C’est l’odeur de pain
grillé et de café qui réveilla Muguette. Elle ouvrit les yeux et écouta.
C’était bien lui qui
ronflait au loin. Elle l’entendait comme si elle y était. Elle referma les yeux
et se souvint.
Elle était toute petite,
deux ans à peine, mais le souvenir restait bien présent. Elle essayait de
courir dans le sable, et elle riait aux éclats, parce que les vagues venaient
lui lécher les chevilles. Il ne faisait pas chaud, et maman répétait qu’elle allait
prendre froid et qu’on n’avait pas idée d’emmener une pitchounette comme ça sur
une plage en novembre. Mais papa riait. Il disait à maman qu’elle avait ses
bottes jaunes à petits pois, qu’elle avait son ciré et sa capuche avec son
bonnet dessous, qu’elle ne risquait rien et qu’il fallait bien qu’elle
s’habitue à l’océan. Lui, il l’aimait tant…Il le prenait en photo tout le
temps. D’ailleurs, c’était son travail à son papa. Qu’est-ce qu’il faisait de
jolies photos. Elle se rappelle les jolis sourires qu’il lui demandait de faire
devant l’appareil…
Muguette laissa échapper
une larme et rageuse l’essuya. Elle gardait toujours les yeux fermés pour
essayer de garder l’image de son papa, d’entendre encore et encore son rire, sa
voix, et de sentir ses bras autour d’elle. Elle rageait de perdre peu à peu ses
sensations. Trente-trois ans qu’elle voulait à tout prix garder en elle son
image. Il y avait bien les albums photos, mais c’était avant sa naissance. Dès
qu’elle était née, les photos avec ses parents emplissaient les pages. Le
bonheur sortait de l’album tellement il y en avait. Et puis… plus rien.
Elle avait deux ans et un
peu plus quand il était parti au ciel…
Elle l’avait cherché
longtemps dans l’immensité étoilée, mais ne l’avait jamais trouvé. Elle était
restée seule avec sa maman, Pénélope.
Elle sourit en pensant
qu’elle portait bien ce prénom, sa mamounette. Elle était restée fidèle à …
Ulysse. Oui, son papa s’appelait Ulysse. Prénom peu répandu et pourtant il en
était fier. Muguette se rappelait qu’elle arrivait à le prononcer et ça faisait
rire son père parce que ça ressemblait plus à « Hue Hisse ».
Pénélope et Muguette,
Muguette et Pénélope. Inséparables, fusionnelles. Un amour sans limite. Comment
se faisait-il que la jeune femme n’en parle jamais ? Qui pouvait deviner
qu’elle avait une maman à qui elle téléphonait tous les jours, à qui elle se
connectait sur skype chaque soir ? C’était preuve de faiblesse ça, et
Muguette était une femme forte. Alors quand le grand-père de Jasmin l’avait
traitée comme une moins que rien, son seul refuge ne pouvait être que chez
Pénélope.
Elle se tourna dans le
lit et ouvrit les yeux. Elle regarda sa chambre. Toujours la même, avec sa pile
de livre en équilibre, sur son bureau. Une œuvre d’art comme répétait Pénélope.
Une photo encadrée de l’océan prise par Ulysse, un soir d’orage. Une armoire
avec des cartes postales épinglées sur la porte. Un peignoir rouge accroché sur
la patère. Un bouquet de fleurs séchées.
Un grattement familier à
la porte qui n’était pas fermée la fit sourire. Blacky s’impatientait. La jeune
femme n’eut qu’un mot à dire pour qu’une boule blanche la bouscule, saute sur
le lit et se mette à la lécher tout en sautant sur elle en jappant de joie.
— Je vois que tu es
réveillée ma chérie, je peux t’apporter ton petit déjeuner.
— Attends maman, je peux
descendre quand même, ne t’embête pas.
— Regarde, j’ai préparé
ton plateau préféré.
Muguette regarda sa maman
et lui tendit les bras. Elle se ressemblait toutes les deux. Brune, avec
quelques fils d’argent pour Pénélope, mais c’était les mêmes. Après s’être serrées
dans les bras affectueusement, Muguette s’adossa contre ses oreillers et
entreprit de commencer son petit déjeuner devant le regard du westie qui
espérait bien un peu de la brioche qui chatouillait son odorat depuis que Pénélope
était entrée.
— Félicie a appelé.
Muguette s’étrangla avec
son café.
— Félicie ?
— Tu devais bien te douter qu’elle savait où tu
allais te cacher.
— Qu’est-ce-que tu lui as dit maman ?
— De rappeler, que tu dormais encore.
Pénélope regarda sa
fille.
