Une maman qui prend soin d'elle. Qui aime écrire, lire et faire de la musique.

samedi 22 juin 2019

Rencontre inattendue face à l'océan



Histoire écrite avec les mots dans l'ordre de leur proposition


Elle est bien bonne celle-là !
Alors que je devais passer une journée sereine à lézarder sur la plage face à l’océan, ne voilà-t-il pas qu’un homme triste à souhait avec une mine de six pieds de long venait s’asseoir près de moi.
— Je ne vous dérange pas ?
Polie, je rétorquais que la plage était à tout le monde.
— Vous pouvez rester comme ça à regarder les vagues ? Moi je ne pourrais pas.
— Je ne vous le demande pas !
— Il me rend dépressif !
L’envie me démange de le planter là, mais un gamin tout excité arrive avec son seau, sa pelle et son râteau. Il s’installe face à nous et commence à creuser. Évidemment, mon voisin ne peut pas s’empêcher de l’asticoter :
— Tu es tout seul ? Tu ne peux pas aller plus loin, tu me déranges. En plus, tu me balances plein de sable sur les jambes.
Je faillis lui répondre que c’était lui aussi qui s’était installé à côté de moi, mais comme je n’avais pas envie de m’enguirlander avec lui, je me tus. C’était une superbe journée ensoleillée, je souhaitais en profiter. Je me demandais si je n’allais pas changer de place quand le gamin rétorqua :
— Je ne suis pas tout seul. Mes amis vont arriver.
Je souris in petto. Il ne va pas apprécier le stressé d’à côté, surtout qu’une troupe de garçons et filles déboulaient en riant et en se bousculant. Comme au ralenti, je vis alors mon voisin se lever et leur faire signe qu’il fallait partir plus loin. C’est qu’il grognait le bougre. À croire que l’océan lui appartenait et qu’il ne voulait absolument pas le partager.
— Pourquoi on ne peut pas se mettre là ? t’as réservé ? C’est écrit ton nom ?

Hou la, ça va se gâter. Moi qui rêvais d’une matinée tranquille pour oublier que ma voiture avait joué à la capricieuse en ne voulant pas démarrer, c’était raté. Elle m’avait filé le bourdon cette coquine rien qu’à penser aux réparations à venir. Elle n’est plus toute jeune ma titine. Du coup, pour évacuer mon humeur morose, j’avais emprunté la route de la plage à pied. J’étais heureuse de pouvoir profiter de cette journée en solitaire face à l’immensité du grand bleu. En passant devant la boulangerie, j’avais salué la propriétaire. Elle est amusante, Josette, elle désire toujours parler d’jeunes. J’ai beau lui dire que notre langue est chantante et belle à souhait, elle n’arrête pas de faire des phrases bizarres. Tiens aujourd’hui encore, elle m’a balancé un « cavaplutôtpasmal » au lieu de me dire ça va bien.

Mais revenons au malotru d’à côté qui ne semble pas vouloir lâcher sa place.
— Mais comment elle me parle la gamine ! Vous en pensez quoi vous ?
C’est à moi qu’il s’adresse là ? Je m’amuse de sa tête renfrognée et réponds sachant que je vais l’agacer davantage.
— Comme ci comme ça.
— Ce n’est pas une réponse, répondez à la question.

Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire.
— Allons calmez-vous ! Vous avez des enfants ?
Je ne l’imaginais pas me répondre de cette façon enthousiaste. Ce n’était plus le même homme, je n’en revenais pas.
— Oui, j’en ai 3. Une fille et deux garçons.
— Alors vous devriez comprendre que ces gosses ont envie de faire des châteaux de sable.
— Oui, mais pas devant moi. Regardez j’ai amené avec moi tout mon matériel. Comment voulez-vous que je peigne maintenant s’ils sont toujours face à moi à bouger dans tous les sens.
Je n’avais pas remarqué qu’il était arrivé avec tout son attirail.
— Vous disiez tout à l’heure que vous étiez dépressif devant l’océan et vous allez passer votre temps à le peindre ? Je ne comprends pas.
— C’est une commande et ma cliente est impatiente. J’avoue ne jamais l’avoir fait auparavant.
— Quel dommage !
— Bref, ce n’est pas tout ça, je dois m’installer et ces gamins m’embarrassent la vue et l’esprit.
— Zen mon bon monsieur ! Il fait beau, le soleil brille, tout va bien. Non ?
Il maugréa dans sa barbe. Enfin, façon de parler, parce qu’il n’en avait pas.

Je le regardais poser son chevalet. J’avais envie de rire. Il n’allait pas rester longtemps. C’était la marée montante et les rouleaux se rapprochaient à vue d’œil. Les enfants qui avaient construit de beaux châteaux n’en avaient cure. Au contraire, ils espéraient bien que l’eau petit à petit allait s’engouffrer dans leurs remparts. Leur bonne humeur me ravissait le cœur et me donnait l’enviederienfaire de la journée.

