Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

jeudi 12 septembre 2019

La liberté de Victorien

Texte écrit avec des mots proposés dans l'ordre. 


Victorien prit son inspiration. Il allait bientôt les retrouver et ce serait enfin la liberté. Il en rêvait depuis si longtemps. Il souffla pour relâcher la tension qui lui serrait les tempes. Derrière ses barreaux, il tournait comme un lion en cage. Il était innocent et aujourd’hui la preuve en avait été donnée et le tribunal avait tranché. Dans quelques heures, la porte s’ouvrirait. C’était le bon jour, il allait prendre l’autre couloir, celui qui mène au-dehors. Combien de fois en avait-il eu envie de l’emprunter ce chemin. Non, il n’avait pas tué sa femme. Il n’était pas un meurtrier. Elle s’était suicidée et il ne savait toujours pas pourquoi. Il croyait qu’elle l’aimait. Comment avait-elle pu abandonner ses enfants ? Lui, passe encore, mais eux ?
En attendant que le gardien vienne le chercher, il pensait à ce qu’il allait leur dire à ses filles. Elles devaient l’avoir oublié depuis le temps. Rose avait 4 ans et Luce 2 quand ils l’avaient emmené, menottes au poignet. Trois ans qu’il ne les avait pas vues. L’aînée devait être à l’école élémentaire maintenant, et Luce peut-être à la maternelle. Il ne savait rien d’elles. Enfin, si peu…
Jeanne sa mère était venue toutes les semaines depuis son incarcération. C’était elle qui avait eu la garde des gamines. Elle vivait à la campagne et les petites avaient pu profiter des paysages bucoliques. Lui, enfant, il s’en été gavé de ses champs à perte de vue, et il imagine bien l’énergie débordante de ses petites filles devant l’immensité verte.
Victor, son père, très occupé par les travaux à la ferme n’avait jamais pris le temps de se déplacer pour venir voir son fils au parloir. Il disait qu’il ne pouvait pas respirer dans cet établissement et qu’il admirait son rejeton de pouvoir y rester enfermé. « Admirait » ? Il s’en serait bien passé Victorien d’être derrière les barreaux. Il avait de ces manières son paternel pour évoquer l’incarcération, comme si c’était un choix. Il aurait presque dit en souriant « Mon fils avait besoin de dépaysement, il est parti en prison ». Ce n’est pas lui qui avait souffert de la canicule. Il ne pouvait pas sortir, c’était interdit, l’extérieur était une fournaise. Alors, les gardiens leur distribuaient de l’eau à qui mieux mieux, mais question détente, tout était à faire. Sans parler des nuits d’insomnie à se tourner et retourner sur le matelas.
Mais aujourd’hui tout ça, c’est fini. Il allait retrouver sa vie d’avant avec ses filles. Il espérait que sa mère leur avait parlé de leur père et qu’elle leur avait montré des photos comme il lui avait demandé. Installé sur son lit, ses affaires prêtes près de lui, il sentait comme un ralentissement dans son corps. Son cœur battait plus doucement, il respirait de mieux en mieux. Il pensait que la maison proche de la mer, prêtée par Jacques, son fidèle ami qui avait toujours cru en son innocence, serait la villégiature parfaite pour retrouver ses gamines et refaire connaissance avec elles.
« Il faudra être cool avec elles Victorien » lui répétait sans cesse Jeanne. Un sacré boulot l’attendait alors. Ce n’était pas dans son caractère d’être « cool ». Dans son travail, aucune place pour le farniente. Il fallait qu’il bouge. D’autant plus qu’enfermé, il avait assez été à ne rien faire de ses dix doigts. Alors il espérait qu’elles seraient fatigantes, ces semaines avec elles qui l’attendaient. Il entendait déjà les éclats de rire de Rose et Luce. Le matin, il se réveillerait le premier, préparerait le petit déjeuner sur la terrasse. Les journées seraient toujours ensoleillées, la pluie n’avait rien à faire dans son nouveau bonheur. Il voulait que tout soit parfait.
