Vous
ne vous êtes jamais demandé « qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui ? »
Voilà,
ça m’arrive tout le temps ces jours-ci.
C’est
drôle ! Quand tous les lundis que je déteste d’ailleurs, je devais me lever
pour partir au boulot, je me disais que je serais bien restée chez moi parce
que j’avais des tonnes de choses à faire. Je n’avais pas envie de rencontrer
les collègues, ils m’agaçaient. Le directeur dont je suis l’assistante allait
encore me demander de traiter des dossiers pour la veille. Aujourd’hui,
qu’est-ce que je donnerais pour aller les voir ces potes qui bossent avec moi.
Je prendrais bien un café avec eux, on se raconterait le week-end. Le téléphone
sonnerait et je râlerais parce que je ne peux pas le finir tranquille.
Je
suis à la fenêtre et je n’ose même pas aller parler à mon gentil papy Charles
que j’appelle pépé alors qu’il ne l’est pas du tout.
Confinement !
Ce mot, je ne le connaissais pas avant ! je n’avais pas l’idée que ça pouvait
arriver.
Déjà
que je suis seule, alors, là c’est le bouquet ! Archibald mon ami boulanger
continue à fabriquer ses pains. Je vais en chercher… une fois par semaine.
Impossible d’y aller plus souvent pour bavarder avec lui, interdit.
Je
n’ai jamais autant écouté de la musique que maintenant. Je redécouvre mes
albums et du coup ça me flanque le cafard. Alors, je range tout et me branche
sur Deezer comme ça j’ai des playlists actuelles, exit les souvenirs.
Mais
elle dure cette réclusion. Même si j’ai un jardin et que je ne suis pas en
appartement, je déprime toute seule. Ce n’est pas de chance, mes parents
étaient justement partis en vadrouille dans leur maison de campagne quand le
confinement est tombé. Du coup, ils sont restés avec les coqs qui les
réveillent et l’odeur des vaches. Je les envie.
Mélusine,
ma meilleure amie, couturière a dû fermer sa boutique. Et voilà qu’elle décide
de venir s’installer chez moi. Je n’en reviens pas. Elle pourrait partir dans
la grande maison retrouver sa famille, non, elle préfère me rejoindre.
Je
lui ai préparé avec amour la chambre qui lui est souvent destinée et elle
débarque avec sa valise, son gel hydroalcoolique et sa bonne humeur.
— Personne
ne t’a contrôlée ?
Elle
me sourit. Je l’adore Mélusine, elle est la féminité incarnée. Toutes les deux,
je sens que nous allons bien en profiter pour papoter, de rigoler et de voir le
temps passer.
— Je
n’ai pas fini de décharger ma voiture !
Stupéfaite,
je la regarde sortir sa machine à coudre, des bouts de tissus, et des boites
multicolores.
— Tu
n’as pas déménagé ton magasin quand même !
— Non,
mais j’ai plein d’astuce pour qu’on s’occupe. Attends, vois, j’ai amené tout
mon maquillage. Ce n’est pas parce que nous sommes enfermées que nous devons
êtres moches. Et pas question de rester en pyjama hein MarieSophe ?
Moi
lambiner en babygros ? Quelle idée !
— Je
te connais ma belle ! Et puis, j’ai apporté aussi des bouquins et j’ai déniché
de jolis cahiers et carnets que nous allons pouvoir customiser. Toi qui adores
ces babioles pour écrire, tu vas t’éclater.
Ébahie,
je la contemple envahir tout mon espace.
— Je
m’étale, ça ne te dérange pas ?
— Bien
sûr que non !
Elle
déballe du rouge, du jaune, du bleu, du vert, du rose, du violet. Elle voit la
vie en couleurs Mélusine. Je n’imaginais pas que sa petite voiture pouvait
contenir autant de merveilles. J’ai l’impression d’être une gamine devant ses
cadeaux de Noël.
— Tu
ne m’as pas répondu, tu t’es fait contrôler en venant me rejoindre !
— Hum !
Hum !
— Tu
avais ton autorisation ? Tu avais marqué quoi ?
— Comme
c’était les premiers jours, il a été assez cool.
— C’est
la gendarmerie ?
— Hum !
Hum !
Son
sourire m’agace. Pourquoi est-elle si mystérieuse ? Elle reprend.
— Tu
ne me demandes pas qui m’a contrôlée ?
— Pourquoi
je connais ?
— Non,
mais moi je l’ai trouvé mignon.
— Tu
crois que c’est le moment de tomber amoureuse ?
— Toute
de suite les grands mots.
— Et
si parce qu’une jolie fille leur plait, les gendarmes ne font pas leur boulot
alors où va-t-on ?
