Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

jeudi 20 juin 2019

Histoire improbable d'une chapelière, d'un huissier et d'une sirène


La chapelière regardait avec circonspection le courrier qu’elle venait de recevoir. Sa boutique était ouverte au 2e étage de la mairie et beaucoup de fonctionnaires à l’heure méridienne, ne résistaient pas à la tentation d’admirer sa nouvelle collection.
Mon Dieu qu’elle n’aimait pas cette expression « heure méridienne ». Pour elle, la « méridienne » correspondait à son joli canapé installé face au grand miroir. Tout moelleux et recouvert de coussins multicolores, il accueillait avec bonheur, les gentes dames qui désiraient faire des essayages.
Mais l’heure n’était pas à la rêverie, elle devait comprendre, ce que voulait dire ce courrier qui émanait de… elle retourna l’enveloppe pour lire l’adresse et épela tout haut « Office des huissiers de justice de la Côte en vers ».
Pour le coup, elle se laissa tomber dans sa « méridienne » qui s’affaissa gracieusement.
— Je ne pige rien.
Un bruit d’essoufflement, d’eau qui dégoulinait, la fit se relever en vitesse. Sa cliente préférée et amie entrait dans sa boutique.
— Je suis désolée, je vais encore te tremper ton parquet, mais comment faire autrement ?
— Tu ne pourrais pas de temps en temps te transformer en femme ?
— Je ne peux pas. J’ai fait le vœu de récupérer des jambes que lorsque je serai sélectionnée pour participer à un grand match de football. Comme pour tenir 90 minutes, je dois conserver mes jambes, je ne veux pas utiliser ce précieux temps pour grimper en haut de tes 2 étages. Avec ma queue, j’arrive assez facilement à me mouvoir. Le seul problème c’est que je mets de l’eau partout et que les fonctionnaires grincheux du premier me regardent d’un drôle d’air. Les agents de service se précipitent avec leur balai et leur éponge pour essuyer les traces derrière moi. C’est d’un gênant. Je n’aime pas que des inconnus touchent mes écailles. Elles sont fragiles.
La chapelière éclata de rire, imaginant la scène. La sirène reprit :
— Tu en fais une drôle de tête ? Un problème ?
— Regarde ce courrier.
Elle parcourut la missive et la rendit à son amie.
— Si c’est l’huissier à qui je pense, tu n’es pas sortie de l’auberge, ma pauvre !
— Mais pourquoi vient-il ici ? Je paie toutes mes cotisations et mon loyer. Tu crois que je pourrais lui offrir un chapeau pour l’amadouer ?
— Ça m’étonnerait avec la chevelure qu’il a… Un vrai crâne d’œuf !
La porte s’ouvrit alors sur un nain connu, non plutôt un inconnu.
La chapelière s’avança avec son plus beau sourire, tandis que la sirène se laissait tomber élégamment dans les coussins.
— Elle ne risque pas d’abimer votre matériel, la femme qui ressemble à Ariel ?
Surprise, elle regarda son amie qui ne semblait pas avoir entendu.
— Bonjour monsieur. Désirez-vous un conseil pour faire un cadeau ?
— Croyez-vous vraiment que les chapeaux sont des cadeaux ? Ils ne sont que de vulgaires oripeaux, vous voyez le tableau ? Madame, je viens assez tôt pour décider avec vous de la nature de vos travaux.
Les deux femmes n’osaient pas rire. Il était plutôt bel homme. Aussi, fut-elle surprise quand elle l’entendit se présenter.
— Maître Arnaud Bobo, huissier de justice, j’arrive bien à propos, et ne jouez pas avec moi à l’actrice.
— Parlez-vous toujours comme ça ?
— En vers, je suppose ? Est-ce que cela vous indispose ?
 — Aimez-vous le football ?
Interloqué, il se tourna vers la sirène qui venait de l’interroger.
— En voilà une question à laquelle je répondrais non.
La chapelière l’invita alors à s’asseoir pour discuter.
— Vous parliez de travaux ? Je peux savoir pourquoi. Il y a un problème ?
— Trouvez-vous normal de vendre des chapeaux dans une collectivité territoriale ?
— Je ne me suis jamais interrogée à ce sujet.
— Et que je découvre une sirène dans votre canapé ? Comment a-t-elle fait pour jusqu’à vous grimper ?
— Oh ! ne vous tracassez pas pour moi, j’ai l’habitude, je suis très musclée. Regardez ma queue comme elle navigue bien, je me débrouille formidablement pour monter ces 2 étages.
— Là n’est pas le hic. Il faut un ascenseur pour tout accueil public.
— Un ascenseur ? Je ne pourrais jamais le prendre, j’ai le vertige. De plus, je risque de produire un court circuit avec ma queue mouillée. Je doute que d’autres usagers apprécient de l'emprunter.
— Tu parles en vers aussi ? C’est contagieux, est-ce une maladie ? Mon Dieu moi aussi !
— Mat an traou ? Petra’ po…
— Je vous prie de vous exprimer en français. Vous m’agacez à la fin !
— Je suis heureux que vous soyez guérie, cela aurait été malencontreux. Avec du breton, j’ai changé le ton. Vous ne discourerez plus en vers, du moins je l’espère.
— Bref, je ne suis pas venue prendre de tes nouvelles pour discuter ascenseur moi. Alors, fichez le camp, ne voyez-vous pas que vous dérangez ?
— Jamais on ne m’a ainsi parlé. Je suis huissier. Qu’on se le dise. Arrêtez vos bêtises !
— Vous me saoulez, vous comprenez ?
— Voilà que vous recommencez ? Je vais faire vite, il faut un ascenseur pour votre sœur, elle s’appelle Brigitte ?
— Pourquoi Brigitte ?
— C’est pour la rime et cessez votre pantomime. Donc, je note pour l’heure, travaux à faire et pas dans un millénaire, un ascenseur.
— Vous devriez partir monsieur !
La sirène se leva, s’approcha de l’huissier qui n’en menait pas large. Elle l’agrippa par sa cravate et se mit à chanter. La chapelière fit un clin d’œil à son amie et ouvrit la fenêtre.
Aussitôt, le bruit des vagues de l’océan en bas résonna à leurs oreilles. Il l’appelait. En tenant la main d’Arnaud Bobo, elle plongea.
La chapelière referma la fenêtre. Mon Dieu qu’elle n’aimait pas l’heure méridienne.  



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