Marie-Sophie vient de se
rendre compte que son meilleur ami Archibald est amoureux d’elle. Elle saute
par la fenêtre de l’arrière-boutique de Mélusine, et se trouve nez à nez avec
Gabriel sa baguette à la main.
Nous
nous regardons aussi surpris l’un que l’autre. Je suis plus rapide que lui, il
n’a pas le temps de placer un mot et une fois de plus je m’enfuis.
Je
cours à perdre haleine et arrive en sueur chez moi. Charles en laisse tomber sa
clé à molette. Fou de bricolage, il a toujours un outil à la main. Je me plie
en deux devant chez lui afin de reprendre mon souffle. Je ne suis vraiment pas
faite pour la course à pied. Je réalise qu’il va falloir que je rentre fissa dans
ma maison au risque de voir débarquer derrière moi Gabriel. Je sursaute quand j’entends :
— Ce
n’était pas la peine de t’enfuir aussi vite, nous habitons en face l’un de l’autre,
je savais parfaitement où te retrouver.
Charles
plonge la tête dans le capot de sa voiture. Il ne va m’être d’aucun secours. Je
n’ai toujours pas repris mon souffle, et la sueur dégouline de mon front. Je
dois être cramoisie, mes lunettes glissent sur le nez, les larmes m’aveuglent,
je suis pathétique et en plus, affreuse, c’est certain.
J’essaie
de récupérer le peu de dignité qu’il me reste. Je me redresse, tente de
respirer normalement et sans un mot me dirige vers mon chez moi. Gabriel me
barre la route.
— Non,
tu ne vas pas t’enfuir encore une fois. Tu peux m’expliquer ce qu’il t’est
passé par la tête pour enjamber la fenêtre de ta copine ? Tu aurais pu te faire
mal en sautant.
Qu’il
est agaçant ! Il n’est pas médecin pour rien. Je ne vais pas pouvoir bouger le
petit doigt sans qu’il imagine que je vais me fracasser. Je ne suis pas si
maladroite quand même !
— Regarde
ton genou !
Je
baisse la tête. Il saigne.
— Une
vraie gamine ! Tu as passé l’âge tu ne crois pas ?
Charles
fait un bruit d’enfer avec sa boîte à outils, je ne sais pas ce qu’il cherche,
mais il farfouille dedans et ça s’entrechoque drôlement son bazar.
C’est
à ce moment-là que je me rends compte que je ne supporte pas du tout la vue du
sang et que je vais faire un malaise, c’est sûr ! il ne faut surtout pas que
Gabriel s’en aperçoive sinon je vais partir aux urgences avec gyrophare et tout
le tutti.
— Ah
tu es là !
Il
ne manquait plus que lui. Archibald ! Il a abandonné sa boulangerie, il doit vraiment
être inquiet.
Mélusine le suit. Ils ne peuvent pas me foutre
la paix.
— Mais
tu t’es fait mal ?
Oh
non ! ça recommence. C’est chouette les amis, mais il y a des moments où je les
trouve un peu lourds.
— Je
m’en occupe !
Évidemment,
Gabriel a la part belle. C’est son boulot de soigner les gens. Et moi j’ai perdu
ma langue. En fait, je serre les dents pour ne pas m’évanouir. Je ne dois
absolument pas baisser la tête pour voir mon genou.
J’essaie
de capter le regard de Mélusine. Entre filles, nous devrions nous comprendre.
Elle prend aussitôt les choses en main. Elle bouscule Gabriel, saisit mon bras
et m’entraîne chez moi. Je lui tends ma clé. Les deux garçons restent dans la
rue.
— Merci
Mél !
— Pourquoi
t’es-tu sauvée ?
Tout
en parlant, elle me nettoie le genou et m’affirme qu’il n’y a plus de sang, que
c’est juste une égratignure.
— J’ai
entendu ce qu’a dit Archibald.
— Si
tu n’avais pas sauté par la fenêtre, tu aurais compris que je lui ai passé un
savon. Archibald n’est pas amoureux de toi, il est un peu trop protecteur. Il me
fait le même coup quand il se rend compte que j’ai un copain. Il est comme un
grand frère pour nous.
— Tu
parles du gendarme ?
— Non,
lui, il ne le connaît pas. Avant…
— Tu
as eu des copains toi ? Et je n’étais pas au courant ?
