Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

vendredi 2 novembre 2018

Les souvenirs de Muguette



C’est l’odeur de pain grillé et de café qui réveilla Muguette. Elle ouvrit les yeux et écouta.
C’était bien lui qui ronflait au loin. Elle l’entendait comme si elle y était. Elle referma les yeux et se souvint.
Elle était toute petite, deux ans à peine, mais le souvenir restait bien présent. Elle essayait de courir dans le sable, et elle riait aux éclats, parce que les vagues venaient lui lécher les chevilles. Il ne faisait pas chaud, et maman répétait qu’elle allait prendre froid et qu’on n’avait pas idée d’emmener une pitchounette comme ça sur une plage en novembre. Mais papa riait. Il disait à maman qu’elle avait ses bottes jaunes à petits pois, qu’elle avait son ciré et sa capuche avec son bonnet dessous, qu’elle ne risquait rien et qu’il fallait bien qu’elle s’habitue à l’océan. Lui, il l’aimait tant…Il le prenait en photo tout le temps. D’ailleurs, c’était son travail à son papa. Qu’est-ce qu’il faisait de jolies photos. Elle se rappelle les jolis sourires qu’il lui demandait de faire devant l’appareil…
Muguette laissa échapper une larme et rageuse l’essuya. Elle gardait toujours les yeux fermés pour essayer de garder l’image de son papa, d’entendre encore et encore son rire, sa voix, et de sentir ses bras autour d’elle. Elle rageait de perdre peu à peu ses sensations. Trente-trois ans qu’elle voulait à tout prix garder en elle son image. Il y avait bien les albums photos, mais c’était avant sa naissance. Dès qu’elle était née, les photos avec ses parents emplissaient les pages. Le bonheur sortait de l’album tellement il y en avait. Et puis… plus rien.
Elle avait deux ans et un peu plus quand il était parti au ciel…
Elle l’avait cherché longtemps dans l’immensité étoilée, mais ne l’avait jamais trouvé. Elle était restée seule avec sa maman, Pénélope.
Elle sourit en pensant qu’elle portait bien ce prénom, sa mamounette. Elle était restée fidèle à … Ulysse. Oui, son papa s’appelait Ulysse. Prénom peu répandu et pourtant il en était fier. Muguette se rappelait qu’elle arrivait à le prononcer et ça faisait rire son père parce que ça ressemblait plus à « Hue Hisse ».
Pénélope et Muguette, Muguette et Pénélope. Inséparables, fusionnelles. Un amour sans limite. Comment se faisait-il que la jeune femme n’en parle jamais ? Qui pouvait deviner qu’elle avait une maman à qui elle téléphonait tous les jours, à qui elle se connectait sur skype chaque soir ? C’était preuve de faiblesse ça, et Muguette était une femme forte. Alors quand le grand-père de Jasmin l’avait traitée comme une moins que rien, son seul refuge ne pouvait être que chez Pénélope.
Elle se tourna dans le lit et ouvrit les yeux. Elle regarda sa chambre. Toujours la même, avec sa pile de livre en équilibre, sur son bureau. Une œuvre d’art comme répétait Pénélope. Une photo encadrée de l’océan prise par Ulysse, un soir d’orage. Une armoire avec des cartes postales épinglées sur la porte. Un peignoir rouge accroché sur la patère. Un bouquet de fleurs séchées.
Un grattement familier à la porte qui n’était pas fermée la fit sourire. Blacky s’impatientait. La jeune femme n’eut qu’un mot à dire pour qu’une boule blanche la bouscule, saute sur le lit et se mette à la lécher tout en sautant sur elle en jappant de joie.
— Je vois que tu es réveillée ma chérie, je peux t’apporter ton petit déjeuner.
— Attends maman, je peux descendre quand même, ne t’embête pas.
— Regarde, j’ai préparé ton plateau préféré.
Muguette regarda sa maman et lui tendit les bras. Elle se ressemblait toutes les deux. Brune, avec quelques fils d’argent pour Pénélope, mais c’était les mêmes. Après s’être serrées dans les bras affectueusement, Muguette s’adossa contre ses oreillers et entreprit de commencer son petit déjeuner devant le regard du westie qui espérait bien un peu de la brioche qui chatouillait son odorat depuis que Pénélope était entrée.
 Félicie a appelé.
Muguette s’étrangla avec son café.
 Félicie ?
 Tu devais bien te douter qu’elle savait où tu allais te cacher.
 Qu’est-ce-que tu lui as dit maman ?
 De rappeler, que tu dormais encore.
Pénélope regarda sa fille.
— Muguette chérie, tu ne peux pas te cacher comme ça indéfiniment. Pour ton bébé, il faut…
— Je sais. Je ferais ce qu’il faut pour lui. Pour l’instant, je veux rester ici. Je n’avais pas de rendez-vous important et je peux travailler d’ici.
— Je ne m’inquiète pas pour ça ma chérie. Tu peux rester ici le temps que tu voudras. J’ai des vacanciers qui viennent mais tu ne seras pas dérangée.
Pénélope tenait une chambre d’hôtes. Elle avait quatre chambres à disposition des touristes qui passaient régulièrement. Elle gérait toute seule ce qu’avec son mari, ils avaient monté ensemble. Mais elle s’en sortait. Forte et courageuse, elle n’avait jamais baissé les bras et avait élevé toute seule Muguette.
— Si on allait le voir ?
Pénélope savait parfaitement à quoi elle faisait allusion.
— Je t’attends en bas.
Muguette termina son café et une brioche à la main, elle sortit du lit au grand désespoir de la chienne qui dut le quitter aussi. Elle fila sous la douche.

