Texte écrit avec des mots proposés dans l'ordre.
Victorien
prit son inspiration. Il allait bientôt les retrouver et ce
serait enfin la liberté. Il en rêvait depuis si longtemps. Il souffla
pour relâcher la tension qui lui serrait les tempes. Derrière ses barreaux, il
tournait comme un lion en cage. Il était innocent et aujourd’hui la preuve en
avait été donnée et le tribunal avait tranché. Dans quelques heures, la porte
s’ouvrirait. C’était le bon jour, il allait prendre l’autre couloir, celui qui
mène au-dehors. Combien de fois en avait-il eu envie de l’emprunter ce chemin.
Non, il n’avait pas tué sa femme. Il n’était pas un meurtrier. Elle s’était
suicidée et il ne savait toujours pas pourquoi. Il croyait qu’elle l’aimait.
Comment avait-elle pu abandonner ses enfants ? Lui, passe encore, mais eux ?
En
attendant que le gardien vienne le chercher, il pensait à ce qu’il allait leur
dire à ses filles. Elles devaient l’avoir oublié depuis le temps. Rose avait 4 ans
et Luce 2 quand ils l’avaient emmené, menottes au poignet. Trois ans qu’il
ne les avait pas vues. L’aînée devait être à l’école élémentaire maintenant, et
Luce peut-être à la maternelle. Il ne savait rien d’elles. Enfin, si peu…
Jeanne
sa mère était venue toutes les semaines depuis son incarcération. C’était elle
qui avait eu la garde des gamines. Elle vivait à la campagne et les petites
avaient pu profiter des paysages bucoliques. Lui, enfant, il s’en été
gavé de ses champs à perte de vue, et il imagine bien l’énergie débordante
de ses petites filles devant l’immensité verte.
Victor,
son père, très occupé par les travaux à la ferme n’avait jamais pris le
temps de se déplacer pour venir voir son fils au parloir. Il disait qu’il ne
pouvait pas respirer dans cet établissement et qu’il admirait son rejeton de
pouvoir y rester enfermé. « Admirait » ? Il s’en serait bien passé Victorien
d’être derrière les barreaux. Il avait de ces manières son paternel pour évoquer
l’incarcération, comme si c’était un choix. Il aurait presque dit en souriant « Mon
fils avait besoin de dépaysement, il est parti en prison ». Ce n’est pas
lui qui avait souffert de la canicule. Il ne pouvait pas sortir, c’était
interdit, l’extérieur était une fournaise. Alors, les gardiens leur
distribuaient de l’eau à qui mieux mieux, mais question détente, tout
était à faire. Sans parler des nuits d’insomnie à se tourner et retourner sur
le matelas.
Mais
aujourd’hui tout ça, c’est fini. Il allait retrouver sa vie d’avant avec ses
filles. Il espérait que sa mère leur avait parlé de leur père et qu’elle leur
avait montré des photos comme il lui avait demandé. Installé sur son lit, ses
affaires prêtes près de lui, il sentait comme un ralentissement dans son
corps. Son cœur battait plus doucement, il respirait de mieux en mieux. Il
pensait que la maison proche de la mer, prêtée par Jacques, son fidèle ami qui
avait toujours cru en son innocence, serait la villégiature parfaite
pour retrouver ses gamines et refaire connaissance avec elles.
« Il
faudra être cool avec elles Victorien » lui répétait sans cesse Jeanne.
Un sacré boulot l’attendait alors. Ce n’était pas dans son caractère d’être « cool ».
Dans son travail, aucune place pour le farniente. Il fallait qu’il
bouge. D’autant plus qu’enfermé, il avait assez été à ne rien faire de ses dix
doigts. Alors il espérait qu’elles seraient fatigantes, ces semaines
avec elles qui l’attendaient. Il entendait déjà les éclats de rire de Rose et
Luce. Le matin, il se réveillerait le premier, préparerait le petit déjeuner
sur la terrasse. Les journées seraient toujours ensoleillées, la pluie
n’avait rien à faire dans son nouveau bonheur. Il voulait que tout soit
parfait.