— Tu
es toujours dans ta bulle MarieSophe, mais je t’aime comme ça. De toute façon,
ça n’a jamais duré.
— C’est
peut-être pour ça qu’Archibald t’a fait la leçon.
— Je
te vois venir toi ! Tu imagines qu’il pense que Gabriel n’est pas fait pour toi ?
— Tout
de suite les grands mots « fait pour moi ». Est-ce que quelqu’un est vraiment
fait pour quelqu’un d’autre ?
— J’aime
bien l’idée. Trouver sa moitié, c’est une belle image.
— Ouais !
Bof !
Je
m’approche de la fenêtre pour constater que les garçons ont disparu.
— Ils
sont partis.
— Et
alors ? MarieSophe, que ressens-tu pour Gabriel ? Il est sympathique et il en
pince pour toi.
— Je
n’en sais rien, jamais personne ne s’est intéressé à moi, pourquoi ça
commencerait aujourd’hui ?
— Et
nous ? On ne compte pas ?
— Ce
n’est pas pareil !
— Et
Charles ? Il est toujours aux petits soins pour toi.
Mélusine
me contemple.
— Enlève-moi
ces nattes, tu as passé l’âge.
— Non,
elles font partie de moi.
J’entends
du bruit, les garçons arrivent… Enfin, seul Archibald est là. Il me regarde et
me sourit.
— Tu
te rappelles quand tu avais des pansements partout quand nous étions gamins ?
Tu n’as pas changé. Toujours aussi maladroite. Allez viens.
Il
me tend les bras et je m’y blottis. Je me sens bien. Je ne veux pas le perdre. Mélusine
soupire.
— Je
vous laisse, j’ai fermé la boutique à cause de vous. Il faut que je gagne ma
vie moi, je n’ai pas comme toi Archi, quelqu’un qui peut faire le boulot à ma
place.
Elle
m’embrasse et s’en va nous abandonnant tous les deux.
— Tu
peux repartir servir tes clients, tu sais. Je n’ai rien de grave.
— Ce
soir, on se regarde quoi sur Netflix ? Tu fais ton choix ? J’apporte tout. Tu
ne t’occupes de rien.
Et
voilà, c’est tout Archibald. Je suis certaine que nous allons passer un bon
moment. Je ne veux pas penser à Gabriel, c’est trop compliqué.
— À
tout à l’heure.
Il
me quitte en sifflotant.
Je
regarde la maison d’en face. Rien ne bouge. Charles est toujours en train de
bricoler dans son moteur. Je vais le retrouver.
— Tiens,
voilà la grande blessée !
Ses
yeux rient.
— Oh !
ça va ! Tu es tout seul ?
— Comme
tu vois.
Il
continue de bidouiller la tête dans le capot. Le silence s’éternise.
— Tu
vas la poser ta question ?
— Pardon ?
Il
est toujours penché sur son moteur et je ne comprends pas ce qu’il veut dire.
— C’est
ça fais ton imbécile !
Je
ne réponds pas. Il se relève enfin.
— Tu
n’as pas envie de savoir où est Gabriel ?
— Pas
du tout.
Il
rit.
— Alors
pourquoi es-tu là ?
— Je
n’ai pas le droit de prendre de tes nouvelles et de voir si tout va bien ?
— Ben
voyons. Arrête MarieSophe. Il est reparti travailler. Il a été appelé.
— Ah…
Une
voiture stoppe devant nous. Une jolie brune baisse sa vitre. J’ai le temps d’apercevoir
qu’elle a un petit chien dans un panier sur la banquette arrière ainsi qu’un bébé
qui dort dans son siège auto. Charles, très aimable, s’essuie les mains et s’approche.
— Excusez-moi,
je cherche la maison de Gabriel. Il m’a dit que je pouvais m’installer chez lui
quelques jours. Vous êtes Charles ? Il m’a beaucoup parlé de vous. Il savait que
j’allais sans doute tomber sur vous en arrivant ici.
Son
accent est chantant, sa voix est légèrement cassée, elle a le teint mat, les
yeux verts en amande. Je capte tout ça en quelques secondes alors que Charles
lui indique où l’entrée. Elle a le bip pour ouvrir le portail. Elle le remercie
en souriant et entre chez Gabriel.
Charles
se tourne vers moi.
— Moi
je vais bien et toi ?
©
Minibulle 11 juillet 2020
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