La
chapelière regardait avec circonspection le courrier qu’elle venait de
recevoir. Sa boutique était ouverte au 2e étage de la mairie et
beaucoup de fonctionnaires à l’heure méridienne, ne résistaient pas à la
tentation d’admirer sa nouvelle collection.
Mon
Dieu qu’elle n’aimait pas cette expression « heure méridienne ». Pour elle, la
« méridienne » correspondait à son joli canapé installé face au grand miroir.
Tout moelleux et recouvert de coussins multicolores, il accueillait avec
bonheur, les gentes dames qui désiraient faire des essayages.
Mais
l’heure n’était pas à la rêverie, elle devait comprendre, ce que voulait dire
ce courrier qui émanait de… elle retourna l’enveloppe pour lire l’adresse et
épela tout haut « Office des huissiers de justice de la Côte en vers ».
Pour
le coup, elle se laissa tomber dans sa « méridienne » qui s’affaissa
gracieusement.
— Je
ne pige rien.
Un
bruit d’essoufflement, d’eau qui dégoulinait, la fit se relever en vitesse. Sa
cliente préférée et amie entrait dans sa boutique.
— Je
suis désolée, je vais encore te tremper ton parquet, mais comment faire
autrement ?
— Tu
ne pourrais pas de temps en temps te transformer en femme ?
— Je
ne peux pas. J’ai fait le vœu de récupérer des jambes que lorsque je serai
sélectionnée pour participer à un grand match de football. Comme pour tenir 90 minutes,
je dois conserver mes jambes, je ne veux pas utiliser ce précieux temps pour
grimper en haut de tes 2 étages. Avec ma queue, j’arrive assez facilement
à me mouvoir. Le seul problème c’est que je mets de l’eau partout et que les
fonctionnaires grincheux du premier me regardent d’un drôle d’air. Les agents
de service se précipitent avec leur balai et leur éponge pour essuyer les
traces derrière moi. C’est d’un gênant. Je n’aime pas que des inconnus touchent
mes écailles. Elles sont fragiles.
La
chapelière éclata de rire, imaginant la scène. La sirène reprit :
— Tu
en fais une drôle de tête ? Un problème ?
— Regarde
ce courrier.
Elle
parcourut la missive et la rendit à son amie.
— Si
c’est l’huissier à qui je pense, tu n’es pas sortie de l’auberge, ma pauvre !
— Mais
pourquoi vient-il ici ? Je paie toutes mes cotisations et mon loyer. Tu crois
que je pourrais lui offrir un chapeau pour l’amadouer ?
— Ça
m’étonnerait avec la chevelure qu’il a… Un vrai crâne d’œuf !
La
porte s’ouvrit alors sur un nain connu, non plutôt un inconnu.
La
chapelière s’avança avec son plus beau sourire, tandis que la sirène se
laissait tomber élégamment dans les coussins.
— Elle
ne risque pas d’abimer votre matériel, la femme qui ressemble à Ariel ?
Surprise,
elle regarda son amie qui ne semblait pas avoir entendu.
— Bonjour
monsieur. Désirez-vous un conseil pour faire un cadeau ?
— Croyez-vous
vraiment que les chapeaux sont des cadeaux ? Ils ne sont que de vulgaires
oripeaux, vous voyez le tableau ? Madame, je viens assez tôt pour décider avec
vous de la nature de vos travaux.
Les
deux femmes n’osaient pas rire. Il était plutôt bel homme. Aussi, fut-elle
surprise quand elle l’entendit se présenter.
— Maître
Arnaud Bobo, huissier de justice, j’arrive bien à propos, et ne jouez pas avec
moi à l’actrice.
— Parlez-vous
toujours comme ça ?
— En
vers, je suppose ? Est-ce que cela vous indispose ?
— Aimez-vous le football ?
Interloqué,
il se tourna vers la sirène qui venait de l’interroger.
— En
voilà une question à laquelle je répondrais non.
La
chapelière l’invita alors à s’asseoir pour discuter.
— Vous
parliez de travaux ? Je peux savoir pourquoi. Il y a un problème ?
— Trouvez-vous
normal de vendre des chapeaux dans une collectivité territoriale ?
— Je
ne me suis jamais interrogée à ce sujet.
— Et
que je découvre une sirène dans votre canapé ? Comment a-t-elle fait pour
jusqu’à vous grimper ?
— Oh !
ne vous tracassez pas pour moi, j’ai l’habitude, je suis très musclée. Regardez
ma queue comme elle navigue bien, je me débrouille formidablement pour monter
ces 2 étages.
— Là
n’est pas le hic. Il faut un ascenseur pour tout accueil public.
— Un
ascenseur ? Je ne pourrais jamais le prendre, j’ai le vertige. De plus, je
risque de produire un court circuit avec ma queue mouillée. Je doute que
d’autres usagers apprécient de l'emprunter.
— Tu
parles en vers aussi ? C’est contagieux, est-ce une maladie ? Mon Dieu moi
aussi !
— Mat
an traou ? Petra’ po…
— Je
vous prie de vous exprimer en français. Vous m’agacez à la fin !
— Je
suis heureux que vous soyez guérie, cela aurait été malencontreux. Avec du
breton, j’ai changé le ton. Vous ne discourerez plus en vers, du moins je
l’espère.
— Bref,
je ne suis pas venue prendre de tes nouvelles pour discuter ascenseur moi.
Alors, fichez le camp, ne voyez-vous pas que vous dérangez ?
— Jamais
on ne m’a ainsi parlé. Je suis huissier. Qu’on se le dise. Arrêtez vos bêtises !
— Vous
me saoulez, vous comprenez ?
— Voilà
que vous recommencez ? Je vais faire vite, il faut un ascenseur pour votre
sœur, elle s’appelle Brigitte ?
— Pourquoi
Brigitte ?
— C’est
pour la rime et cessez votre pantomime. Donc, je note pour l’heure, travaux à
faire et pas dans un millénaire, un ascenseur.
— Vous
devriez partir monsieur !
La
sirène se leva, s’approcha de l’huissier qui n’en menait pas large. Elle
l’agrippa par sa cravate et se mit à chanter. La chapelière fit un clin d’œil à
son amie et ouvrit la fenêtre.
Aussitôt,
le bruit des vagues de l’océan en bas résonna à leurs oreilles. Il l’appelait. En
tenant la main d’Arnaud Bobo, elle plongea.
La
chapelière referma la fenêtre. Mon Dieu qu’elle n’aimait pas l’heure
méridienne.
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