Muguette est née le 1er mai.
- Tu parles d’un prénom ! ronchonne la jeune femme.
Ses parents l’ont appelée ainsi en l’honneur de la fleur aux clochettes
blanches qui est sensée porter bonheur.
- Du pipeau oui ! porter bonheur, ça se saurait !
Muguette est née râleuse. Bébé, elle hurlait dès qu’elle n’avait pas
son biberon assez vite et devenait rouge de colère. Aujourd’hui, elle
ronchonne, elle roumègue, elle rouspète, elle a un avis sur tout, ne voit que
le négatif, n’aime pas le soleil parce qu’il donne des coups de soleil, n’aime
pas la pluie parce qu’elle mouille, ni le froid parce qu’elle a froid, ni le
chaud parce qu’elle a trop chaud. Bref,
quand on rencontre Muguette, il faut être vraiment bien dans ses baskets sinon
elle vous embarque avec elle et vous mettez un temps infini à vous en remettre.
Son réveil sonne comme tous les matins et comme tous les matins il fait
trop de bruit. Alors elle l’envoie valser à l’autre bout de la chambre et comme
à chaque fois l’engin se casse et Muguette tempête :
- Je vais encore devoir en acheter un autre, ça ne vaut rien ces
machins !
Elle file sous la douche mais n’attend pas que l’eau chauffe, elle se
gèle. Elle pousse alors le robinet d’eau chaude, elle se brûle. Le savon lui
glisse des mains et elle a oublié sa serviette. Mais c’est de la faute au monde
entier bien sûr. Déjà devant son miroir, la ride du lion la nargue. Rageusement
elle la lisse puis finalement se dit que ça ne sert à rien. Elle tente quand
même la crème anti-rides, raffermissante et repulpante qui est pleine de
promesses et qui lui a coûté les yeux de la tête.
- Tu parles ! murmure Muguette. Un attrape-couillon oui ! Ils
nous prennent vraiment pour des billes ceux qui ont inventé ça.
Elle se plante devant son placard et ne sait pas quoi mettre. Elle
ouvre alors les volets puis la fenêtre et passe la tête au-dehors.
- Evidemment, il pleut.
Rageusement, elle la reclaque et enfile pantalon et pull.
La cafetière a rendu l’âme. Elle a oublié hier de l’éteindre, pour une
fois qu’elle la détartre !
- Tant pis, j’en prendrai un au bar en face du bureau.
Elle enfile son manteau, attrape son parapluie qui une fois dehors
refuse de s’ouvrir et quand elle y parvient, une bourrasque lui retourne. Elle
le jette au fond de son sac fourre-tout qui pèse une tonne et lui démonte l’épaule
tout en courant vers sa voiture.
Elle allume alors la radio :
- Ben voyons, la hausse du gas-oil ! Et qui c’est qui paie ?
Toujours les mêmes.
Elle invective un automobiliste :
- T’avance toi ? J’ai pas toute la vie …
Même pas la chanson de Johnny la fait sourire :
- De toute façon il est mort alors ! Bah, finalement il est
peut-être mieux là-bas qu’ici. Regarde-moi ça ces bouchons ? Mais ce n’est
pas possible, ils ne peuvent pas aller à pied …
Arrivée au métro, elle constate qu’il est arrêté pour une durée indéterminée.
- Et merde !
Muguette est lessivée. Son début de journée lui a déjà pompé toute son
énergie. Courant sous la pluie elle entre dans un café, histoire d’avaler un
petit déjeuner. Toutes les tables sont occupées.
- C’est bien ma veine ! maugrée-t-elle en ébrouant sa crinière qui
croule en boucles sur ses épaules.
- Désirez-vous partager ma table ?
- Non, je n’ai pas l’habitude de parler à des inconnus, répond Muguette
sans se retourner.
- Je disais ça gentiment, pas la peine de m’aboyer dessus !
- Oh, ça va ! Muguette tourne la tête et reste muette devant l’homme
assis qui la dévisage en souriant.
- Une vraie panthère ! Vous avez mal dormi ?
Sa voix grave et chaude envoûte la jeune femme et la laisse pantoise,
mais le naturel reprend vite le dessus.
- On n’a pas gardé les chèvres ensemble que je sache, gardez vos réflexions
pour vous. Non, je n’ai pas mal dormi.
- Les moutons.
- Quoi les moutons ?
- On n’a pas gardé les « moutons » ensemble. Vous avez dit
les chèvres.
- Les chèvres, les moutons, c’est pareil. Vous allez me reprendre à
chaque fois que je parle ? Je vous préviens, je suis de mauvais poil !
- Non ? C’est vrai ? Loin
de moi cette idée, dit-il en éclatant de rire.
- Vous vous moquez de moi ? grogna Muguette.
- Je n’oserais pas !
L’inconnu s’amusait follement et ses yeux rieurs la fixaient.
- Bon, c’est pas tout ça, reprit Muguette, ça tient toujours votre invitation ?
J’ai vraiment faim !
- Mais je vous en prie asseyez-vous, je vous commande un café ?
- Je peux le faire toute seule merci ! Elle se faufila jusqu’au
comptoir et ramena à la table un petit déjeuner complet qu’elle commença à
dévorer. La chaleur du café et les tartines de confiture commencèrent à faire
leur effet et elle se détendit enfin. Elle regarda mieux l’homme assis en face
d’elle.
- Désolée, je n’ai pas pensé à vous demander si vous vouliez reprendre quelque
chose, mais comme vous aviez fini…
- Etes-vous toujours comme ça ?
- Oui, je sais que j’ai mauvais caractère, je râle tout le temps. Pas
de réflexions hein, vous allez m’énervez encore davantage. J’espère que le
métro va repartir sinon je suis bonne pour le bus, soupira Muguette.
- J’ai ma voiture. Si vous allez en centre-ville je peux vous déposer.
- Mais je rêve, vous me draguez là ? Elle était déjà debout.
- Pas du tout, je vous propose mon aide, point. Mais si vous préférez
le bus je vous laisse le prendre. Lui aussi était debout.
- Heureux de vous avoir rencontrée et il la planta là. Elle le suivit
des yeux, puis haussa les épaules.
- Mais quelle idiote !
Son regard accrocha alors une carte de visite oubliée sur la table.
Elle sourit.
- J’avais raison, je lui ai tapé dans l’œil.
Quand elle la parcourut du regard, elle écarquilla les yeux, attrapa
son sac et courut vers la sortie. Elle le chercha des yeux mais évidemment il
avait disparu.
- Jasmin, il s’appelle Jasmin. Je ne peux quand même pas laisser
échapper un mec qui s’appelle Jasmin.
Pas de chance, il n’y avait pas de numéro de téléphone sur la carte.
- Non mais quel crétin ! fulmina Muguette. Pas foutu de mettre son
06. Il vit dans quel monde lui ?
Elle leva alors la main et monta dans le bus qui s’arrêtait devant
elle.
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