Consigne pour ce texte : Un paragraphe en vers. Une romance. Présence de fantômes. Lieu, une librairie. Intégrer le mot hexakosioïhexekontahexaphobie.
C’est
à la petite et vieille librairie
Qu’un
monsieur tout rabougri
Mais
pourtant à la mine réjouie
Fermait
toujours sa porte à midi.
C’est
alors qu’il écoutait. Parfois ça prenait du temps. Mais aujourd’hui, un bruit
inhabituel le surprit. Il ne reconnaissait pas ces petits soupirs qui peu à peu
se transformaient en sanglots. Il chercha d’où pouvait bien venir ce bruit
quand Arthur dégringola de l’étagère du haut.
— Elle
pleure, il faut l’aider.
Le
petit fantôme eut du mal à traîner son boulet qui ne le quittait pas et pesait
comme un âne mort. Qu’est-ce qu’il en voulait à ce satané auteur qui lui
faisait porter ce truc ultra lourd, et ça depuis belle lurette, depuis le début
de son histoire exactement. Il aurait bien aimé être comme Oscar qui pouvait
voler comme il voulait, mais apparemment l’auteur n’avait pas eu la même bonne
idée, histoire d’époque peut-être.
Arthur
était amoureux de la petite fantôme qui vivait dans le livre de la 3e étagère
tout en bas de l’escalier. Il l’avait rencontrée par hasard, au détour d’une
page, quand un enfant avait ouvert le livre par mégarde. Du haut de son étagère
presque au plafond, il l’avait aperçue. Elle n’avait pas de boulet elle non
plus et sa robe orange qui scintillait de mille feux lui faisait penser aux
flammes dans la cheminée. D’ailleurs, il voulait lui dire qu’elle éveillait en
lui plein de choses , qu’elle brillait dans son cœur. Il souhaitait lui murmurer
qu’elle était la femme de ses rêves et qu’elle éclairait ses nuits. Oui, il
avait vu que c’était écrit dans son livre, il pouvait le répéter parce que dans
son histoire, le monsieur qui avait dit ça avait rendu très heureuse la dame.
Sauf
que le temps qu’il descende avec sa boule accrochée à son pied, Oscar était
arrivé avant lui et avait commencé à feuilleter les pages pour rencontrer
l’objet de ses rêves. Orangette qu’elle s’appelait. Il ne s’était pas foulé
l’auteur. Sans doute que c’était sa robe qui l’avait inspiré, à moins que ce
soit le contraire.
— Pourquoi
tu pleures ?
— C’est
moi d’abord qui lui demande !
Arthur
armé de sa chaîne finalement bien pratique la brandissait pour faire reculer
Oscar.
— Ne
vous chamaillez pas mes amis, les interrompit le vieux libraire. Je ferme ma
boutique pour que vous puissiez vous évader un peu, n’en profitez pas pour vous
battre. Que se passe-t-il ?
— C’est
Arthur, il est amoureux, il est amoureux.
Oscar,
un fantôme dans la fleur de l’âge volait en rond autour du lustre délabré,
ramassant au passage toutes les toiles d’araignées.
— Pourquoi
tu pleures ?
Arthur
s’approchait de sa belle, qui, recroquevillée au fond de sa page, tremblait de trouille.
— J’ai
peur !
— Ben
pourquoi, tu ne risques pas grand-chose, l’histoire est écrite.
— J’aime
pas la page 666.
Arthur
qui voulait faire le fanfaron sourit :
— Ah
tu souffres de hexakosio… hexakosioi…
— hexakosioïhexekontahexaphobie,
souffla Oscar
Vexé
le petit fantôme répondit :
— J’allais
le dire, tu m’as coupé la parole.
— Vas-y
alors, dis-le !
— Ce
n’est pas bientôt fini tous les deux, rugit le vieux monsieur en brandissant sa
canne. Encore un mot, je vous renferme
dans vos livres à tout jamais.
Orangette
pleura de plus belle.
— Je
veux sortir d’ici, je n’aime pas cette page, j’ai peur. Trop de 6, je veux
sortir.
— C’est
quoi ton histoire, demanda Arthur, intéressé.
— Je
suis prisonnière, et je ne peux pas sortir de ma chambre. J’aurais bien aimé
être comme Raiponce, avoir des longs cheveux, j’aurais pu passer par la
fenêtre.
— C’est
vrai qu’il t’a pas raté ton auteur, avec tes boucles frisées comme un mouton.
— Veux-tu
te taire !
Arthur
brandit à nouveau son boulet. Mais le libraire fatigué de ces disputes tendit
sa canne et tous deux réintégrèrent leurs livres et les pages se fermèrent d’un
coup sec en soulevant un nuage de poussière.
— Je
vous avais prévenus. Je ne veux plus rien entendre.
Il
saisit alors le livre d’Orangette et tourna les pages avec sa canne. La petite
fantôme eut alors la joie de pouvoir s’échapper du volume.
Du
haut de son étagère, Arthur, collé à sa couverture, regardait son amoureuse se
déployer et voleter dans la librairie. Qu’elle était jolie et flamboyante et
quel idiot, lui. Il avait l’air malin, scotché dans son livre. En plus, le
boulet lui faisait mal. Quelle idée de se bagarrer avec Oscar, le voilà bien
puni maintenant.
Orangette
vint se poser sur le vieux secrétaire du libraire. Elle n’osait pas demander ce
qui lui tenait tant à cœur.
— Quelle
est ta requête ?
— Je
vais devoir retourner dans mon livre ?
— Pourquoi
l’histoire ne te plait pas ?
— J’aimerais
bien aller avec Oscar.
— Mais
je ne peux pas réécrire l’histoire, l’auteur ne serait pas content.
— Il
est mort l’auteur !
Le
vieux monsieur éclata de rire.
— Oui,
mais ça ne change rien. Je ne peux pas faire ça !
— Personne
ne s’en rendra compte !
Le
libraire soupira et brandit sa canne. Orangette intégra alors le livre
d’Arthur.
Le
lendemain matin, un petit bonhomme demanda l’histoire de Merlin.
Quand
il eut le roman entre les mains, il regarda le libraire et sourit.
— C’est
une nouvelle version ?
Le
vieux monsieur maugréa une réponse.
— Un
collector même !
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