Bon, il arrivait ce gardien pour le chercher ? Glander ce n’était pas son truc. Que faire pour occuper le temps ? 
Victorien s’allongea sur son matelas et ferma les yeux. Il les voyait ses gamines, la brune et la blonde. Elles, elles devaient apprécier la glandouille. A 7 ans, peut-être pas, ça devait courir partout et rêver d’évasions. Il essaya de se rappeler à quoi il pensait quand il avait leur âge. Son esprit s’embrumait un peu, c’est fou ce qu’il se sentait léger tout à coup. Soudain, il entendit la porte s’ouvrir, ça devait être le gardien qui venait le chercher. Des sensations intenses lui firent tourner la tête. Il voulut se lever et empoigner sa valise, mais déséquilibrée la coquine par le mouvement qu’il fit, elle dégringola et il n’eut pas le courage de la rattraper. Une étrange sérénité s’empara alors de lui. Il revoyait sa femme, ses filles, sa joie à l’annonce qu’il allait être père. À la lecture du test de grossesse, il la fit tournoyer dans les airs, sa chérie.
Un bruit reconnaissable le sortit de sa torpeur. Un moustique ! Il avait horreur de ces bestioles, il y était même allergique. Pourvu qu’il ne le pique pas. S’il se mettait à gonfler, ses filles auraient peur de lui. Il fallait à tout prix qu’il se lève et qu’il arrive ce gardien. Ce n’était pas normal. On lui avait dit que sa sortie était imminente, et il attendait depuis des heures.
— Ohé l’ami, tu dors ?
Le gardien inquiet s’approcha du lit.
 — Victorien, ne fais pas l’andouille, tu pars, ça y est !
Pas de réponse.
Cette fois le gardien le secoua sans ménagement.
— Putain ! Au secours, à l’aide, il nous a fait un malaise. Le jour de sa sortie, ce n’est vraiment pas de chance.
Pendant que ses collègues arrivaient au pas de course, appelaient le SAMU, les pompiers, les médecins et tout ce qu’il faut pour sauver un homme, Victorien se demandait pour quoi il y avait tant de bruit autour de lui.
Tiens, c’était comme ses dernières vacances entre amis, ça faisait longtemps maintenant, mais ça faisait le même bazar. Ils allaient prendre l’apéro et tout à coup, les sirènes, les hommes en blanc étaient apparus comme aujourd’hui. 
— Je ne comprends pas, il allait bien ce matin.
— Regardez, il a dû se faire piquer !
Le SAMU lui mettait le masque sur le nez. Pour le coup, tout était de plus en plus paisible autour de lui.
— Restez avec nous Monsieur ! Tout va bien se passer. Serrez-moi la main !
Quelle question inattendue ! Victorien se demandait bien pourquoi, il devait serrer la main à un parfait inconnu. En plus, elle était chaude sa paluche, toute moite. Quelle sensation désagréable.
— Monsieur, restez avec nous. C’est juste une piqûre de moustique. Je vous injecte le bon produit et tout sera fini d’ici quelques minutes.
— J’irais bien faire un tour du côté des chantiers de l’Atlantique moi !
— Il délire, nous le perdons.
— Mais on ne peut pas mourir d’une piqûre de moustique quand même ! répétait Jules. C’est quelqu’un de bien cet homme. Il sort aujourd’hui et…
Et comme par enchantement, Victorien ouvrit les yeux et répondit :
— Je le sais que je suis quelqu’un de bien et que je vais retrouver mes filles
— Vous allez mieux, monsieur ?
— Vous m’avez fait fichu une de ces trouilles Victorien. Je venais vous chercher et vous étiez carrément dans le cirage.
— Je vais faire de la confiture avec mes filles.
Jules interrogea du regard les urgentistes :
— Pas de souci, un peu de farniente, et tout ira bien. Il a besoin de repos, mais demain il n’y paraîtra plus. Laissez-le dormir encore une nuit ici et…
— Je vous signale quand même que ce n’est pas un hôtel ici.

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