Novembre s’est essoufflé. Avec sa vague de froid, son temps gris, sa
neige précoce, il passe le relais à son ami Décembre. Il en est tout gris
lui-même et a les cernes sous les yeux.
- Tiens, tu vas faire mieux que moi j’en suis certain. J’ai bien essayé
de faire briller le soleil plus longtemps, mais il s’est cassé en morceaux.
J’ai soufflé pour que les nuages n’arrivent pas trop vite et assombrissent le
ciel, mais ils ont fait la course entre eux, ils ont gagné, la neige est
arrivée et…
- Arrête, arrête l’ami… Tu as fait ce que tu avais à faire et tu l’as
bien fait. Le temps gris, le froid, la neige, c’est aussi pour moi, c’est
normal. Tu ne peux pas aller contre la nature, tu le sais bien.
Décembre est tout guilleret. Avec sa barbe blanche, il ressemble à un
chic vieux monsieur. Il est appuyé sur sa canne et ses yeux brillent.
- Oui mais toi, tu as les fêtes pour faire passer la pilule, on t’aime.
- C’est vrai, c’est le mois des cadeaux, ça commence avec la Saint
Nicolas le 6. Mais tu sais Novembre, j’ai la pression quand même !
- Pourquoi ?
Novembre s’est assis sur une souche d’arbre et regarde son ami qui
marche de long en large en grommelant.
- Imagine qu’il n’y ait pas assez de neige… Hein ? on ne pourra
pas ouvrir les stations de ski et je vais entendre hurler « c’est pas bon
pour le tourisme ça ! » Par contre si j’ai trop de soleil « on
n’a jamais vu ça, un décembre aussi chaud » et on va remonter aux calendes
grecques pour se rappeler que « Ah si en telle année… » et puis mon
pote le Dicton « Noël au balcon, Pâques aux tisons » va rappliquer…
Novembre éclata de rire et répondit :
- Ouais et Avril va râler !
- Ou mars, celui-là avec ses giboulées…
Les deux amis se turent un moment en humant la nature. Décembre sentait
bien que son ami était fatigué mais il reprit :
- Je suis le mois qui termine l’année ! Sylvestre me le répète
assez : je dois être décoré pour sa fête, tu sais, le 31 ! Mais avant
il faut des sapins illuminés et les villes aussi, mais avec des ampoules LED
tu sais c’est meilleur pour la planète. Décembre se baisse alors vers son ami
et lui murmure à l’oreille : Je croyais que c’était des ampoules moches,
LED, je ne savais pas ce que ça voulait dire moi, je suis vieux, depuis le
temps, moi qui ai connu les réverbères … C’était le bon temps aussi. Bref, il
faut aussi de jolis marchés de Noël on ne parle que de ça, il faut qu’il fasse
froid pour les marrons et le vin chaud…
Décembre se tut et soupira.
- Mais je suis triste aussi.
Son ami releva la tête et l’interrogea du regard.
- Je ne suis pas aimé par tout le monde contrairement à ce que tu penses. Je suis le symbole de la
réunion familiale et pour les solitaires, je les renvoie à leur solitude, même
si je multiplie les idées pour qu’ils ne se sentent pas exclus, mais rien à
faire, on ne m’aime pas ou on ne m’aime plus à cause des souvenirs…
Novembre passa alors son bras autour des épaules de son ami et Décembre continua :
- Je me console en voyant les visages épanouis des enfants devant les
cadeaux. Oui, même ceux qui n’ont pas grand-chose, il y a tellement de
solidarité dans le monde…
- C’est vrai et pas que pour les enfants.
- Tu as raison, je n’oublie pas nos anciens, seuls ou en maison de
retraite. Tu sais là aussi j’essaie d’insuffler du bonheur.
Il se tut et regarda Novembre.
- Tu comprends pourquoi j’ai la pression ?
- Comme chaque année, mon pote ! Novembre se leva alors, son
énergie retrouvée. Il allait pouvoir se reposer pendant onze mois. Il tendit la
main :
- Tu vas réussir Décembre. Comme toujours, tu vas nous faire rêver. Je
te passe le flambeau, tu commences bien, c’est la Saint Eloi, patron des
métalliers. Il s’éloigna.
Décembre le vit disparaître. Il se redressa et s’installa en soufflant
et en étalant son long manteau. Les dernières feuilles tombèrent, les oiseaux
gonflèrent leurs plumes… Oui, décembre tu es arrivé, pensèrent-ils.
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