– Arrête
de triturer les méninges, tu vas te faire un nœud au cerveau MarieSophe.
Mélusine
me regarde, lever le rideau, l’abaisser, le relever. Je surveille la maison de
mon voisin et je ne vois toujours pas âme qui vive.
Mon
amie reste zen quoiqu’il arrive et je l’admire. Elle s’est installée à
confectionner des masques. Et croyez-moi, ils seront chanceux ceux qui
porteront ceux-là ! Tout en respectant les normes, elle a choisi de très beaux
tissus. Elle s’active dans mon salon et le bruit de la machine martèle mes
journées. J’ai l’impression d’être inutile alors qu’elle au moins, fait quelque
chose. Archibald est un des premiers à les arborer. Il est encore plus mignon
comme ça ! Évidemment, sa clientèle l’a questionné : où se l’était-il
procuré ? Vous pensez bien que du coup, Mélusine a croulé sous les demandes.
Elle a gardé son calme et elle fournit pour la commune.
Ma
décision est prise. Je vais l’appeler. Qui ? Gabriel, mon voisin, puisque tel
est son nom.
Mais
mon amie me surveille du coin de l’œil.
– Attends !
tu sais ce que tu vas lui dire au moins ?
Elle
n’est pas anodine sa question. Elle continue, tout en gardant la tête penchée
sur son travail.
– Tu
n’as jamais voulu lui parler et d’un coup tu lui téléphones ? Il va
s’interroger. Ou plutôt si, il va s’imaginer que c’est parce qu’il est médecin.
Vu l’engouement que déclenchent en ce moment les soignants, je ne suis pas
certaine que tu tombes bien. Entre pitié, admiration, commisération et j’en
passe, il ne va pas savoir où tu te situes.
– Tu
crois ?
– Sois
patiente ! Tu n’es plus à un jour près maintenant !
– Et
s’il l’attrapait ?
– MarieSophe,
il peut m’arriver la même chose. Tu ne te fais pas autant de souci pour
Archibald.
Elle
me fait un clin d’œil.
– C’est
idiot ! Lui, je le vois presque tous les jours. Je sais qu’il va bien.
– C’est
ton imagination qui te joue des tours. Gabriel a l’habitude de travailler dans
ce milieu, que veux-tu qu’il lui arrive justement maintenant ? Il est
toujours en sursis, comme nous tous !
Je
ne réponds rien parce que j’ai entendu une voiture. Étant donné qu’il n’en
passe pas des milliers en ce moment, le moindre bruit est repéré.
Je
relève le rideau et cette fois, je le vois. Je ne réfléchis pas et sors de ma
maison comme un pantin de sa boite. Je cours vers lui et…
– Marie-Sophie ?
Il
tend la main devant moi et je comprends que je ne dois pas m’approcher plus
près.
– Un
problème ? Charles ?
Sa
question m’attendrit. Il ne fait pas un pas vers moi, mais son regard me sonde.
Je remarque alors son air fatigué, ses yeux cernés, il n’est pas rasé. Je ne
sais plus quoi dire. Qui suis-je moi, face à tout ce qu’il voit tous les jours ?
Il se bat contre la maladie pour sauver des vies et je viens l’ennuyer. Une
fois de plus, je suis nulle. J’allais faire demi-tour quand sa voix me
rappelle.
– Marie-Sophie ?
Je
rougis. Putain de virus qui m’empêche de l’approcher. Je le braverais bien,
mais je comprends aussitôt que c’est une très mauvaise idée quand je remarque
son regard qui fonce.
– Non,
reste où tu es. Je vais aller me doucher, me changer et après si tu veux, je te
téléphonerais.
– Je
suis désolée.
Je
n’ai pu dire que ces mots-là. Je suis devant lui les bras ballants. Je ne suis
pourtant pas une pestiférée, mais c’est tout comme !
– C’est
moi qui lui ai dit que tu étais médecin urgentiste. Elle n’était pas au
courant. Depuis, elle se fait du souci pour toi.
Charles
est derrière moi. Je m’en rends compte parce que le regard de Gabriel est passé
au-dessus de ma tête, et qu’un sourire s’est affiché sur son visage.
– Vous
allez bien, Charles ? Pas de toux ? Pas de fièvre ?
– Ne
t’inquiète pas pour moi, mon garçon. Va te reposer. Tu en as bien besoin. Oui,
je me porte bien.
– Je
suis tranquille jusqu’à demain. Je crois que je n’ai pas eu de pause depuis… je
ne sais plus.
Il
me regarde à nouveau.
– Marie-Sophie…
J’ai rapporté un petit repas confectionné par la femme de Clovis. Si vous
voulez, on s’appelle par Skype et on discute tout en grignotant ?
– Mon
amie Mélusine est à la maison, vous pourriez venir le partager avec nous ?
Il
sourit.
– Ne
me tentez pas, ce ne serait pas raisonnable en ce moment. Une autre fois.
Laissez-moi le temps de me doucher et de me reposer un peu et je vous bipe.
D’accord ?
Ce
sera donc ça maintenant les rendez-vous amoureux ? Me biper comme à l’hôpital,
il doit le faire des centaines de fois par jour.
Je
fais oui de la tête. C’est là que je me rends compte que j’aurais bien voulu
qu’il me prenne dans ses bras. J’aurais dû écouter Charles…
Oui,
putain de virus !
©
Minibulle 27/04/2020
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