Les
cloches carillonnaient et je savais déjà que j’allais voir Charles mon voisin,
mon pépé comme j’aimais l’appeler, sur son 31.
Je
suis née sur le tard. Mes parents avaient dû perdre la notice pour faire un
bébé. Quand je leur en fais la remarque en blaguant, ça ne fait pas rire du
tout papa. Maman lui file un coup de coude et lui dit que ce n’est pas grave,
mais lui, il n’apprécie pas du tout la plaisanterie. Du coup je n’ai pas eu la
chance d’avoir de grands-parents. Ils étaient tous déjà partis. Pas de veine
pour eux ni pour moi.
Charles
est alors mon pépé d’adoption. Il a l’air d’accord, enfin je le crois. Il ne
m’a jamais dit le contraire. Il vit dans un bric-à-brac, je ne vous raconte
même pas. Solitaire et toujours vêtu avec un vieux jeans, une chemise à
carreaux et un pull par-dessus, il passe son temps à bricoler, jardiner et
s’occuper de ses animaux. Ah, ça, il en a des bestioles. Un chien, un chat, et un
cheval dans son pré, qui cohabite avec des poules. Pas de coq, il réveillerait
tout le quartier, et il y a de nombreux grincheux qui iraient se plaindre au
maire.
Je
vous racontais donc que c’est dimanche, et Pépé a revêtu son costume et sa
chemise blanche. J’ai cru au début qu’il allait à la messe. J’étais étonnée,
parce qu’il jurait comme un beau diable, mais bon, ce n’est pas parce qu’on
jure qu’on n’est pas chrétien, il paraît. D’ailleurs, le curé que j’aime bien,
il manie les gros mots comme dit maman à tour de bras.
— Bonjour
pépé, tu pars à la messe ? Tu feras une prière pour moi ?
— Tu
veux que je t’avoue quelque chose MarieSophe ?
J’adorais
quand il m’affublait de ce surnom. Il était synonyme de tendresse, de « Je vais
te dire un secret, mais tu ne le racontes à personne », de complicité et d’entente
entre nous. Je levais la main :
— Promis,
juré, craché !
— Je
ne vais pas à la messe. D’ailleurs, si tu faisais attention, tu saurais que les
cloches ont sonné la fin de l’office.
— Ah
bon ? Elles carillonnent différemment ?
— Peu
importe, je te dis qu’elle va sortir, et qu’elle va aller chercher sa pâtisserie
préférée chez Angèle.
— Mais
qui ?
— Célestine,
voyons ! De qui veux-tu que je te parle. Viens avec moi, et fais-toi discrète,
sinon, je vais être en retard. Je te raconte en route.
Je
lui emboitais donc le pas. Il avançait vite le bougre pour son âge. Il tourna
la tête vers moi et sourit :
— Si
tu marchais davantage au lieu d’enfourcher ton scooter pour un oui ou pour un
non, tu arriverais à maintenir ma cadence.
— C’est
que je travaille moi, je ne suis pas toujours dehors à crapahuter.
Il
se mit à rire et ralentit le pas. J’ai tout d’abord cru que ce n’était pour
moi. Mais pas du tout. Il s’épongea discrètement le front et les mains avec son
beau mouchoir à carreaux qui fleurait bon son eau de toilette Moustache de
Rochas (je le sais, papa a le même, et c’est moi qui lui en rachète pour sa
fête des Pères) et reprit son souffle. Une fois sa respiration redevenue
normale, il redressa la tête et s’avança vers la place. Les fidèles sortaient
de l’église et se congratulaient à qui mieux mieux :
— Comment
vas-tu depuis la dernière fois ?
— Ah
votre jambe vous fait encore souffrir ?
— Il
y avait la queue hier chez le médecin.
— Le
pauvre, il a passé l’arme à gauche, bientôt, il ne restera plus personne…
Comment
voulez-vous qu’on la remplisse cette église, tout le monde se plaint, ignore
parfois son voisin ou en dit du mal alors que quelques minutes avant, ils se
serraient la main pour le signe de paix.
Je
souris bien malgré moi, en regardant tout de même pépé qui mine de rien, se
rapproche de la pâtisserie. Il fait celui qui ne s’intéresse à rien quand soudain,
je la vois, son amoureuse.
Célestine
Castille ! Quelle charmante vieille dame. Je souhaiterais bien avancer dans l’âge
comme elle.
— Elle
a de la classe hein !
Ce
n’est même pas une question, mais bien une affirmation que me chuchote pépé que
je n’ai pas attendu approcher. J’acquiesce de la tête sans mot dire. Je suis
subjuguée par cette mamie, toute de rose poudrée vêtue, jusqu’aux escarpins
assortis. En passant devant moi, je respire le parfum Calèche d’Hermès.
Pépé
se remet en route en sens inverse.
— Quoi ?
C’est tout ? Tu ne lui parles pas ? Tu t’es habillé tout beau pour rien ?
— Tu
ne crois tout de même pas qu’une femme de cette classe va me regarder !
J’ouvris
grand les yeux, essayant d’avertir pépé quand Célestine Castille lui tapa sur l’épaule :
— Accepteriez-vous
de partager mes éclairs au chocolat ? Vers 16 heures, l’heure du goûter ?
Vous connaissez mon adresse, je serais heureuse de vous accueillir.
Sans
attendre une réponse qui de toute façon ne viendrait pas, pépé étant statufié,
elle fit demi-tour et droite comme un I repartit chez elle.
J’embrassais
pépé et le prenais par le bras pour le ramener chez lui.
— Ohé,
tu redescends sur terre. Allez retourne chez toi manger un morceau et ne te
goinfre pas trop. Tu as un éclair au chocolat en dessert avec ta belle.
Il
se laissa emmener sans mot dire, très digne, comme si d’un coup, l’invitation
avait fait de lui un autre homme. Arrivé devant chez lui, il murmura :
— Ah
ben ça alors ! Tu as compris quelque chose toi ?
— Oui,
elle t’avait remarqué tout simplement. Allez, je file tu me raconteras.
Je
l’abandonnais devant sa porte et traversais la rue pour rentrer chez moi. Le
poulet rôti fleurait bon ainsi que les cèpes qui les accompagnaient. J’en avais
déjà l’eau à la bouche. Qu’est-ce qu’on est bien avec les parents. Il faudrait
quand même que je pense à…
— C’est
gentil d’emmener votre voisin à l’église.
Stoppée
dans mon élan, je n’osais me retourner. Deux miracles dans la même matinée,
impossible, je vais me réveiller. Il n’allait quand même pas me proposer aussi
un éclair, Florent, le beau gosse d’en face !
— Vous
aimez le chocolat ?
©
Minibulle 25/10/2019
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