Elles
se jaugent du regard et se demandent ce que l’une a de plus que l’autre. Elles
se trouvent toutes les deux intéressantes alors pourquoi ces questions qui les
taraudent… qui va engager la conversation la première ? Qui va oser se lancer
dans la bataille ? La plume est spectatrice. Elle ne sait pas qui va commencer,
elle les laisse maîtresse de leurs mots, elle espère que ça ne dérapera pas,
sinon elle devra intervenir. Elle attend.
— Comme
ça tu t’appelles Marie-Sophie ? MarieSophe pour les intimes, ouais ! pas mal !
— C’est
vrai que Muguette c’est original.
— Ah
tu vois !
— On
se tutoie ?
— ça
te dérange ?
— Nous
n’avons pas gardé les moutons ensemble !
— Hey,
toi tu piques les répliques de Jasmin. Tu triches.
— Pardon !
La
Plume intervient et promet qu’elle ne le refera pas.
— Va
pour le tu de toute façon, vu ton caractère…
Muguette
sourit.
— Qu’est-ce
que t’es belle !
Marie-Sophie
soupire. Pourquoi elle n’est pas comme elle.
— Quel
âge as-tu ?
— Environ
la trentaine et toi je devine que tu en as trente-cinq.
— Mais
comment tu sais tout ça toi ?
— Parce
que je suis née après toi.
— Alors,
raconte-toi, je ne te connais pas.
— Pas
grand-chose à dire sur moi. J’habite dans le même quartier depuis toujours. Près
de chez mes parents en plus.
— Sérieux ?
— Oui,
mais pas avec eux.
— Jasmin
est aussi encore chez ses parents.
— La
plume doit aimer les grandes familles.
— Sans
doute. Tu as un fiancé ? Laisse-moi deviner son prénom…
— Non.
— Bah
tu rigoles !
— Vrai !
— Mais
j’ai deux amis. Archibald et Mélusine.
— Ah
oui quand même, sacrée Plume.
Elles
se regardent à nouveau. Puis Marie-Sophie reprend.
— Il
y a une grande différence entre nous.
— Attends,
je vais feuilleter ta vie.
Muguette
tourne les pages.
— Il
n’y a pas grand-chose encore sur toi ?
— Oh
ça va, je t’ai dit que ça ne faisait pas longtemps que j’existais. Tu n’as rien
remarqué ?
— Tu
as un pépé, et… mais si tu as un amoureux. Ton voisin d’en face.
— Non,
autre chose.
Muguette
fronce les sourcils et soudain :
— C’est
toi qui parles ? Je n’en reviens pas.
— Oui,
c’est moi.
— La
Plume a sans doute eu peur que je dise trop de bêtises ou qu’elle n’arrive pas
à me canaliser.
— Parce
que tu crois que je peux dire tout ce que je veux moi ? Pourquoi ?
— Je
ne sais pas. Peut-être que tu lui ressembles davantage ?
— Mais
regarde-toi, tu as une chevelure magnifique, alors que moi je suis représentée…
— Nous
avons le même regard coquin !
Elles
éclatent de rire toutes les deux.
— C’est
vrai.
— Nous
ne nous laissons pas faire ni l’une ni l’autre.
La
Plume, surprise se demande qui a dit quoi.
— Il
est beau ton Jasmin ?
— Oui
et je suis amoureuse. Mais ma vie n’est pas facile, surtout que mon amie Prune a
des ennuis. Arrête de rire, c’est le prénom qui te fait cet effet ? J’ai eu le
même.
— Je
ne sais pas ce qui est passé par la tête de la Plume pour vous affubler de tous
ces prénoms.
— J’aime
bien et c’est très acidulée du coup. Archibald et Mélusine ? On dirait un conte
de fées.
— Ma
vie n’a rien d’une histoire pour enfants et pas question de » il était une fois »
ni de prince charmant.
— Pourquoi ?
— Je
ne suis pas jolie.
— En
voilà une idée. La Plume n’aurait pas créé une héroïne moche.
— Pourquoi
donc ? Ce qu’il nous arrive, ce n’est pas toujours comme dans les livres.
— Ah
parce que ta vie est un roman ?
— Mais
qu’est-ce que tu crois Muguette ? Tu as été inventée par la Plume, si elle n’a
plus rien à te faire dire, tu disparaitras.
— Mais
quelle horreur ! Impossible. Surtout que mon histoire est racontée et va être
publiée.
— Quoi ?
— Et
qu’il va certainement y avoir un autre tome parce que la Plume a plein d’idées
et que ça ne peut pas s’arrêter comme ça.
