Je
me sentais bien mélancolique. Rien ne s’était passé comme prévu chez Clovis.
Tout d’abord, il a fallu que Gabriel nous fasse remarquer que nous étions
quatre et que nous n’avions pas réservé. Est-ce que là où nous allions, les règles
sanitaires allaient être respectées ?
Mélusine
et Archibald ont éclaté de rire et Archi a dit :
— Vous
n’êtes jamais allé manger chez lui ? Vous ne savez pas comment est son restau ?
Rien
que le vouvoiement entre eux et le ton employé m’a hérissé le poil. Gabriel a aussitôt
mis les choses au clair en leur demandant de le tutoyer. Mélusine a calmé le
jeu et a accepté. J’avais la gorge sèche et qu’une envie, rentrer chez moi.
Une
fois chez Clovis, celui-ci ne m’a pas reconnu ou a fait semblant en m’accueillant
d’un :
— Qui
est donc cette nouvelle amie que tu nous amènes Archibald ?
J’ai
rougi jusqu’aux oreilles. Et il a continué.
— Mais ?
C’est toi MarieSophe ?
Il
s’est alors approché de moi et m’a embrassée en me chuchotant à l’oreille que j’étais
jolie comme un cœur.
Nous
avons pu nous installer sans être trop près les uns des autres, il y avait peu
de monde, distanciation physique oblige. Le gel hydroalcoolique nous attendait
devant la porte. Gabriel a été le premier à se laver les mains et quand je l’ai
vu faire, je suis restée sidérée. Evidemment Archibald n’a pas résisté et a murmuré
assez fort pour que nous entendions tous :
— Tu
ne vas opérer personne, ça va, tu es bien désinfecté là !
Mélusine
lui a filé un coup de coude pour le faire taire. Gabriel n’a pas bronché.
Impossible
de faire une partie de tarot, toujours à cause de ce satané virus. Donc, une
fois le repas avalé, nous sommes repartis. Archibald a proposé de me ramener.
Mélusine a bien essayé de lui dire que Gabriel habitait en face et qu’il
pouvait le faire. Archibald n’a rien voulu comprendre et moi je ne reconnaissais
pas mon meilleur ami. Pour couronner le tout, Gabriel est une star dans notre
village et le peu de clients qui était au bar, est venu le saluer et lui
demander comment ça se déroulait à l’hôpital. Soirée géniale ! Bref, entre le
boulanger connu comme le loup blanc et mon voisin d’en face, pas moyen de
passer un repas tranquille.
Une
fois devant ma maison, Gabriel nous a remerciés et est reparti chez lui.
Mélusine et Archibald ont suivi et moi, comme une imbécile, je suis restée
toute seule. J’ai regardé par la fenêtre de ma chambre la lumière s’allumer. Je
n’ai pas osé l’appeler. J’ai jeté un coup d’œil pour voir si Charles était là. Rien
ne filtrait. Je me suis donc couchée, déçue et malheureuse. Je ne savais pas si
c’était la conduite de mon meilleur ami qui m’avait fait le plus de peine ou le
fait que je n’ai pas pu passer un moment en tête à tête avec Gabriel.
Ce
matin, je suis devant la glace. Je tiens mes deux élastiques dans les mains et me
demande si je natte mes cheveux ou pas. Vu comme s’est déroulée la soirée, je
préfère les refaire. Je redeviens Marie-Sophie, la vraie.
Mais
que s’est-il donc passé hier ? Je regarde dans la salle de bains, la robe que je
devais mettre la veille et me dis que j’ai bien fait de rester en jeans.
Avec
tout ça, je n’ai plus de pain. Je vais aller à la boulangerie et s’il n’y a
personne, je vais lui parler à Archi. Il faudra bien qu’il m’explique quelle mouche
l’a piqué.
Charles
me salue. Il est dans son jardin, il arrose ses fleurs. Il s’approche de moi et
demande :
— Alors
ta soirée ?
Surprise,
je ne sais pas quoi répondre.
— Ne
fais pas ta timide, j’ai bien vu que tu partais avec tes amis et Gabriel. Mais
si tu veux un bon conseil, essaie d’oublier un peu Archibald. Deux coqs dans une
basse-cour, ça ne vaut rien.
— Tu
es bête ! Archibald est mon pôte.
— Je
sais ce que je dis. Je parie que ta soirée ne s’est pas passée comme tu le
souhaitais.
— Évidemment,
nous n’avons pas pu jouer au tarot.
— Quelle
idée ! Clovis vient juste de rouvrir, il ne va pas se mettre la police
municipale sur le dos. Tu aurais pu y penser. Vous êtes donc allés chez lui ? Gabriel
est connu ici, il aurait sans doute préféré t’emmener ailleurs.
Je
ne réponds pas. Charles n’est pas idiot.
— Qui
a eu l’idée ?
— Quelle
importance ? Je te laisse, je dois aller chercher du pain, je n’ai pas avalé de
petit déjeuner et j’ai faim.
Il
m’attrape la main, la retient quelques secondes :
— N’oublie
pas, deux coqs dans la basse-cour, c’est impossible.
Je
hausse les épaules et prends la direction de la boulangerie.
Il
n’y a qu’un client. Parfait ! Je vais pouvoir dire ce que je pense à mon ami.
Mais je reste pétrifiée sur le trottoir d’en face. C’est Gabriel qui est dans là.
J’aimerais être une petite souris et me faufiler pour écouter ce qu’ils se
racontent.
— Viens,
MarieSophe !
Je
sursaute prise en flagrant délit de curiosité par Mélusine.
— Je
t’offre un café et un croissant si tu veux.
Installée
avec elle devant un guéridon joliment nappé dans son arrière-boutique, je
savoure la viennoiserie et le breuvage chaud. La bouche pleine, je ne peux m’empêcher
de remarquer :
— Tu
as vu que Gabriel était chez Archibald ?
— Hum !
Je
bois à petites gorgées ma boisson. À ce moment-là, la clochette tinte. Mélusine
se lève et aperçoit le client qui déboule. Elle va à sa rencontre et moi je
reconnais aussitôt la voix qui s’adresse à elle.
— Il
ne manque pas de toupet celui-là ! Jamais, je ne le laisserai me prendre
Marie-Sophie. Il a fallu que cet imbécile débarque chez elle hier pour que je
comprenne que j’étais amoureux d’elle depuis des années. Quel idiot !
Heureusement,
Mélusine a une petite fenêtre que je peux enjamber facilement pour m’enfuir. Je
saute sur le trottoir et me trouve alors face à Gabriel qui tient sa baguette à
la main.
©
Minibulle 13 juin 2020
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