— Muguette chérie, tu ne
peux pas te cacher comme ça indéfiniment. Pour ton bébé, il faut…
— Je sais. Je ferais ce
qu’il faut pour lui. Pour l’instant, je veux rester ici. Je n’avais pas de
rendez-vous important et je peux travailler d’ici.
— Je ne m’inquiète pas
pour ça ma chérie. Tu peux rester ici le temps que tu voudras. J’ai des
vacanciers qui viennent mais tu ne seras pas dérangée.
Pénélope tenait une chambre
d’hôtes. Elle avait quatre chambres à disposition des touristes qui passaient
régulièrement. Elle gérait toute seule ce qu’avec son mari, ils avaient monté
ensemble. Mais elle s’en sortait. Forte et courageuse, elle n’avait jamais
baissé les bras et avait élevé toute seule Muguette.
— Si on allait le voir ?
Pénélope savait
parfaitement à quoi elle faisait allusion.
— Je t’attends en bas.
Muguette termina son café
et une brioche à la main, elle sortit du lit au grand désespoir de la chienne
qui dut le quitter aussi. Elle fila sous la douche.
— Elle est là ?
Pénélope regardait le
jeune homme qui lui faisait face. Elle le connaissait bien. C’était Bob, l’inséparable
ami de sa fille. Elle le fit entrer.
— Comment va-t-elle ?
— Tu veux un café ?
— Si vous ne me répondez
pas c’est qu’elle va mal.
Pénélope lui servit une
tasse.
— Tu as fait tout ce
chemin pour la voir ? Tu as roulé de nuit ?
— J’ai rencontré son
mec. Il ne va pas bien du tout.
— Bob ?
Muguette en jeans et sweatshirt
l’interrogeait du regard.
— Qu’est-ce que tu fais
ici ?
— Après ton coup de fil,
je n’ai pas pu m’empêcher de venir te voir. Muguette, il faut que tu reviennes.
Ton mec n’est pas au top. Et je crois qu’il t’aime vraiment.
— Tu connais l’histoire ?
Je ne pense pas qu’après avoir flanqué une gifle à son grand-père, il me pardonne
aussi facilement.
— Tu sais que depuis qu’il
a eu les oreillons, il est stérile ? Il m’a raconté ça devant un café. Une
histoire de fous quand même et en plus c’est amusant parce que moi qui avais
fait le malin quand j’étais venu avec Marlène te raconter que je ne pouvais pas
avoir de gosses. Il y a plus malheureux que moi finalement, jamais je n’aurais dû
rigoler avec ça. Mais je ne voulais pas de gosse avec Marlène, je n’ai trouvé
que cette blaguasse pour qu’elle me foute la paix. D’ailleurs, c’est fini entre
nous, elle m’a saoulé. En plus je n’avais pas réfléchi, que du coup, elle
pouvait tomber enceinte. Mais qu’est-ce-que tu as ? Tu es toute pâle ?
Muguette ouvrit grand les
yeux et posa ses mains sur son ventre.
— Mais ce n’est pas
possible…
— Quoi ? Qu’est-ce
qu’il n’est pas possible ?
— Je suis enceinte.
Ce fut autour de Bob d’ouvrir
des billes grandes comme des soucoupes.
— Ben alors là ma
vieille, qu’est-ce que t’as foutu ?
— Ah non, tu ne vas t’y
mettre toi aussi. Mon gosse n’est pas un bâtard ok ?
Pénélope alertée par le
bruit accourut dans la cuisine.
— Dis-lui maman que mon
bébé ne sera jamais un bâtard.
Muguette s’effondra en pleurant.
— Vous le saviez vous que
Jasmin était stérile ?
Ce fut au tour de
Pénélope de s’interroger. Muguette, en larmes, regarda son ami et murmura :
— C’est toi le père alors !
Bob se laissa tomber sur la
chaise et éclata de rire.
— On ne me l’avait jamais
faite celle-là ! Je le saurais quand même si je t’avais fait un gosse non ?
— Tu te rappelles le soir
où tu as embarqué Anabelle ?
— Oui et alors ?
— On a bu et …
Muguette se tut rouge de
honte. Pénélope se tourna vers Bob et l’apostropha :
— Et ? Tu as fait
quoi à ma fille ?
— Rien.
Muguette s’énerva :
— Rien ? Je me suis
quand même réveillée dans ton lit.
— Oui mais bourré comme j’étais,
je ne risquais pas de te faire un gosse. Et puis Muguette, je n’aurais jamais
couché avec toi, tu es comme ma sœur.
— Tu es certain ?
— Certain.
— Alors mon bébé est de
Jasmin.
— C’est pas gagné pour
lui faire avaler ça dis-moi !
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