Je
rentre du travail et je ne suis pas franchement de belle humeur. Finis Noël et
le Nouvel An, j'ai dû reprendre le collier et avec ça, retrouver les collègues.
Je
déteste présenter mes vœux. Il faut embrasser, sourire, se souhaiter la bonne
santé. Ça m’agace ! de toute façon, je peux toujours leur souhaiter, s’il s’avère
qu’il leur arrive des catastrophes, ce ne sera pas de ma faute, j’aurais rempli
mon taf !
Charles
est à sa porte. J’ai l’impression qu’il m’attend. Je stoppe devant chez lui et
baisse ma vitre laissant tourner le moteur. À lui, je vais dire qu'il ait le
meilleur et je serai sincère.
— Bonne
année Pépé. Que tout se passe bien pour toi. Au fait, tu as revu Célestine ?
— Tu
es bien curieuse !
— Tu
rougis ? Je n’y crois pas ! Alors, raconte !
Il
bougonna dans sa barbe et changea de conversation.
— Je
te souhaite aussi une merveilleuse année MarieSophe.
J’aimais
quand il m’appelait comme ça.
— J’espère
que tu vas enfin te trouver un petit copain.
C’était
trop beau, il fallait qu’il gâche tout. Rageusement, je remontais la vitre et partais
rentrer la voiture chez moi.
— Ne
fais pas la tête !
Il m’avait
suivi le bougre. Il est vrai que nous n’étions pas loin l’un de l’autre. Je
sortis le pain encore tout chaud de chez Archibald et reclaquais la portière.
— Pourquoi
tu n’acceptes pas de rencontrer Florent ?
— Alors
là, c’est le bouquet, tu m’accuses d’être curieuse, mais toi, tu es pire. Tu n’as
qu’à jouer à l’entremetteur tant que tu y es.
— Mais
quel caractère !
— Qu’a-t-elle
encore fait ?
Il ne
manquait plus que ma mère qui vienne aux nouvelles. Je vous rassure, nous n’habitons
pas ensemble, mais nous sommes voisins. Je ne suis pas un Tanguy au féminin. Mais
telle que je la connais, elle a dû surveiller la voiture. Elle sait mes
horaires de bureau. Elle me serra dans ses bras comme si j’étais encore sa
petite fille. J’aime bien, j’avoue, mais devant Charles, ça me chagrine un peu.
Elle lui tendit la main et réitéra sa question. Mais Charles ne lui répondit
pas, la salua et retourna chez lui.
— Je
n’arrive pas à comprendre pourquoi tu t’entêtes à l’appeler pépé, alors que ce
n’est même pas ton grand-père. Il a un fichu caractère quand même non ?
— Je
ne trouve pas, moi je l’aime bien, et il est toujours là quand j’ai besoin de
lui.
— Et
nous, nous ne comptons pas ?
J’aurais
mieux fait de me taire, elle va me tanner pour en savoir davantage, et je vais
encore avoir droit au sempiternel refrain.
— Tu
es malheureuse ? J’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ?
Et
voilà, c’est parti. Je l’aime bien, maman. Pourtant, il y a des fois, je regrette
d’habiter si près de chez eux. Papa était architecte et quand il a construit ce
lotissement, il m’a gentiment proposé d’acquérir une maison. À l’époque, je
commençais juste à bosser, j’avais à peine vingt ans, je me suis dit que c’était
une bonne idée. Mais je n’avais pas imaginé que dix ans plus tard, je serais
toujours au même endroit seule. Surtout qu’ils n’habitaient pas là avant… lorsqu'
ils ont eu l’opportunité de se rapprocher, ils ont sauté sur l’occasion comme
un chat sur une souris. J’étais heureuse au début, et puis, au fur et à mesure,
j’ai commencé à trouver un peu lourd qu’ils me surveillent. Je vais avoir 30 ans
quand même !
— Tu
viens dîner à la maison ?
Je
voulais regarder Netflix ce soir et pas l'envie de me faire questionner encore et
encore par papa qui espère toujours que je vais avoir de l’augmentation. Il me
serine que je n’ai aucune ambition.
