C’était
un rêve depuis qu’ils étaient gamins. Jules et Léon voulaient voir le père
Noël. Ils n’avaient jamais pu le faire, mais aujourd’hui, ils étaient prêts.
Le
voyage avait été long jusqu’en Laponie. Les deux amis d’enfance n’étaient plus
tout jeunes. Bien emmitouflés dans leur pelisse, bonnets sur la tête, écharpes
autour du cou, les mains dans des gants fourrés, on ne distinguait plus rien de
leurs visages, sauf leurs yeux rieurs qui pétillaient de joie. Ils n’avaient
pas imaginé qu’il allait faire si froid et que les chiens qui tiraient leur traîneau galoperaient aussi vite et leur lanceraient de la neige.
Seuls
au monde dans l’immensité blanche, ils n’en menaient pas large. Le conducteur
les rassurait, rien de fâcheux ne pouvait leur arriver, ses bêtes connaissaient
parfaitement le chemin.
– Il
faut qu’on s’arrête !
Les
deux amis se regardèrent.
– Que
se passe-t-il ?
– Rien
de grave, mais je dois vérifier que mes chiens se portent bien. Je trouve que
le meneur va trop doucement. Je vérifie qu’il ne se soit pas fait mal. Descendez
s’il vous plaît !
– Mais
il fait froid !
– Désolé,
si vous vouliez avoir plus chaud, il ne fallait pas choisir notre pays.
Les
deux hommes descendirent du traîneau en maugréant. Il n’avait pas l’air commode
le chauffeur. Pourtant, rien ne laissait présager ce sale caractère.
– Bah,
t’inquiètes, il doit se faire du souci pour ses bêtes. Viens, on va admirer le
paysage.
– T’en
as de bonnes, admirer le paysage. Que veux-tu qu’on regarde, il fait plus noir
quand dans un tunnel, on ne voit pas à cinq mètres et...
– Où
est passée ta bonne humeur légendaire Jules ? Allez profite…
Léon
se mit à marcher à pas lourds dans la poudreuse. Soudain, deux yeux perçants et
un cri bizarre le firent se retourner.
– Une
marmotte ? Ici ?
– Que
faites-vous ?
Les
deux hommes se regardèrent incrédules. L’animal parlait.
– On
est en panne !
– Tu
réponds à une marmotte toi ? T’es grave quand même !
Jules
se frottait les yeux et bouscula son camarade.
– Venez
vous mettre au chaud chez moi, j’ai une cacasse à cul nu qui mijote sur ma
cuisinière.
– Une ?...
Léon
se claquait déjà les mains avec ses gants. Jules retint son ami qui suivait l'animal
qui sur ses deux pattes, se dandinait pour rejoindre sa cabane.
– Si
c’est comme chez Hansel et Gretel, nous allons finir enfermés et…
– Allez
viens !
Il
se retourna pour interpeller le conducteur des chiens, mais trop occupé à
soigner ses bêtes, il ne fit pas attention à lui. Léon ne put s’empêcher de lui
glisser :
– Vous
n’avez pas de catadioptre pour vous signaler, si un autre traîneau arrive, vous
risquez l’accident.
– T’es
vraiment à part toi, l’apostropha Jules. On n’est pas sur les Champs Élysées
ici !
Léon
éclata de rire et attrapa par le bras son ami et tous deux, cahin-caha,
parvinrent à la cabane de l’animal. Elle était entrée et avait laissé la porte
ouverte. Finalement, leur voyage se déroulait bien et ils allaient de surprise
en surprise.
— « Table
décorée
Par
le fumet alléché
Bien-être
assuré »
– Quel
poète ! ironisa Jules.
Il
ne put retenir un Wouahou devant le décor de la cabane.
– Faites
comme chez vous, je vous en prie.
L'animal,
un tablier ceinturé autour de sa taille, les invitait à s’asseoir.
– Quelle
bonne odeur ! Vous accueillez souvent des visiteurs ici ?
– Vous
êtes les premiers et j’en suis ravie.
Installés
autour de la table recouverte d’une nappe rouge et verte, Jules et Léon ne
savaient quoi dire. Soudain, une petite marmotte s’approcha d’eux. Elle tenait
un minuscule xylophone entre ses pattes.
– Je
vous présente ma fille. Elle va vous jouer un air de saison en guise
d’apéritif.
Complètement
subjugués par l’ambiance chaleureuse et toute fois irréelle, les deux hommes
écoutèrent avec bonheur la musique émise par l’instrument. Voir interpréter un
chant de Noël par une marmotte au xylophone, une autre faire la cuisine,
dépassaient l’entendement. Mais n’étaient-ils pas en Laponie ?
– Je
vous souhaite un excellent appétit. Ne tardez pas trop parce que votre
chauffeur va bientôt venir vous chercher.
– C’est
rudement bon ce que vous avez préparé ! Une cacasse à cul vous dites ? Jamais
entendu parler.
– On
l’appelle le plat du pauvre, parce qu’il y a des pommes de terre et de
l’oignon. Pas grand-chose en fait.
Jules
contemplait la marmotte qui feuilletait son livre de cuisine et leur montrait à
tous deux l’image représentant la recette qu'elle avait confectionnée. Il se
frottait les yeux souvent, pour être sûr qu’il ne rêvait pas.
La
porte s’ouvrit brusquement et tel un zouave sorti de sa boîte le conducteur des
chiens apparut.
– Nous
pouvons repartir, Yvette, tu m’en donnes une lichée de ta cacasse ?
– Mais…
vous vous connaissez ?
Ignorant
la question, il les invita à les suivre. Les bêtes étaient à nouveau harnachées
et piaffaient d’impatience.
Les
deux hommes, avant de se réinstaller dans le traîneau, se retournèrent en même
temps pour saluer leur hôte et la remercier. Il n’y avait personne. Seul, un
rideau blanc les enveloppait et les sapins habillés de leur manteau neigeux
courbaient un peu leur tête.
Sans
mots dire, ils prirent place, se recouvrirent du plaid et les chiens
s’emballèrent au cri du « en route » de leur maître.
Ils
entendirent alors comme un son de clochettes qui les saluaient.
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