— Mais
pourquoi je ne suis pas publiée moi ? Tu vois, je te l’avais dit que j’étais moche
et qu’elle te préfère toi.
— Non
Marie-Sophie. Je crois que tu es tout aussi importante à ses yeux que moi. Tu
es différente c’est tout. Et qui te dit qu’un jour, tu ne seras pas en tête de
gondole ? Tu sais la Plume est imprévisible…
— Ne
dis pas du mal d’elle, j’aime bien quand elle me fait vivre.
— Moi
idem. Je découvre avec elle toutes mes péripéties. Bon, j’avoue ! quelquefois,
elle avait vu autre chose pour moi et puis pouf d’un coup, l’histoire change,
parce que je n’en fais qu’à ma guise et que c’est ma vie finalement. Tiens regarde,
la gifle au grand-père, jamais elle n’a eu cette idée. Mais il m’agaçait tellement
ce Louis que ma main est partie toute seule.
— Jamais
je ne frapperai le pépé. Je le respecte trop.
— Donc,
nous sommes différentes et la Plume t’aime bien. Mais, essaie de la faire
changer d’avis. Par exemple… sois plus féminine.
— Ah
tu es comme Mélusine, toi. Mais à quoi ça sert ?
— Tu
es un plus jeune que moi, mais un peu de maquillage par-ci, une petite robe par-là
et tout de suite tu n’es plus la même… Et ton voisin d’en face craquerait complètement.
— Ce
n’est pas ma préoccupation première.
— Alors
là, figure-toi que moi aussi, je n’avais pas envie de ça. Et puis, regarde où j’en
suis, j’ai même une pitchounette. Tu veux que je te dise, elle devait se
prénommer Eugénie… et puis finalement…
— Non ?
— Si !
À
nouveau, elles éclatent de rire.
— Il
s’appelle comment ?
— Qui ?
— Tu
sais bien de qui je parle, allez avoue.
— Florent.
— Fais
en sorte qu’à la prochaine histoire vous vous rencontriez et que vous discutiez.
— Il
trouve que j’ai de jolis yeux.
— C’est
un bon début et alors ?
— Je
me suis enfuie.
Muguette
s’énerve.
— Dis-donc
la Plume, c’est quoi cette idée ? À moi tu me dégotes un copain et pas à elle ?
Marie-Sophie
lui intime de se taire.
— Je
crois que c’est de ma faute. C’est moi qui n’ai pas voulu.
— Ah
parce que toi aussi tu fais changer d’avis la Plume ?
Leurs
regards malicieux se rencontrent et Marie-Sophie ajoute :
— Et
pourquoi suis-je représentée en rousse ?
— Je
pense qu’elle t’imagine complètement différente de moi.
— Tu
ne trouves pas que je fais un peu gamine pour trente ans ?
— Je
suis certaine que la Plume ne nous fera jamais vieilles. Elle est trop jeune
dans sa tête et c’est tant mieux. Je n’aimerais pas devenir une mémé ringarde.
— Et
si ton histoire se décline en plusieurs tomes alors ? Tu vas bien prendre de l’âge
comme tout le monde.
— Je
ne pense pas que ça durera éternellement, je crois avoir compris où ma vie va s’arrêter.
— Tu
veux dire que tu vas mourir ?
— Ah
non, j’ai déjà vécu celle de mon père, je n’ai pas envie que ça recommence.
— Oh…
Moi je les ais encore tous les deux.
— Tu
vois bien qu’elle t’aime. Elle ne te fait pas souffrir.
— Alors
tu vas disparaitre comment ? Tu ne veux pas me le dire ?
— Elle
serait où la surprise ? Par contre, toi, je suis d'avis que tu as de longues
années devant toi.
— Ouais,
et si je n’ai pas envie ?
— Tu
sauras lui dire. Et puis, d’autres héroïnes peuvent venir nous rejoindre. Elles
ne demandent que ça.
— Tu
en connais des trucs toi ! Et pourquoi pas un héros ?
— Soumets-lui
l’idée…
— Tu
crois qu’elle pourrait écrire sur un mec ?
— La
plume ? Bien sûr que oui. Laisse-lui le temps.
— Et
si on se retrouvait dans…
— Sur
la place des grands hommes dans dix ans ?
À
nouveau, elles éclatent de rire.
Oui,
laissez-moi le temps de vous apprivoiser toutes les deux. Un héros ? En serais-je
capable ? Pas tout de suite, mais qui sait ?
©
Minibulle 17 janvier 2020
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