Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

vendredi 21 juin 2019

Chez Frédo ça sent l'été ou Pagnol ?



— Il est où l’été tu peux me le dire ?

Le soleil n’est pas dans le ciel, ça, c’est sûr. Du coup, les deux commères n’ont pu aller s’installer sur leur banc habituel pour commenter. Mais elles ont de la ressource. Elles se sont retrouvées au bistrot du coin chez Frédo. Il n’est pas mal non plus, le bonhomme, il est au courant de tout. Mais il faut lui arracher les vers du nez, il n’est pas bavard. C’est drôle pour quelqu’un qui sert des bières et du café à longueur de journée, mais c’est ainsi. Frédo, il sait tenir sa langue.

— Salut Frédo, ça va bien ce matin ?
— Bonjour les filles.

Ginette et Augustine sont restées célibataires. Elles sont voisines depuis des lustres. Elles affichent fièrement leurs soixante-dix ans, parce qu’elles ne portent pas de lunettes, marchent sans canne, et ont gardé une certaine sveltesse. À peine quelques cheveux gris parsèment leur coiffure. La vie les a épargnées mais elles, elles n’épargnent personne.

— Alors, Frédo, que nous racontes-tu ?
— Il ne fait pas beau aujourd’hui. Tu vas participer à la fête de la musique ?
— Tu nous sers deux cafés s’il te plait. Ah, tu n’as plus de croissants ? Je t’avais prévenue, Ginette, que nous devions arriver plus tôt !
— Tu devrais en prévoir davantage Frédo, tu vas perdre de la clientèle sinon ! Pour ce que j’en dis après tout ça ne me regarde pas.

Il ne répondait jamais, il n’en avait pas le temps. D’ailleurs, il se demandait si les deux femmes s’en rendaient compte.

— Tu ne réponds pas ? Tu fais la gueule ?
Finalement, si, elles faisaient attention à lui.

— La fête de la musique est sur la place comme d’habitude.
— Tu pourrais inviter le soleil…
— Ce n’est pas moi qui le commande.
— Je te signale quand même Ginette que le soleil ne fait pas partie forcément de l’été.
— Tu es sérieuse ? Hiver neige, printemps oiseaux qui gazouillent et soleil, été encore plus de chaleur, automne feuilles qui tombent. C’est comme ça depuis la nuit des temps.
— Tu n’as pas remarqué que les spécialistes racontent que la terre se réchauffe et du coup qu’il fait plus chaud ?
— C’est bien ce que je dis, il faut le soleil et aujourd’hui, il s’est fait la malle.

Au fond du café, le vieux jukebox se mit en marche et la chanson de « Au p’tit bonheur » résonna. https://www.youtube.com/watch?v=3uStC_JW4XU

— Ah tu vois ! Qui a mis cette chanson ?
Comme personne ne répondait, Ginette balaya la salle de son regard de lynx.
— C’est toi César qui m’a fait la blague et qui te terre dans ton coin ? Ne baisse pas la tête, je t’ai repéré. Merci quand même ! J’ai appris que Baudelaire disait « L’été est une saison qui prête au comique. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais cela est. » Tu es comique de ne pas te dénoncer. Tu n’es plus à l’école.
— Tu connais Baudelaire toi ?
— Je ne suis pas ignare, qu’est-ce que tu crois ?
— Dis aussi que moi aussi je le suis.
— C’est toi qui le dis, ce n’est pas moi !

— Oh, les commères, vous allez vous taire ? J’aimerais bien prendre mon p’tit noir tranquille. L’été, c’est la saison des moustiques et des mouches. Vous êtes pires que ces saletés d’insectes qui colportent tout et n’importe quoi.
— Râle pas Marius ! T’es bien content de pouvoir t’installer sur la terrasse et de pouvoir jouer aux cartes avec tes potes.
— Je tape aussi le carton l’hiver.
— Allez, avoue que l’été c’est mieux pour reluquer les filles qui passent devant ton nez. Vu qu’il fait chaud, hein, tu m’as comprise. Ta femme pique sa crise de jalousie après, je l’ai entendue râler la semaine dernière.
— T’es une vraie vipère Augustine. Je comprends pourquoi t’as pas trouvé d’homme.
— Ah c’est certain qu’il ne serait pas venu souvent jouer avec nous celui qui t’aurait comme épouse, ricana César.
— Allez allez les amis, les interrompit Frédo, ne vous chamaillez pas. C’est l’été, les touristes vont arriver, ils vont s’installer sur ma terrasse.
— Ouais, et nous, tu vas nous virer.
— César, comment peux-tu dire une chose pareille ? Tu sais bien que vous êtes toujours les bienvenus ici.
— Évidemment, rétorqua Ginette, nous, nous faisons tourner ton commerce toute l’année.

Frédo ne put s’empêcher de lui lancer son torchon avec lequel il essuyait ses verres en riant.  
— Mauvaise langue !
— C’est pas vrai peut-être ? Je suis certaine qu’il ne manquera pas de viennoiseries dans ta corbeille quand ils débarqueront tes touristes. Nous, il n’y en a toujours que quatre qui se battent en duel.
— Qui vient jouer aux cartes avec moi ?
Marius installait le tapis sur la table au fond de la salle César leva la main.
— Et vous les filles vous en êtes aussi ? Sans rancune, allez. Je vous offre même un autre café.
— Je sais bien que tu as du cœur toi, sourit Augustine.
— Ne commencez pas à tricher vous deux, je vous ai à l’œil. Marius et Augustine, on aura tout vu. Gare à ta femme.



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