— Il
est où l’été tu peux me le dire ?
Le
soleil n’est pas dans le ciel, ça, c’est sûr. Du coup, les deux commères n’ont
pu aller s’installer sur leur banc habituel pour commenter. Mais elles ont de
la ressource. Elles se sont retrouvées au bistrot du coin chez Frédo. Il n’est
pas mal non plus, le bonhomme, il est au courant de tout. Mais il faut lui
arracher les vers du nez, il n’est pas bavard. C’est drôle pour quelqu’un qui
sert des bières et du café à longueur de journée, mais c’est ainsi. Frédo, il
sait tenir sa langue.
— Salut
Frédo, ça va bien ce matin ?
— Bonjour
les filles.
Ginette
et Augustine sont restées célibataires. Elles sont voisines depuis des lustres.
Elles affichent fièrement leurs soixante-dix ans, parce qu’elles ne portent pas
de lunettes, marchent sans canne, et ont gardé une certaine sveltesse. À peine
quelques cheveux gris parsèment leur coiffure. La vie les a épargnées mais
elles, elles n’épargnent personne.
— Alors,
Frédo, que nous racontes-tu ?
— Il
ne fait pas beau aujourd’hui. Tu vas participer à la fête de la musique ?
— Tu
nous sers deux cafés s’il te plait. Ah, tu n’as plus de croissants ? Je t’avais
prévenue, Ginette, que nous devions arriver plus tôt !
— Tu
devrais en prévoir davantage Frédo, tu vas perdre de la clientèle sinon ! Pour ce
que j’en dis après tout ça ne me regarde pas.
Il
ne répondait jamais, il n’en avait pas le temps. D’ailleurs, il se demandait si
les deux femmes s’en rendaient compte.
— Tu
ne réponds pas ? Tu fais la gueule ?
Finalement,
si, elles faisaient attention à lui.
— La
fête de la musique est sur la place comme d’habitude.
— Tu
pourrais inviter le soleil…
— Ce
n’est pas moi qui le commande.
— Je
te signale quand même Ginette que le soleil ne fait pas partie forcément de l’été.
— Tu
es sérieuse ? Hiver neige, printemps oiseaux qui gazouillent et soleil, été encore
plus de chaleur, automne feuilles qui tombent. C’est comme ça depuis la nuit
des temps.
— Tu
n’as pas remarqué que les spécialistes racontent que la terre se réchauffe et
du coup qu’il fait plus chaud ?
— C’est
bien ce que je dis, il faut le soleil et aujourd’hui, il s’est fait la malle.
Au
fond du café, le vieux jukebox se mit en marche et la chanson de « Au p’tit
bonheur » résonna. https://www.youtube.com/watch?v=3uStC_JW4XU
— Ah
tu vois ! Qui a mis cette chanson ?
Comme
personne ne répondait, Ginette balaya la salle de son regard de lynx.
— C’est
toi César qui m’a fait la blague et qui te terre dans ton coin ? Ne baisse pas
la tête, je t’ai repéré. Merci quand même ! J’ai appris que Baudelaire disait « L’été
est une saison qui prête au comique. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais cela
est. » Tu es comique de ne pas te dénoncer. Tu n’es plus à l’école.
— Tu
connais Baudelaire toi ?
— Je
ne suis pas ignare, qu’est-ce que tu crois ?
— Dis
aussi que moi aussi je le suis.
— C’est
toi qui le dis, ce n’est pas moi !
— Oh,
les commères, vous allez vous taire ? J’aimerais bien prendre mon p’tit noir
tranquille. L’été, c’est la saison des moustiques et des mouches. Vous êtes
pires que ces saletés d’insectes qui colportent tout et n’importe quoi.
— Râle
pas Marius ! T’es bien content de pouvoir t’installer sur la terrasse et de
pouvoir jouer aux cartes avec tes potes.
— Je
tape aussi le carton l’hiver.
— Allez,
avoue que l’été c’est mieux pour reluquer les filles qui passent devant ton
nez. Vu qu’il fait chaud, hein, tu m’as comprise. Ta femme pique sa crise de
jalousie après, je l’ai entendue râler la semaine dernière.
— T’es
une vraie vipère Augustine. Je comprends pourquoi t’as pas trouvé d’homme.
— Ah
c’est certain qu’il ne serait pas venu souvent jouer avec nous celui qui t’aurait
comme épouse, ricana César.
— Allez
allez les amis, les interrompit Frédo, ne vous chamaillez pas. C’est l’été, les
touristes vont arriver, ils vont s’installer sur ma terrasse.
— Ouais,
et nous, tu vas nous virer.
— César,
comment peux-tu dire une chose pareille ? Tu sais bien que vous êtes toujours
les bienvenus ici.
— Évidemment,
rétorqua Ginette, nous, nous faisons tourner ton commerce toute l’année.
Frédo
ne put s’empêcher de lui lancer son torchon avec lequel il essuyait ses verres
en riant.
— Mauvaise
langue !
— C’est
pas vrai peut-être ? Je suis certaine qu’il ne manquera pas de viennoiseries dans
ta corbeille quand ils débarqueront tes touristes. Nous, il n’y en a toujours que
quatre qui se battent en duel.
— Qui
vient jouer aux cartes avec moi ?
Marius
installait le tapis sur la table au fond de la salle César leva la main.
— Et
vous les filles vous en êtes aussi ? Sans rancune, allez. Je vous offre même un
autre café.
— Je
sais bien que tu as du cœur toi, sourit Augustine.
— Ne
commencez pas à tricher vous deux, je vous ai à l’œil. Marius et Augustine, on
aura tout vu. Gare à ta femme.
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