Le lundi matin quand Félicie arriva à son travail,
intuitive et sensible aux atmosphères, elle sentit immédiatement que l’ambiance
n’était pas la même que les autres jours. Tout d’abord, quand elle entra dans
son bureau, son binôme lui fit un clin d’œil en souriant. Pour une fille dont
le surnom était « sœur sourire » car il se faisait plutôt rare,
c’était plus qu’étonnant. Puis c’est à
la machine à café qu’elle ne comprit pas pourquoi les conversations cessèrent à
son arrivée. Comme elle n’avait pas l’habitude de se taire, elle interrogea à
la ronde :
̶ Je vous dérange ?
Au silence qui suivit sa question, elle éclata de
rire :
̶ Vous avez perdu votre langue pendant le
week-end ?
̶ En tout cas toi, tu n’as pas perdu ton
temps ! répondit sèchement un de ses collègues.
̶ Pardon ? demanda surprise Félicie en
touillant son café, tu veux me dire quelque chose ?
̶ Le patron débarque ici et tu sors avec lui,
bravo !
Félicie s’étrangla avec son café et faillit le
renverser sur elle. C’est à ce moment que choisit Jasmin de la Rochefleurie
pour venir prendre un café. Il les salua froidement. Dans un silence pesant, il se servit
tranquillement et sans un regard pour ses collègues, il les somma de le
retrouver dans la salle de réunion. Qu’ils fassent passer le message.
Aucun ne pipa mot et quittèrent la pièce en silence.
Muguette était en retard et en plus sa voiture ne
voulait pas démarrer. Elle allait devoir se résoudre à enfourcher son vélo pour
partir au métro. Rien qu’à l’idée de le laisser même avec un anti-vol, elle était
stressée. Elle savait qu’elle avait peu de chance de le retrouver le soir. Elle
appela Prune.
̶ Désolée de te déranger, mais j’ai la voiture en
panne.
̶ Tu veux que je t’emmène au métro ?
̶ Ce serait chouette si ça ne te dérange pas.
̶ J’arrive !
Son téléphone sonna au
même moment. Un coup d’œil sur l’écran, elle décrocha aussitôt :
̶ Jasmin ? J’ai essayé de vous appeler toute
la journée hier…
̶ Tu me laisses parler, tu veux bien ?
̶ On se tutoie ?
̶ J’ai peu de temps Muguette. J’ai une réunion
dans dix minutes. Je…
̶ Je suis désolée pour le rendez-vous, mon
téléphone était déchargé et mon chargeur…
̶ Tu veux bien que l’on se retrouve au même
endroit ce soir vers 18 heures ?
̶ Mais …
̶ Tu veux ? ou pas ?
̶ Oui, d’accord !
̶ Je sais Muguette pourquoi tu as réagi comme ça,
je ne peux pas t’en vouloir.
̶ C’est vrai tu ne m’en veux pas ?
̶ Je n’ai pas le temps de t’en dire plus, je
raccroche, à ce soir !
Prune sonnait à la porte, Muguette enfila son manteau
et après l’avoir embrassée, la suivit à sa voiture.
̶ Veuillez m’excuser de vous voir tous réunis ce
matin, chose inhabituelle de de ma part, sans vous avoir au préalable prévenu
par courriel, mais il circule depuis samedi une vidéo sur moi-même et sur une
de vos collègues et je voulais mettre les choses au clair. C’est un gamin qui a
filmé une discussion sur le parking de la piscine et il n’aurait pas dû le
faire. La vidéo est supprimée et je compte sur vous pour ne pas raconter
n’importe quoi sur mon compte et sur votre collègue. Nous sommes tous des
adultes, nous sommes fonctionnaires, nous avons du travail et pas le temps de
nous distraire avec des bêtises. N’est-ce pas Mme Deporte ? Il se tourna
vers son adjointe qui rougit. Je compte aussi sur vous pour faire cesser les
commérages, je sais que vous n’aimez pas cela, c’est ce que vous me disiez
samedi, quand vous m’avez « convoqué » un peu cavalièrement dans un
bar. Je comprends tout à fait que vous ayez été surprise de voir divulguée ma
vie privée sur les réseaux sociaux et je comprendrais aussi que vous me
présentiez votre démission ou que vous désiriez postuler ailleurs. L’incident est clos. Vous pouvez retourner à
vos tâches habituelles.
̶ Mon plan a échoué murmura Cunégonde Deporte à
une collègue qui la suivait de près.
̶ Je t’avais prévenue. On ne devient pas directeur
comme ça ! C’est qu’il en a dans la tête le chef ! Et toi, tu vas
devoir donner ta démission.
Elle posa la main sur
son épaule puis rentra dans son bureau. Cunégonde resta seule.
̶ C’est vrai que tu sors avec le directeur ?
̶ Mais tu n’as rien compris ma parole !
̶ Il n’a pas dit que tu n’étais pas sa petite
amie, il a juste dit que la vidéo parlait de lui et une de ses collègues
c’est-à-dire toi, et qu’il ne fallait pas raconter n’importe quoi, c’est
tout !
̶ Mais je ne suis pas sa copine !
̶ Tu peux bien me le dire à moi.
̶ Pourquoi ? on ne se parlait pas jusqu’à
aujourd’hui, sauf pour dire « merci de m’avoir passé le dossier » et
il faudrait que je te raconte ma vie ?
̶ Allez, dis-moi, s’il est bien au…
̶ Stop ! Tu sais que tout le monde t’appelle
« Sœur Sourire » parce que tu ne rigoles jamais et que tu portes un
masque triste à longueur de journée ? Non ? Maintenant tu le sais.
Fiche -moi, la paix, tout ça ne te regarde pas. On va pouvoir rajouter à ton
curriculum « curieuse comme un pot
de chambre ».
̶ Donc tu es bien sa petite amie ?
Excédée, Félicie répondit sans réfléchir :
̶ Non, je n’aime pas les hommes de toute
façon !
La journée parut longue à Muguette. Elle avait
raconté à Prune dans la voiture qu’elle avait rendez-vous le soir même avec
Jasmin. Celle-ci espérait que tout se passerait bien cette fois et que son amie
serait heureuse.
Quand elle arriva au bar après une journée à regarder
l’heure toutes les cinq minutes, il l’attendait déjà. Il se leva pour
l’accueillir.
̶ Vous désirez boire quelque chose ?
̶ Ah, on se vouvoie ?
̶ Si nous recommencions tout depuis le
début ?
̶ Je m’appelle Muguette.
̶ Jasmin De la Rochefleurie.
Ils éclatèrent de rire.
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