Histoire écrite avec les mots dans l'ordre de leur proposition
Elle
est bien bonne celle-là !
Alors
que je devais passer une journée sereine à
lézarder sur la plage face à l’océan, ne voilà-t-il pas qu’un homme triste à
souhait avec une mine de six pieds de long venait s’asseoir près de moi.
— Je
ne vous dérange pas ?
Polie,
je rétorquais que la plage était à tout le monde.
— Vous
pouvez rester comme ça à regarder les vagues ? Moi je ne pourrais pas.
— Je
ne vous le demande pas !
— Il
me rend dépressif !
L’envie
me démange de le planter là, mais un gamin tout excité
arrive avec son seau, sa pelle et son râteau. Il s’installe face à nous et commence
à creuser. Évidemment, mon voisin ne peut pas s’empêcher de l’asticoter :
— Tu
es tout seul ? Tu ne peux pas aller plus loin, tu me déranges. En plus, tu me
balances plein de sable sur les jambes.
Je
faillis lui répondre que c’était lui aussi qui s’était installé à côté de moi,
mais comme je n’avais pas envie de m’enguirlander avec lui, je me tus. C’était
une superbe journée ensoleillée, je souhaitais
en profiter. Je me demandais si je n’allais pas changer de place quand le gamin
rétorqua :
— Je
ne suis pas tout seul. Mes amis vont arriver.
Je
souris in petto. Il ne va pas apprécier le stressé d’à côté, surtout qu’une
troupe de garçons et filles déboulaient en riant et en se bousculant. Comme au ralenti, je vis alors mon voisin se lever et leur
faire signe qu’il fallait partir plus loin. C’est qu’il grognait le bougre. À
croire que l’océan lui appartenait et qu’il ne voulait absolument pas le
partager.
— Pourquoi
on ne peut pas se mettre là ? t’as réservé ? C’est écrit ton nom ?
Hou
la, ça va se gâter. Moi qui rêvais d’une matinée tranquille pour oublier que ma
voiture avait joué à la capricieuse en ne voulant pas démarrer, c’était raté.
Elle m’avait filé le bourdon cette coquine rien qu’à penser aux réparations à
venir. Elle n’est plus toute jeune ma titine. Du coup, pour évacuer mon humeur morose, j’avais emprunté la route de la plage à pied.
J’étais heureuse de pouvoir profiter de cette journée en solitaire face à
l’immensité du grand bleu. En passant devant la boulangerie, j’avais salué la
propriétaire. Elle est amusante, Josette, elle désire toujours parler d’jeunes.
J’ai beau lui dire que notre langue est chantante et belle à souhait, elle
n’arrête pas de faire des phrases bizarres. Tiens aujourd’hui encore, elle m’a
balancé un « cavaplutôtpasmal » au lieu de me
dire ça va bien.
Mais
revenons au malotru d’à côté qui ne semble pas vouloir lâcher sa place.
— Mais
comment elle me parle la gamine ! Vous en pensez quoi vous ?
C’est
à moi qu’il s’adresse là ? Je m’amuse de sa tête renfrognée et réponds sachant
que je vais l’agacer davantage.
— Comme ci comme ça.
— Ce
n’est pas une réponse, répondez à la question.
Je
ne peux m’empêcher d’éclater de rire.
— Allons
calmez-vous ! Vous avez des enfants ?
Je
ne l’imaginais pas me répondre de cette façon enthousiaste.
Ce n’était plus le même homme, je n’en revenais pas.
— Oui,
j’en ai 3. Une fille et deux garçons.
— Alors
vous devriez comprendre que ces gosses ont envie de faire des châteaux de
sable.
— Oui,
mais pas devant moi. Regardez j’ai amené avec moi tout mon matériel. Comment
voulez-vous que je peigne maintenant s’ils sont toujours face à moi à bouger
dans tous les sens.
Je
n’avais pas remarqué qu’il était arrivé avec tout son attirail.
— Vous
disiez tout à l’heure que vous étiez dépressif devant l’océan et vous allez
passer votre temps à le peindre ? Je ne comprends pas.
— C’est
une commande et ma cliente est impatiente. J’avoue
ne jamais l’avoir fait auparavant.
— Quel
dommage !
— Bref,
ce n’est pas tout ça, je dois m’installer et ces gamins m’embarrassent la vue
et l’esprit.
— Zen mon bon monsieur ! Il fait beau, le soleil brille,
tout va bien. Non ?
Il
maugréa dans sa barbe. Enfin, façon de parler, parce qu’il n’en avait pas.
Je
le regardais poser son chevalet. J’avais envie de rire. Il n’allait pas rester
longtemps. C’était la marée montante et les rouleaux se rapprochaient à vue
d’œil. Les enfants qui avaient construit de beaux châteaux n’en avaient cure.
Au contraire, ils espéraient bien que l’eau petit à petit allait s’engouffrer
dans leurs remparts. Leur bonne humeur me ravissait le cœur et me donnait l’enviederienfaire de la journée.
Tout
en surveillant l’océan qui grignotait peu à peu la plage, je jetais des coups
d’œil discrets au peintre installé à côté de moi. Complètement habité par son
art, il ne faisait plus attention à ce qui l’entourait. Quand une vague plus
coquine que les autres recouvrit les châteaux des gamins, déclenchant leurs
éclats de rire, mon voisin s’écria, horrifié.
— Vais-je
devoir déménager ?
— Vous
devriez même vous hâter.
