Joséphine
et Ludivine attendaient le bus. L’une était blonde, l’autre brune. On était le
1er novembre et c’était un vrai temps de Toussaint. Il
pleuvait, il ventait, il faisait froid. Joséphine la blonde tenait une valise
et sa voisine un parapluie. Elles ne se connaissaient pas et pourtant…
— Bonjour
mesdames, que représente pour vous le mois de novembre ?
Une
petite bonne femme tenait son portable à la main et avait bien du mal à rester
debout. Le vent la bousculait.
— C’est
pour un sondage…
— Par
ce temps, ricana Joséphine.
— Non,
en fait, je dois écrire un texte pour le mois de novembre et…
— Pas
de veine, en été, ça doit être plus agréable.
— Ce
n’est pas faux, mais chaque saison a ses avantages et ses inconvénients.
Ludivine
replia son parapluie et vint prendre place sous l’abri de bus.
— Pour
moi novembre ça commence toujours mal, avec la tournée des cimetières, soupira-t-elle.
— Vous
n’êtes pas obligée d’y aller !
Joséphine
haussa les épaules.
— Moi
je n’y vais jamais. Ma famille n’est pas d’ici. Je ne vais pas parcourir toute
la France pour aller me recueillir sur du marbre. Les personnes qui sont
dessous, je ne me souviens même plus qui elles sont.
— Donc,
reprenait la journaliste, pour vous c’est tout d’abord le passage sur les
tombes.
Ludivine
hocha la tête.
— Oui
j’y apporte des fleurs. C’est un peu par respect pour les personnes qui aussi
viennent visiter les cimetières. J’aurais honte si la tombe de mes parents
n’était pas fleurie.
Joséphine
éclata de rire.
— Tu
penses que les gens font attention à ça !
— Et
pour vous ? Que représente novembre ?
La
journaliste regardait à présent la blonde.
— Le
froid, le vent, le gris, la baisse du moral, les journées qui raccourcissent…
— Et
le Noël qui approche.
— Décidément,
vous êtes très famille vous, riposta-telle en fixant Ludivine.
— Pas
vous ?
— À
quoi ça sert ? De toute façon, on est toujours déçu par les siens et on ne la
choisit pas.
— Vous
avez des enfants ? reprit la journaliste en les regardant toutes les deux.
Elles
firent non de la tête en même temps.
— Il
y a la Sainte-Cécile le 22 novembre, continua Joséphine. Je le sais, je
suis musicienne et il y a régulièrement une fête organisée par notre
association.
— De
quel instrument jouez-vous ? demanda Ludivine.
— Du
piano.
— Vous
en avez de la chance.
Joséphine
acquiesça et enfouit son nez dans son écharpe.
— Il
ne fait vraiment pas chaud. Il arrive ce bus ?
— C’est
jour férié, l’horaire n’est pas le même.
Ludivine
reprit :
— Nous
avons chez nous la fête de la châtaigne. On goute le vin nouveau appelé le
bourru, c’est convivial, et sympathique.
La
journaliste enregistrait ce que les deux femmes racontaient.
— Il
y a Sainte-Catherine aussi. Pour les jeunes filles qui la coiffent, c’est
qu’elles sont toujours célibataires à vingt-cinq ans. Elles portent de jolis
chapeaux.
Ludivine
et Joséphine se regardèrent et éclatèrent de rire.
— Oui,
moi je vais le mettre. J’ai vingt-cinq ans.
— Pareil
pour moi.
La
journaliste demanda :
— Vous
avez signalé la Toussaint ? Mais vous savez quand même que la fête de vos
défunts c’est le 2 novembre, appelé le jour des morts ?
— Tu
parles d’un jour qui fait rêver ! dit Joséphine en secouant la tête.
— Oui,
je sais, mais la Toussaint et ça pour moi c’est pareil.
— Au
fait… Le 3 novembre, c’est plus amusant, c’est celle de la gentillesse.
— Une
journée pour ça ? C’est fou ! Nous devons être gentils que cette journée-là,
c’est débile !
— Pas
faux ! mais au moins, il y en a une. Vous parliez de la fête des châtaignes
tout à l’heure, mais alors, et l’arrivée du beaujolais nouveau ?
— Finalement,
il y en a des choses en novembre, sourit la journaliste.
Leur
autocar arrivait. Elles ne l’avaient pas entendu arriver distraites par leur
conversation. Elles saluèrent celle qui venait de leur poser toutes ces
questions et grimpèrent dans le véhicule.
La
journaliste restée seule soupira.
— Elles
ne m’ont même pas parlé du 11 novembre. Évidemment, elles sont jeunes,
mais quand même. Elles pensent à la fête de la gentillesse qui est récente et
oublie celle des droits de l’enfant. Décidément…
La petite dame rangea son portable dans
son sac et continua sa route.
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