— Elle est là ?
Pénélope regardait le jeune homme qui lui faisait face. Elle le connaissait bien. C’était Bob, l’inséparable ami de sa fille. Elle le fit entrer.
— Comment va-t-elle ?
— Tu veux un café ?
— Si vous ne me répondez pas c’est qu’elle va mal.
Pénélope lui servit une tasse.
— Tu as fait tout ce chemin pour la voir ? Tu as roulé de nuit ?
— J’ai rencontré son mec.  Il ne va pas bien du tout.
— Bob ?
Muguette en jeans et sweatshirt l’interrogeait du regard.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Après ton coup de fil, je n’ai pas pu m’empêcher de venir te voir. Muguette, il faut que tu reviennes. Ton mec n’est pas au top. Et je crois qu’il t’aime vraiment.
— Tu connais l’histoire ? Je ne pense pas qu’après avoir flanqué une gifle à son grand-père, il me pardonne aussi facilement.
— Tu sais que depuis qu’il a eu les oreillons, il est stérile ? Il m’a raconté ça devant un café. Une histoire de fous quand même et en plus c’est amusant parce que moi qui avais fait le malin quand j’étais venu avec Marlène te raconter que je ne pouvais pas avoir de gosses. Il y a plus malheureux que moi finalement, jamais je n’aurais dû rigoler avec ça. Mais je ne voulais pas de gosse avec Marlène, je n’ai trouvé que cette blaguasse pour qu’elle me foute la paix. D’ailleurs, c’est fini entre nous, elle m’a saoulé. En plus je n’avais pas réfléchi, que du coup, elle pouvait tomber enceinte. Mais qu’est-ce-que tu as ? Tu es toute pâle ?
Muguette ouvrit grand les yeux et posa ses mains sur son ventre.
— Mais ce n’est pas possible…
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il n’est pas possible ?
— Je suis enceinte.
Ce fut autour de Bob d’ouvrir des billes grandes comme des soucoupes.
— Ben alors là ma vieille, qu’est-ce que t’as foutu ?
— Ah non, tu ne vas t’y mettre toi aussi. Mon gosse n’est pas un bâtard ok ?
Pénélope alertée par le bruit accourut dans la cuisine.
— Dis-lui maman que mon bébé ne sera jamais un bâtard.
Muguette s’effondra en pleurant.
— Vous le saviez vous que Jasmin était stérile ?
Ce fut au tour de Pénélope de s’interroger. Muguette, en larmes, regarda son ami et murmura :
— C’est toi le père alors !
Bob se laissa tomber sur la chaise et éclata de rire.
— On ne me l’avait jamais faite celle-là ! Je le saurais quand même si je t’avais fait un gosse non ?
— Tu te rappelles le soir où tu as embarqué Anabelle ?
— Oui et alors ?
— On a bu et …
Muguette se tut rouge de honte. Pénélope se tourna vers Bob et l’apostropha :
— Et ? Tu as fait quoi à ma fille ?
— Rien.
Muguette s’énerva :
— Rien ? Je me suis quand même réveillée dans ton lit.
— Oui mais bourré comme j’étais, je ne risquais pas de te faire un gosse. Et puis Muguette, je n’aurais jamais couché avec toi, tu es comme ma sœur.
— Tu es certain ?
— Certain.
— Alors mon bébé est de Jasmin.
— C’est pas gagné pour lui faire avaler ça dis-moi !

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