Stefano
et Héloïse ont bien grandi. Lui, approche les sept ans alors qu’elle avoisine
les six. C’est mercredi. L’école est terminée pour aujourd’hui et ils sont à la
même. Du coup, ils reviennent ensemble à pied. Ce n’est pas loin, et comme ils
sont deux, ils bavardent. Les vacances se profilent à l’horizon.
Toujours
très complices, ils partagent leurs secrets.
— Tu
pourras me faire réciter ma poésie ?
Héloïse
n’est jamais très sûre d’elle. Elle apprend vite, mais elle craint souvent que
sa mémoire flanche.
— Et
puis tu sais ma copine Tina, elle est tombée.
— Oui
et alors c’est grave ?
— Elle
a des bleus partout. Elle m’a dit qu’elle n’avait même pas pleuré.
— Elle
est tombée comment ?
— Des
escaliers.
Stefano
regarde sa sœur d’adoption.
— Tu
parles bien de Tina, celle qui habite dans les nouvelles maisons ?
— Mais
oui, pourquoi tu demandes ça ?
— Pour
rien.
Ils
arrivent chez eux et la bonne odeur de cuisine les accueille aussitôt. Joe est
justement en train de se laver les mains et Charlie, le tablier autour de la
taille, tend sa joue. Texas, le terre neuve leur fait la fête.
— Mathurin
a proposé que vous alliez voir votre poulain Célestin cet après-midi.
Joe
regarde les deux enfants en s’installant à table.
— Vous
vous êtes lavés les mains ?
Charlie
ne transige pas. Pour le repas, chaque menotte doit être propre. Les gamins le
savent.
Ils
s’assoient et la jeune femme apporte la soupe de légumes sur la table.
— J’aime
pas ça ! ronchonne Héloïse.
Charlie
lui en verse tout de même une louche dans son assiette et Joe y va de sa petite
phrase toute faite :
— Il
faut que tu manges pour devenir grande.
— Maman
n’a pas dû en manger beaucoup, elle ne t’arrive même pas aux épaules.
— C’est
parce que je suis très grand.
— Et
que je n’ai pas mis mes talons.
Tout
le monde éclate de rire, sauf Héloïse qui regarde d’un drôle le liquide
verdâtre devant elle.
— C’est
à quoi ?
— Haricots
verts, courgettes et…
— Je
déteste les haricots verts.
Charlie
soupire. Elle est difficile en ce moment Héloïse. Stefano, lui a déjà terminé.
— Elle
est très bonne ta soupe. Tu devrais la goûter Héloïse.
Elle
accepte de tremper ses lèvres.
— Alors ?
— Hum,
ça va.
— Tina
est tombée des escaliers et a des bleus partout, déclare Stefano.
— T’étais
pas obligé de le dire, rouspète Héloïse. C’est ma copine. C’est à moi de le
dire.
Charlie
et Joe se regardent.
— Tina ?
Ton amie qui vient de déménager dans les nouvelles maisons ?
— Pourquoi
tu demandes ça ? Stefano aussi a fait pareil tout à l’heure.
Charlie
enlève les assiettes creuses, ainsi que celle de sa fille qui l’a terminée, et
apporte le gratin de macaronis.
Les
deux enfants applaudissent. Elle les sert en les prévenant que c’est chaud,
qu’ils fassent attention de ne pas se brûler. La bouche pleine de pâtes et de
fromage qui file, Héloïse reprend :
— Même
qu’elle n’a pas pleuré. Pourtant, elle en a beaucoup de bleus. Moi, j’aurais
pleuré, c’est sûr !
— Elle
les a montrés à ta maîtresse ?
— Ben
non, y a qu’à moi qu’elle l’a dit. C’est pas un secret, alors, je vous le raconte.
— Tu
les as vus aujourd’hui seulement ?
— Mais
non ! ça fait longtemps. Elle tombe souvent en fait.
Stefano
regarde son père.
— Je
croyais qu’il n’y avait pas d’escaliers dans ces maisons-là.
— Dis
aussi qu’elle ment !
Héloïse
se met à pleurer.
— T’es
méchant Stefano. Elle raconte pas des histoires ma copine. Même qu’elle raconte
que son papa, il la frapperait si elle mentait.
— Nous
te croyons ma chérie.
Charlie
lui passa la main dans les cheveux et soupira. Décidément…
Une
fois la table débarrassée, la vaisselle dans la machine et les enfants partis
dans la salle de jeux, Charlie demanda à Joe.
— Tu
sais parfaitement comme moi que cette petite est brutalisée par son père non ?
— Hum !
— Et
alors ? On laisse faire ?
Joe
soupira.
— Tu
veux que j’en parle à la femme de Mathurin, elle est assistante sociale.
— Joséphine ?
Oui, c’est vrai. Elle est au centre d’action sociale. Mais…
Charlie
se détourna. Joe savait bien à quoi elle pensait.
Dans
la salle de jeux, Héloïse discutait avec sa poupée. Stefano lisait.
— Pourquoi
tu me fais mal ?
— Je
ne te fais pas mal, je te frappe parce que tu as fait des bêtises.
— Oui,
mais tu me fais mal.
Stefano
leva la tête.
— Mais
pourquoi tu fais ça à ta Barbie Héloïse ?
— C’est
pas grave, il faut bien, elle n’est pas sage. Tu sais, mais tu ne le répètes
pas, mon papa, il faisait ça à maman. Elle croit que je le sais pas, mais j’ai
tout vu. C’est pour ça qu’on est là. Elle avait peur qu’il me fasse du mal.
Heureusement que ton papa, il n’est pas comme ça, hein dis !
Stefano
resta muet. Héloïse n’avait pas l’air perturbé plus que ça. Depuis qu’elle
était arrivée avec Charlie, elle n’avait jamais fait allusion à cette histoire.
La petite fille leva la tête et sourit :
— Tu
voudras qu’on se marie quand on sera grands ?
— Tu
as de ces questions Héloïse ! Comment veux-tu que je le sache ?
— Moi
j’en suis certaine. Et toi ?
— Bah
si tu en as envie.
— Sérieux ?
Héloïse
lui sauta au cou.
— Viens,
on va le dire à maman et papa Joe.
— Attends,
il n’y a pas urgence !
— Ça
veut dire quoi urgence ? C’est quand on va à l’hôpital ? Mais je ne suis pas
malade.
— Non,
Héloïse, ça veut dire que ce n’est pas pressé de les prévenir tout de suite.
— Pressé
comme un citron ? Je ne comprends rien à ce que tu racontes. Moi, je veux le
dire à maman.
Elle
se leva et dévala l’escalier, faillit rater une marche, et fut cueillie par Joe
qui la rattrapa de justesse.
— Combien
de fois faudra-t-il te dire de ne pas courir dans les escaliers ?
Joe
avait pris sa grosse voix.
— Je
voulais dire quelque chose d’urgent à maman même si c’est pas pressé comme un
citron. Mais je peux le dire à toi aussi. Avec Stefano on va se marier.
Le
gamin qui descendait regarda son père. Celui-ci faillit éclater de rire devant
la mine penaude de son fils.
— Félicitations
les enfants ! Vous avez choisi une date ?
Héloïse
répondit très sérieusement :
— Tu
as de ces questions papa Joe ! Comment veux-tu que je le sache ?
©
Minibulle 12 février 2020
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