comme la discussion peut vite déraper.
— Pédale
au lieu de râler !
Rappel à
l’ordre n° 2. Je reprends le rythme en silence. Il dit.
— Peut-être
que c’était son médecin et qu’il lui annonçait une bonne nouvelle.
Il me
regarde en coin. Je réplique.
— Ou
une mauvaise.
— Mais
pourquoi toujours le négatif ? Il pouvait lui dire qu’elle attendait un bébé.
— N’importe
quoi, tu as vu son âge ? Elle trop vieille. Et puis maintenant, avec les tests
pas besoin de l’appel du médecin, ils ont autre chose à faire que d’appeler les
patients pour leur dire « Au fait, vous attendez un bébé ».
Remarquez
comme l’imagination est perverse… Du coup, je pédale plus vite et ne le regarde
plus.
— J’aurais dû le dire
plus tôt parce que là, tu as une belle allure.
Je souffle. Il ne me voit
pas.
— Je t’ai vue. Tu as
soufflé.
Il rit et me tend le bidon.
— Allez bois !
Je m’exécute et lui redonne.
Évidemment, moi sur mon vélo, je n’ai pas de porte-bidon !
— N’empêche, c’était
plus rigolo mon histoire que la tienne.
— Peut-être qu’elle n’est
pas si vieille que ça, tu es passée bien trop vite pour t’en apercevoir.
Je sens le reproche. Il
continue.
— Le médecin qui l’appelle
lui annonce qu’elle va avoir un bébé, mais vu son âge…
J’éclate de rire.
— Question
imagination, tu n’es pas top.
Il continue.
— Qu’elle va devoir se
faire avorter, qu’il va y avoir des complications. Finalement, elle se rend compte
que c’est un faux numéro. Elle raccroche et taille la haie.
— Ouais, je préférais si
c’était un appel de ses enfants.
— D’accord ! Alors ils
diraient quoi les enfants ?
— Fais gaffe maman à
ton dos. Et puis arrête de bavasser au téléphone, papa travaille tout seul. Tu
pourrais l’aider quand même. Et aussi, méfie-toi des cyclistes qui passent, des
fois qu’ils s’imagineraient des trucs…
© Isabelle Minibulle
18/09/2020
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