La
maman de Jules est jolie et très gentille, du moins c’est ce que pense son
gamin, mais il n’est pas très objectif. Il adore son parfum. Son prénom ?
Emmeline. Ils habitent une grande maison, « le château » comme l’appellent les
gens.
Jules
à l’école s’y sent bien. Il a cinq ans. Il est en avance pour son âge et ses
copains lui font bien comprendre qu’il est différent. Il sait lire, écrire son
prénom et celui de sa maman. Son papa ? Il n’en a pas. Emmeline ne lui en parle
jamais et ne répond pas à ses questions. Grave erreur pour Jules, qui est têtu
et très curieux.
Dans
son château, il y a à l’étage où Emmeline travaille, trois portes. C’est très
étrange ce qu’il y a d’inscrit dessus. Sur la première « Hier » brille
de mille feux. Jules adore y entrer. Il peut y choisir les moments préférés
qu’il a déjà vécus. Dans sa courte vie, il a des souvenirs qu’il aime bien se rappeler comme
la pêche avec grand-père, ses premiers pas avec les éclats de rire de maman, la
course en vélo sans les petites roues (la chute où il s’est déchiré le menton,
il évite de regarder, il semble encore avoir mal !). C’est bien dans cette
pièce, mais c’est le passé.
Sur
la deuxième, pas amusante du tout, « Maintenant » le nargue et ne lui
apprend rien du tout, vu que dès qu’il pousse la porte, la salle est vide. Oui,
il a bien compris que « maintenant » c’est le présent, donc il est là,
la main sur la poignée, instant du moment, point !
Cette
pièce est moche et n’a pas d’âme, enfin c’est ce qu’il croit. Jules veut pousser
la porte « Demain », mais sa maman le lui a fortement interdit.
— Tu
ne peux pas connaitre de quoi l’avenir sera fait, impossible de le voir !
Jules
a argumenté à sa manière :
— Je
ne ferai pas de bêtises si je sais que si je la fais il va m’arriver quelque
chose de mal.
— Non
Jules, je te défends formellement d’ouvrir cette porte.
Il
n’a pas reconnu sa voix ni son regard qui lui avait semblé flamboyer. Même si
ce n’est pas possible, hein, d’avoir des flammes dans les yeux. D’ailleurs
maman a vite retrouvé son sourire et d’une caresse sur le nez l’a renvoyé à ses
jouets.
C’est
sans compter que Jules est têtu comme une mule et curieux comme une fouine. Il
a donc décidé qu’aujourd’hui mercredi, il désobéira et entrebâillera juste celle
de « Demain ».
Emmeline,
occupée dans sa cuisine à confectionner un gâteau au chocolat fredonne, il en
profite pour rejoindre l’étage, il n’en aura pas pour longtemps. Il grimpe les
marches quatre à quatre et arrive le cœur battant devant la porte qu’il pousse.
Elle résiste. Jules se laisse glisser au sol en soupirant, découragé. Puis il
rampe vers « Maintenant ». Bien sûr, il n’apprend rien de plus. Alors il entre
dans « Hier » et il se voit courir dans l’escalier, parvenir face à « Demain ».
Non, il n’avait pas réussi à ouvrir la porte.
— Jules ?
Il
sursaute, il n’a pas entendu Emmeline approcher.
— Tu
ne sens pas l’odeur du gâteau ?
Emmeline
regarde son petit garçon dans les yeux.
— Je
n’ai pas faim !
— Jules ?
Il
n’a jamais compris comment sa maman lit en lui comme dans un livre ouvert.
— Aurais-tu
envie de me désobéir ?
— Non,
mais…
— Viens
goûter s’il te plait !
La
tête basse, il la suit. Même pas l’odeur du chocolat ne réussit à lui redonner
le sourire. C’est un comble !
La
lune toute ronde le nargue à travers les rideaux. Jules bien réveillé veut
absolument savoir ce qui se cache derrière cette porte. Il se lève et se dirige
à pas de loup vers « Demain ». Surpris qu’il n’y ait pas de résistance il la
pousse, le cœur battant.
Tout
d’abord, il ne voit rien. Il avance un peu plus dans la pièce qui s’éclaire
davantage. Jules ne distingue pas grand-chose et ne reconnait rien. Il essaye de
même que dans celle de « Hier » de se rappeler un souvenir, sauf que dans le
futur, il n’y en a pas. Ce n’est pas drôle se dit Jules, en fait, c’est comme
dans le présent. Si je reste planté, ça n’avance pas. Donc, il s’approche d’une
grande porte qu’il n’a pas distinguée. Il la pousse.
— Salut,
Jules, alors tu l’as enfin prise ta décision ? Tu vas te marier ?
Jules
recule, effrayé. Se marier ? Avec qui à cinq ans se marier ? Il entrebâille à
nouveau la porte et ne reconnait personne, sauf… Étienne, son meilleur copain.
Heureusement qu’il a toujours les mêmes lunettes rondes, qu’est-ce qu’il fait
vieux ! Mais… Le garçon là, c’est lui Jules, il sait que c’est lui avec sa
mèche qui lui tombe dans les yeux. Il ne fait plus un bruit.
— Il
paraît que oui !
— Félicitations,
mon pote, Valentine et toi formez vraiment un chouette couple !
Valentine ?
La rouquine ? Jules referme la porte.
Il
en aperçoit une autre, plus petite.
— Ah
mon pauvre Jules !
