Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

samedi 13 juin 2020

Tu t'appelles Mélancolie, Marie-Sophie



Je me sentais bien mélancolique. Rien ne s’était passé comme prévu chez Clovis. Tout d’abord, il a fallu que Gabriel nous fasse remarquer que nous étions quatre et que nous n’avions pas réservé. Est-ce que là où nous allions, les règles sanitaires allaient être respectées ?
Mélusine et Archibald ont éclaté de rire et Archi a dit :
— Vous n’êtes jamais allé manger chez lui ? Vous ne savez pas comment est son restau ?
Rien que le vouvoiement entre eux et le ton employé m’a hérissé le poil. Gabriel a aussitôt mis les choses au clair en leur demandant de le tutoyer. Mélusine a calmé le jeu et a accepté. J’avais la gorge sèche et qu’une envie, rentrer chez moi.
Une fois chez Clovis, celui-ci ne m’a pas reconnu ou a fait semblant en m’accueillant d’un :
— Qui est donc cette nouvelle amie que tu nous amènes Archibald ?
J’ai rougi jusqu’aux oreilles. Et il a continué.
— Mais ? C’est toi MarieSophe ?  
Il s’est alors approché de moi et m’a embrassée en me chuchotant à l’oreille que j’étais jolie comme un cœur.
Nous avons pu nous installer sans être trop près les uns des autres, il y avait peu de monde, distanciation physique oblige. Le gel hydroalcoolique nous attendait devant la porte. Gabriel a été le premier à se laver les mains et quand je l’ai vu faire, je suis restée sidérée. Evidemment Archibald n’a pas résisté et a murmuré assez fort pour que nous entendions tous :
— Tu ne vas opérer personne, ça va, tu es bien désinfecté là !
Mélusine lui a filé un coup de coude pour le faire taire. Gabriel n’a pas bronché.

Impossible de faire une partie de tarot, toujours à cause de ce satané virus. Donc, une fois le repas avalé, nous sommes repartis. Archibald a proposé de me ramener. Mélusine a bien essayé de lui dire que Gabriel habitait en face et qu’il pouvait le faire. Archibald n’a rien voulu comprendre et moi je ne reconnaissais pas mon meilleur ami. Pour couronner le tout, Gabriel est une star dans notre village et le peu de clients qui était au bar, est venu le saluer et lui demander comment ça se déroulait à l’hôpital. Soirée géniale ! Bref, entre le boulanger connu comme le loup blanc et mon voisin d’en face, pas moyen de passer un repas tranquille.
Une fois devant ma maison, Gabriel nous a remerciés et est reparti chez lui. Mélusine et Archibald ont suivi et moi, comme une imbécile, je suis restée toute seule. J’ai regardé par la fenêtre de ma chambre la lumière s’allumer. Je n’ai pas osé l’appeler. J’ai jeté un coup d’œil pour voir si Charles était là. Rien ne filtrait. Je me suis donc couchée, déçue et malheureuse. Je ne savais pas si c’était la conduite de mon meilleur ami qui m’avait fait le plus de peine ou le fait que je n’ai pas pu passer un moment en tête à tête avec Gabriel.

Ce matin, je suis devant la glace. Je tiens mes deux élastiques dans les mains et me demande si je natte mes cheveux ou pas. Vu comme s’est déroulée la soirée, je préfère les refaire. Je redeviens Marie-Sophie, la vraie.
Mais que s’est-il donc passé hier ? Je regarde dans la salle de bains, la robe que je devais mettre la veille et me dis que j’ai bien fait de rester en jeans.
Avec tout ça, je n’ai plus de pain. Je vais aller à la boulangerie et s’il n’y a personne, je vais lui parler à Archi. Il faudra bien qu’il m’explique quelle mouche l’a piqué.

Charles me salue. Il est dans son jardin, il arrose ses fleurs. Il s’approche de moi et demande :
— Alors ta soirée ?
Surprise, je ne sais pas quoi répondre.
— Ne fais pas ta timide, j’ai bien vu que tu partais avec tes amis et Gabriel. Mais si tu veux un bon conseil, essaie d’oublier un peu Archibald. Deux coqs dans une basse-cour, ça ne vaut rien.
— Tu es bête ! Archibald est mon pôte.
— Je sais ce que je dis. Je parie que ta soirée ne s’est pas passée comme tu le souhaitais.
— Évidemment, nous n’avons pas pu jouer au tarot.
— Quelle idée ! Clovis vient juste de rouvrir, il ne va pas se mettre la police municipale sur le dos. Tu aurais pu y penser. Vous êtes donc allés chez lui ? Gabriel est connu ici, il aurait sans doute préféré t’emmener ailleurs.
Je ne réponds pas. Charles n’est pas idiot.
— Qui a eu l’idée ?
— Quelle importance ? Je te laisse, je dois aller chercher du pain, je n’ai pas avalé de petit déjeuner et j’ai faim.
Il m’attrape la main, la retient quelques secondes :
— N’oublie pas, deux coqs dans la basse-cour, c’est impossible.
Je hausse les épaules et prends la direction de la boulangerie.

Il n’y a qu’un client. Parfait ! Je vais pouvoir dire ce que je pense à mon ami. Mais je reste pétrifiée sur le trottoir d’en face. C’est Gabriel qui est dans là. J’aimerais être une petite souris et me faufiler pour écouter ce qu’ils se racontent.

— Viens, MarieSophe !
Je sursaute prise en flagrant délit de curiosité par Mélusine.
— Je t’offre un café et un croissant si tu veux.

Installée avec elle devant un guéridon joliment nappé dans son arrière-boutique, je savoure la viennoiserie et le breuvage chaud. La bouche pleine, je ne peux m’empêcher de remarquer :
— Tu as vu que Gabriel était chez Archibald ?
— Hum !
Je bois à petites gorgées ma boisson. À ce moment-là, la clochette tinte. Mélusine se lève et aperçoit le client qui déboule. Elle va à sa rencontre et moi je reconnais aussitôt la voix qui s’adresse à elle.
— Il ne manque pas de toupet celui-là ! Jamais, je ne le laisserai me prendre Marie-Sophie. Il a fallu que cet imbécile débarque chez elle hier pour que je comprenne que j’étais amoureux d’elle depuis des années. Quel idiot !
Heureusement, Mélusine a une petite fenêtre que je peux enjamber facilement pour m’enfuir. Je saute sur le trottoir et me trouve alors face à Gabriel qui tient sa baguette à la main.

© Minibulle 13 juin 2020

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