Je
me levais d’un bond pour éviter que ma serviette ne soit trempée. L’inconnu lui,
n’eut pas cette chance. Palettes, pinceaux et toile posés près de lui furent balayés
en un rien de temps. Les enfants qu’il avait tant invectivés plus tôt vinrent
aussitôt l’aider à ramasser son matériel. Heureusement, le chevalet avait
résisté. Curieuse, je jetais un coup d’œil. Quelle ne fut pas ma surprise de
découvrir un paysage bucolique au lieu d’une
immensité bleue.
— Oui
je sais, je n’ai pas peint ce qu’elle voulait.
— Mais
pourquoi ? En tout cas, vous avez un don c’est indéniable. Ce paysage ne
ressemble en rien à ce que vous avez devant vous. Vous avez tout imaginé.
— J’ai
l’habitude.
— Quel
talent vraiment.
Je
regardais autour de lui et constatais que ses affaires récupérées par les
enfants s’étaient éparpillées. Je les rassemblais
près de lui et remerciais les gamins qui recommencèrent à creuser avec
patience.
Stupéfaite,
je contemplais l’homme qui continuait à peindre, mais quelque chose clochait.
Son chevalet avait bougé, il n’était plus face à l’océan, mais cela ne semblait
pas le déranger.
J’installais
donc ma serviette plus loin.
— Vous
ne parlez plus ? Seriez-vous déprimée à force de
le regarder ? Je vous avais prévenue.
Je
ne comprenais pas à qui il s’adressait, il ne me regardait pas. Il devait
vraiment être habité par sa création.
Il
reprit, lâchant sa toile des yeux et se penchant vers l’endroit où j’étais
assise auparavant.
— Je
vous trouve bien calme.
Alors
je compris. Cet homme était aveugle. Ses lunettes noires m’avaient leurrée. Il
ne semblait pas vouloir que je m’en aperçoive. Je m’approchais de lui.
— Je
vous regardais peindre.
Il
tourna aussitôt la tête vers moi, surpris.
— Vous
m’avez fait peur. Vous avez une jolie voix, je m’en rends compte à présent.
Avec le chahut des enfants, je ne vous avais pas entendue. Musicale à souhait, elle fait plaisir à écouter.
Heureusement
qu’il ne me voyait pas rougir. Je sentais mes joues devenir brulantes. J’avais
oublié que ses autres sens étaient exacerbés, il éclata de rire.
— Ne
rougissez pas.
— C’est
le soleil, j’y suis très sensible.
— Si
vous le dites.
Je
le regardais faire. Son travail était splendide. Rien à voir avec une marine,
mais ce paysage était… je m’approchais plus près et constatais avec surprise
que peu à peu le ciel bleu se mêlait à ce qui paraissait être… mais oui la mer…
Je restais fascinée.
— Vous
peignez aussi ?
— Pas
du tout, j’ai deux mains gauches pour le dessin.
— La
peinture n’est pas du dessin.
— Quand
même ça y ressemble un peu. Je n’ai guère d’imagination pour ce genre de
travail.
— Je
suis certain que vous en avez pour d’autres.
Il
continuait à me parler alors que son pinceau virevoltait sur sa toile.
— Fermez
la bouche.
Comment
diable avait-il pu se rendre compte que je l’avais gardée ouverte tout en
contemplant l’œuvre qui prenait forme.
Tout
à coup, il stoppa son travail et appela les enfants qui bavardaient plus loin
toujours affairés à leurs châteaux.
— J’entends
le marchand de glaces. Tenez, je vous donne un billet, allez vous faire
plaisir.
Surpris
par sa générosité, ils ne comprirent pas tout de suite.
— Je
suis certain qu’il y a une petite gourmande
parmi vous, me serais-je trompé ?
Les
garçons se tournèrent vers une blondinette qui se pourléchait déjà les babines.
— Je
te sens motivée pas vrai ? Allez filez, c’est
moi qui régale !
Les
enfants ne se firent pas prier et détalèrent.
— Vous
aviez l’air d’un ours mal léché tout à l’heure, et maintenant vous leur offrez
des glaces ?
Pensive, je le
regardais. Il rangeait ses affaires. S’il ne voyait rien, il était extrêmement
doué. Je ne parvenais pas à imaginer vivre sans contempler le soleil. Rien que
les jours de pluie où il faisait sombre, je
perdais le moral alors…
— Ce
n’est pas vous tout à l’heure qui me disiez d’être zen !
Je ne suis pas malheureux. Je suis malvoyant depuis ma naissance. Ce n’est pas
un accident. Je ne connais donc pas toutes ces choses dont vous n’arriveriez
pas à vous passer. Les parfums, les ambiances, les sons me chantent une belle musique dans la tête.
— Comment
avez-vous su que je m’étais rendu compte de votre handicap ?
— Lorsque
vous vous êtes approchée de moi. Je n’étais pas tourné du bon côté.
— Je
suis désolée.
— Ne
le soyez pas. C’est ma vie. Je suis heureux et pas nostalgique
du tout. De quoi pourrais-je l’être d’ailleurs ?
Il
avait remballé ses affaires. Les enfants revenaient avec leur glace. Ils le
remercièrent chaleureusement.
— Alors
ces parfums ?
Sans
se tromper, il désigna le chocolat, la fraise, l’abricot et la vanille. Il
salua tout ce petit monde et se tournant vers moi il dit :
— Méfiez-vous
de ne pas vous faire bousculer par une vague.
Je
n’eus pas le temps de ranger ma serviette, je perdis l’équilibre et me
retrouvais trempée des pieds à la tête. Il éclata de rire tout comme les
enfants, ravis de voir que leurs châteaux tenaient encore debout, eux !
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