Pauvre ?
Jules s’approche pour écouter :
— Je
t’avais dit qu’il ne fallait pas goûter ces vers de terre, c’est franchement… tu
vas avoir mal au ventre ! Regarde Valentine…
Beurk !
Jules retire la porte vers lui. Manger des vers de terre ? Encore avec
Valentine ? Elle ne me lâche pas celle-là !
Il
s’assoit par terre et réfléchit. La porte « Demain » est le futur. Bon, il n’a
pas envie d’apprendre qu’il va être malade s’il mange ces sales bestioles, par
contre, se marier avec Valentine, ça…
Ses
yeux commencent à se fermer, il décide de regagner sa chambre où il s’endort
aussitôt.
C’est
l’odeur du pain grillé et du chocolat chaud qui le tire du lit. Quand il rejoint
sa maman dans la cuisine, elle l’attend avec une tartine de confiture à la
main.
— Bien
dormi mon bonhomme ?
Il
ronchonne un oui et s’assoit à table.
— Tu
penseras quand même à t’habiller, l’école c’est dans une heure.
Emmeline
fredonne et lui ébouriffe les cheveux en passant près de lui.
Quand
on sonne à la porte, surprise, elle regarde son fils.
— Bien
matinal ! qui cela peut-il être ?
Quand
Jules aperçoit Valentine accompagnée de Juliette, sa mère, entrant dans la
cuisine, il manque s’étrangler avec sa tartine.
— Bonjour
Emmeline. Désolée de te déranger si tôt, mais Valentine a mal au ventre, si tu
pouvais…
Emmeline
est médecin, et à la campagne, on n’attend pas forcément que le cabinet médical
ouvre. Elle soupire.
— Qu’est-ce
qu’il se passe, ma pitchounette ?
Jules
devant sa tartine devient tout rouge.
— Elle
a mangé des vers de terre.
Les
deux femmes se regardent surprises. Valentine furibonde réplique :
— Menteur !
et puis d’abord comment tu le sais ?
— Je
t’ai vue.
Emmeline
fixe Jules, pendant que Juliette interroge sa fille.
— C’est
vrai ?
Valentine
hoche la tête.
— Alors
tu ne dois pas t’étonner pas d’avoir mal au ventre, lui murmure Emmeline en lui
massant doucement l’abdomen. La douleur disparut et la gamine retrouva le
sourire.
— Voilà,
elle est guérie, mais ne t’avise pas de recommencer.
Juliette remercia et emmena sa fille.
C’était
chose courante de débarquer ainsi à l’improviste chez Emmeline. Un peu
sorcière, comme l’appellent les habitants du village, ils n’hésitent pas à
venir frapper au carreau au moindre bobo. Pourtant, la jeune femme est
véritablement médecin, mais de même que sa mère et sa grand-mère avant elle,
elle possède un don.
— Dis-moi
Jules, comment tu étais au parfum pour Valentine ?
Jules
ne ment pas parce qu’il a horreur de ça.
– J’ai
ouvert la porte de « Demain » et tu sais quoi ? Je vais me marier avec elle.
Jamais je ne serais d’accord, elle m’énerve. Moi, je veux toujours rester avec
toi. Mais je n’ai pas compris, je ne les ai pas encore mangés moi les vers de
terre, pourtant je me suis vu.
Emmeline
interrompt son fils :
— Si
je réfléchis bien, tu m’as désobéi ?
Il
rougit de plus belle.
— As-tu
vu aussi que j’allais te flanquer une jolie punition ? Par exemple, t’interdire
d’aller à la pêche ce week-end.
— Maman,
s’il te plait, non !
Jules
fondit en larmes.
— Je
ne recommencerai plus, je te le jure. Et puis d’abord, ça me fait trop peur de connaitre
« Demain ». Je préfère que ça arrive tout seul sans que je sache. Dis maman, je
ne vais pas me marier avec Valentine hein ? Et puis, j’étais vieux, et il y
avait aussi Étienne, je ne l’avais pas reconnu, sauf qu’il avait toujours ses
lunettes. Moi, je ne veux pas devenir comme grand-père.
— Bon
Jules, va t’habiller, tu vas finir par être en retard, ça ce n’est pas demain,
c’est maintenant !
— Dis,
tu crois que je pourrais changer le futur ?
En
marchant vers l’école tous les deux, main dans la main, Jules n’en démord
pas :
— Je
ne veux pas épouser Valentine et devenir comme grand-père…
Emmeline
sourit.
— Tu
as bien le temps, peut-être changeras-tu d’avis ?
— Ah
non ! moi, je vais le changer le futur, tu vas voir. Et avant qu’Emmeline
réagisse, Jules partit à la rencontre de Valentine qui arrivait avec Juliette.
— Tu
sais quoi Valentine ? Je ne vais pas me marier avec toi !
La
petite fille le regarde de ses grands yeux couleur d’océan :
— Ben
pourquoi ? Je ne suis pas fâchée pour les vers de terre.
La
question surprit tellement Jules qu’il resta planté sur le trottoir.
C’est
ainsi qu’Emmeline le retrouva.
— Tu
sais, dit Jules, finalement, peut-être que ce n’est pas une mauvaise idée.
— Que
veux-tu dire Jules ?
— Elle
a vraiment de jolis yeux Valentine !
Il
remet sa main dans celle de sa maman et continue sa route pour aller à l’école.
À
suivre…
©
Minibulle 21/03/2020
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