— Oh
arrête de faire ta rabat-joie ! Je ne souhaitais pas t’en parler, mais ça fait quelques
mois qu’on se voit !
J’en
reste sur le cul ! Comment ai-je pu ne pas m’en rendre compte.
— Je
suis désolée Mélusine, je…
— Tu
n’as pas à t’en vouloir, Archibald n’est pas au courant non plus. Nous avons
été assez discrets. Allez, tu me montres ma chambre que je m’installe.
À
20 heures, nous sommes toutes les deux à nos fenêtres et nous
applaudissons pour remercier tout le personnel soignant. Je vois que Charles
est aussi devant sa porte et clame des bravos à tout rompre. Je ne peux
m’empêcher de lui faire signe. Une fois, les voisins rentrés chez eux, il brave
les interdits et s’approche de ma maison, mais respecte le mètre de distance.
— Comment
vas-tu MarieSophe ?
— Et
toi pépé ? Tu ne t’ennuies pas trop ?
— Figure-toi
que je me suis mis à internet et Skype. Je peux bavarder comme ça avec
Célestine.
Je
n’en reviens pas. Le confinement a de ces surprises !
— Elle
ne s’embête pas trop ?
— Dans
sa grande maison, elle n’a pas beaucoup de visites. Elle se sent seule. Du
coup, nous discutons longuement. Dimanche, nous avons fait une vidéo dessert.
— Tu
m’expliques ?
— Elle
est allée chercher son pain comme d’habitude, elle n’y va plus qu’une fois par
semaine, et elle a acheté un éclair. J’en avais pris un aussi avec mes
baguettes, et nous l’avons dégusté ensemble par écran interposé.
Il
m’épate pépé. Mélusine rit.
— Ce
n’est pas toi MarieSophe qui ferait ça, pas vrai ? Remarque ça t’arrangerait
bien, tu pourrais te carapater dès qu’il deviendrait trop entreprenant ton
chéri.
— Je
n’ai pas d’amoureux !
— Le
pauvre, tu ne vas pas le voir souvent. Il est sur le pied de guerre avec ce
virus de malheur, dit Charles en soupirant.
Je
le regarde interloquée, à qui fait-il allusion ? Il reprend.
— Je
les admire moi tous ces soignants qui risquent leur vie pour nous sauver nous !
Gabriel est en première ligne.
— De
qui parles-tu Charles ?
Surpris,
il m’interroge.
— Ne
me dis pas que tu ne sais pas qu’il est médecin urgentiste ?
Je
regarde Mélusine. Pépé décaroche. Je m’approche de lui, mais il me repousse.
— MarieSophe
recule ! et le mètre de distance alors ? Gabriel est ton voisin d’en face.
Celui qui venait me raconter le soir, sa journée, quand il rentrait. Mais, il y
a deux semaines que je ne l’ai pas vu. Il doit dormir là-bas !
— Tu
parles de Florent ?
— Je
n’ai jamais compris pourquoi tu l’appelais comme ça ! C’est Gabriel.
Mélusine
me file un coup de coude et chuchote.
— Tu
es allée sur son compte Instagram, vu qu’il est médecin, il n’a peut-être pas
mis son vrai nom.
Je
ne relève pas et demande à Charles.
— Il
est urgentiste à quel hôpital ?
— Mais…
celui de la ville à côté, pardi ! Sérieux, vous les jeunes, vous ne vous parlez
pas ?
— Tu
n’as pas de nouvelles depuis combien de temps ? Tu as son numéro de téléphone ?
Pépé
se met à rire.
— Tiens
donc, tout d’un coup il t’intéresse le beau brun ? Parce qu’il est médecin ? Parce
qu’il risque sa vie il devient digne de toi ?
Je
rougis ! D’un coup je me rends compte que je suis peut-être passée à côté de
quelque chose.
— Je
t’avais prévenu Marie-Sophie que le bonheur, il ne fallait pas lui faire grise
mine quand il te faisait de l’œil.
Je
baisse la tête et Mélusine m’entoure de son bras mes épaules. Je suis nulle.
— Tiens !
Je l’ai toujours dans ma poche, parce qu’il m’a dit que je pourrais l’appeler,
il se débrouillerait si jamais je n’allais pas bien. Il ne pensait pas à cette
épidémie bien évidemment, mais… Il est gentil tu sais, Gabriel !
Il
me tend un papier froissé où un numéro de téléphone est inscrit.
— Tu
le notes et tu me le rends.
Mélusine
a déjà sorti son portable et enregistré le précieux 06 dans sa liste de
contacts, alors que moi je n’avais pas encore réagi, hébétée par ce que je
venais d’apprendre.
©
Minibulle 3/04/2020
Très belle histoire, bravo Isabelle.
RépondreSupprimerMerci Francisco
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