Bon,
il arrivait ce gardien pour le chercher ? Glander ce n’était pas son
truc. Que faire pour occuper le temps ?
Victorien
s’allongea sur son matelas et ferma les yeux. Il les voyait ses gamines, la
brune et la blonde. Elles, elles devaient apprécier la glandouille. A 7 ans,
peut-être pas, ça devait courir partout et rêver d’évasions. Il essaya
de se rappeler à quoi il pensait quand il avait leur âge. Son esprit
s’embrumait un peu, c’est fou ce qu’il se sentait léger tout à coup. Soudain,
il entendit la porte s’ouvrir, ça devait être le gardien qui venait le
chercher. Des sensations intenses lui firent tourner la tête. Il voulut
se lever et empoigner sa valise, mais déséquilibrée la coquine par le
mouvement qu’il fit, elle dégringola et il n’eut pas le courage de la
rattraper. Une étrange sérénité s’empara alors de lui. Il revoyait sa
femme, ses filles, sa joie à l’annonce qu’il allait être père. À la lecture
du test de grossesse, il la fit tournoyer dans les airs, sa chérie.
Un
bruit reconnaissable le sortit de sa torpeur. Un moustique ! Il avait
horreur de ces bestioles, il y était même allergique. Pourvu qu’il ne le pique
pas. S’il se mettait à gonfler, ses filles auraient peur de lui. Il fallait à
tout prix qu’il se lève et qu’il arrive ce gardien. Ce n’était pas normal. On
lui avait dit que sa sortie était imminente, et il attendait depuis des
heures.
— Ohé
l’ami, tu dors ?
Le
gardien inquiet s’approcha du lit.
— Victorien, ne fais pas l’andouille, tu pars,
ça y est !
Pas
de réponse.
Cette
fois le gardien le secoua sans ménagement.
— Putain !
Au secours, à l’aide, il nous a fait un malaise. Le jour de sa sortie, ce n’est
vraiment pas de chance.
Pendant
que ses collègues arrivaient au pas de course, appelaient le SAMU, les
pompiers, les médecins et tout ce qu’il faut pour sauver un homme, Victorien se
demandait pour quoi il y avait tant de bruit autour de lui.
Tiens,
c’était comme ses dernières vacances entre amis, ça faisait longtemps
maintenant, mais ça faisait le même bazar. Ils allaient prendre l’apéro
et tout à coup, les sirènes, les hommes en blanc étaient apparus comme
aujourd’hui.
— Je
ne comprends pas, il allait bien ce matin.
— Regardez,
il a dû se faire piquer !
Le
SAMU lui mettait le masque sur le nez. Pour le coup, tout était de plus en plus
paisible autour de lui.
— Restez
avec nous Monsieur ! Tout va bien se passer. Serrez-moi la main !
Quelle
question inattendue ! Victorien se demandait bien pourquoi, il devait
serrer la main à un parfait inconnu. En plus, elle était chaude sa
paluche, toute moite. Quelle sensation désagréable.
— Monsieur,
restez avec nous. C’est juste une piqûre de moustique. Je vous injecte le bon
produit et tout sera fini d’ici quelques minutes.
— J’irais
bien faire un tour du côté des chantiers de l’Atlantique moi !
— Il
délire, nous le perdons.
— Mais
on ne peut pas mourir d’une piqûre de moustique quand même ! répétait Jules.
C’est quelqu’un de bien cet homme. Il sort aujourd’hui et…
Et
comme par enchantement, Victorien ouvrit les yeux et répondit :
— Je
le sais que je suis quelqu’un de bien et que je vais retrouver mes filles
— Vous
allez mieux, monsieur ?
— Vous
m’avez fait fichu une de ces trouilles Victorien. Je venais vous chercher et
vous étiez carrément dans le cirage.
— Je
vais faire de la confiture avec mes filles.
Jules
interrogea du regard les urgentistes :
— Pas
de souci, un peu de farniente, et tout ira bien. Il a besoin de repos,
mais demain il n’y paraîtra plus. Laissez-le dormir encore une nuit ici et…
— Je
vous signale quand même que ce n’est pas un hôtel ici.
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