— Maman,
je suis fatiguée. J’ai plein de choses à faire, et il faut que je mette de l’ordre
un peu chez moi.
— Pourquoi ?
Tu es toute seule, tu ne dois pas avoir grand-chose à ranger ? Si ? Ah, mais
peut-être que tu as un petit copain et que tu ne souhaites pas que je le
rencontre ? C’est ça ? Tu sais, nous serions tellement heureux ton père et moi
que…
Je ne l’écoute
même plus. Ce refrain je le connais par cœur. Elle me suit pourtant dans la cuisine
et je la vois regarder partout, histoire de se rendre compte s’il n’y a rien
qui traine comme une paire de chaussettes masculines.
Déçue,
elle me sourit :
— Alors,
je te laisse. Passe une bonne soirée, et n’hésite surtout pas à venir, si
jamais tu changeais d’avis.
Elle m’embrasse
et ne reste plus que dans la pièce son parfum. Je soupire. Je l’aime ma maman
et je regretterais presque de lui faire de la peine en préférant être ici toute
seule. Il faut que j’arrête de culpabiliser. Elle est très forte à ce jeu-là,
ma mère !
Charles
a dû voir qu’elle était partie, il est là devant ma fenêtre. Je lève le rideau
et lui fais signe d’entrer.
— Florent
est passé tout à l’heure.
Non, ça
recommence ! Il ne lâchera rien le pépé.
— Il
désirait savoir si je te connaissais
bien.
Je reste
muette, le cœur battant la chamade.
— Tu
ne me demandes pas ce que j’ai répondu ?
Je
soupire et hausse les épaules.
— J’ai
dit que tu me voyais comme ton grand-père.
— Charles,
ne te mêle pas de ça !
— Oh
la ! je n’aime pas quand tu m’appelles comme ça. Mais tu sais, MarieSophe, ce n’est
pas bon de rester toute seule.
— Tu
l’es bien toi, tout seul, non ? Tu es malheureux ? Non… et puis, que veux-tu qu’il
me trouve ? Je suis moche, je ne ressemble à rien, je ne vois vraiment pas ce
qui peut l'attirer chez moi.
— Tu
es jolie comme un cœur. J’aurais bien aimé avoir une petite-fille comme toi. Ne
laisse pas filer ton bonheur. Moi, il m’est passé devant et je n’ai pas su l’attraper.
Crois-moi je l’ai regretté.
Il ne m’a
jamais raconté sa vie Charles. J’ai bien envie d’en connaitre davantage, mais
il ouvre la porte, me souhaite une bonne soirée et s’en retourne chez lui.
Je grimpe
dans ma chambre pour enfiler une tenue plus cool et je remarque que mon voisin
d’en face est aussi chez lui. Sa chambre donne sur la mienne et sa lumière est
allumée. Je me planque derrière mon rideau et essaie de l’imaginer. C’est à ce
moment-là que mon portable sonne.
— Salut,
MarieSophe, j'ai fermé la boulangerie, je peux passer chez toi ? Je sais que tu
as du pain tout frais, et je t’apporte une terrine de campagne que j’ai préparée,
j’ai une bouteille de vin comme tu aimes.
— Bien
sûr Archi, tu viens quand tu veux et ça te dit qu’on regarde Netflix, c’est
quand même mieux à deux.
Il éclate
de rire et raccroche. Finalement, je ne suis pas toujours seule. Archibald, mon
meilleur ami, si proche de moi qu’il me connait si bien, débarque souvent comme ça.
Je souris. Peut-être que c’est lui mon amoureux et que je ne m’en rends pas
compte. Je regarde à nouveau la fenêtre d’en face. Je distingue une deuxième
silhouette derrière les rideaux. Ça t’apprendra Marie-Sophie à jouer les
curieuses. Pourquoi suis-je déçue ? Ah oui, il m’avait dit que j’avais de jolis
yeux. Tu parles !
©
Minibulle 7/01/2020
Bonsoir Isabelle
RépondreSupprimerC'est magnifique comme toujours.
Je te souhaite une bonne année 2020 avec douceur et tendresse.
Gros bisous
Merci Elisabeth et à mon tour de te souhaiter une merveilleuse année de bonheur 2020.
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