Tout en surveillant l’océan qui grignotait peu à peu la plage, je jetais des coups d’œil discrets au peintre installé à côté de moi. Complètement habité par son art, il ne faisait plus attention à ce qui l’entourait. Quand une vague plus coquine que les autres recouvrit les châteaux des gamins, déclenchant leurs éclats de rire, mon voisin s’écria, horrifié.
— Vais-je devoir déménager ?
— Vous devriez même vous hâter.
Je me levais d’un bond pour éviter que ma serviette ne soit trempée. L’inconnu lui, n’eut pas cette chance. Palettes, pinceaux et toile posés près de lui furent balayés en un rien de temps. Les enfants qu’il avait tant invectivés plus tôt vinrent aussitôt l’aider à ramasser son matériel. Heureusement, le chevalet avait résisté. Curieuse, je jetais un coup d’œil. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un paysage bucolique au lieu d’une immensité bleue.
— Oui je sais, je n’ai pas peint ce qu’elle voulait.
— Mais pourquoi ? En tout cas, vous avez un don c’est indéniable. Ce paysage ne ressemble en rien à ce que vous avez devant vous. Vous avez tout imaginé.
— J’ai l’habitude.
— Quel talent vraiment.
Je regardais autour de lui et constatais que ses affaires récupérées par les enfants s’étaient éparpillées. Je les rassemblais près de lui et remerciais les gamins qui recommencèrent à creuser avec patience.
Stupéfaite, je contemplais l’homme qui continuait à peindre, mais quelque chose clochait. Son chevalet avait bougé, il n’était plus face à l’océan, mais cela ne semblait pas le déranger.
J’installais donc ma serviette plus loin.

— Vous ne parlez plus ? Seriez-vous déprimée à force de le regarder ? Je vous avais prévenue.
Je ne comprenais pas à qui il s’adressait, il ne me regardait pas. Il devait vraiment être habité par sa création.
Il reprit, lâchant sa toile des yeux et se penchant vers l’endroit où j’étais assise auparavant.
— Je vous trouve bien calme.

Alors je compris. Cet homme était aveugle. Ses lunettes noires m’avaient leurrée. Il ne semblait pas vouloir que je m’en aperçoive. Je m’approchais de lui.
— Je vous regardais peindre.
Il tourna aussitôt la tête vers moi, surpris.
— Vous m’avez fait peur. Vous avez une jolie voix, je m’en rends compte à présent. Avec le chahut des enfants, je ne vous avais pas entendue. Musicale à souhait, elle fait plaisir à écouter.
Heureusement qu’il ne me voyait pas rougir. Je sentais mes joues devenir brulantes. J’avais oublié que ses autres sens étaient exacerbés, il éclata de rire.
— Ne rougissez pas.
— C’est le soleil, j’y suis très sensible.
— Si vous le dites.

Je le regardais faire. Son travail était splendide. Rien à voir avec une marine, mais ce paysage était… je m’approchais plus près et constatais avec surprise que peu à peu le ciel bleu se mêlait à ce qui paraissait être… mais oui la mer… Je restais fascinée.

— Vous peignez aussi ?
— Pas du tout, j’ai deux mains gauches pour le dessin.
— La peinture n’est pas du dessin.
— Quand même ça y ressemble un peu. Je n’ai guère d’imagination pour ce genre de travail.
— Je suis certain que vous en avez pour d’autres.
Il continuait à me parler alors que son pinceau virevoltait sur sa toile.

— Fermez la bouche.
Comment diable avait-il pu se rendre compte que je l’avais gardée ouverte tout en contemplant l’œuvre qui prenait forme.
Tout à coup, il stoppa son travail et appela les enfants qui bavardaient plus loin toujours affairés à leurs châteaux.
— J’entends le marchand de glaces. Tenez, je vous donne un billet, allez vous faire plaisir.
Surpris par sa générosité, ils ne comprirent pas tout de suite.
— Je suis certain qu’il y a une petite gourmande parmi vous, me serais-je trompé ?
Les garçons se tournèrent vers une blondinette qui se pourléchait déjà les babines.
— Je te sens motivée pas vrai ? Allez filez, c’est moi qui régale !

Les enfants ne se firent pas prier et détalèrent.
— Vous aviez l’air d’un ours mal léché tout à l’heure, et maintenant vous leur offrez des glaces ?
Pensive, je le regardais. Il rangeait ses affaires. S’il ne voyait rien, il était extrêmement doué. Je ne parvenais pas à imaginer vivre sans contempler le soleil. Rien que les jours de pluie où il faisait sombre, je perdais le moral alors…
— Ce n’est pas vous tout à l’heure qui me disiez d’être zen ! Je ne suis pas malheureux. Je suis malvoyant depuis ma naissance. Ce n’est pas un accident. Je ne connais donc pas toutes ces choses dont vous n’arriveriez pas à vous passer. Les parfums, les ambiances, les sons me chantent une belle musique dans la tête.
— Comment avez-vous su que je m’étais rendu compte de votre handicap ?
— Lorsque vous vous êtes approchée de moi. Je n’étais pas tourné du bon côté.
— Je suis désolée.
— Ne le soyez pas. C’est ma vie. Je suis heureux et pas nostalgique du tout. De quoi pourrais-je l’être d’ailleurs ?

Il avait remballé ses affaires. Les enfants revenaient avec leur glace. Ils le remercièrent chaleureusement.
— Alors ces parfums ?
Sans se tromper, il désigna le chocolat, la fraise, l’abricot et la vanille. Il salua tout ce petit monde et se tournant vers moi il dit :
— Méfiez-vous de ne pas vous faire bousculer par une vague.

Je n’eus pas le temps de ranger ma serviette, je perdis l’équilibre et me retrouvais trempée des pieds à la tête. Il éclata de rire tout comme les enfants, ravis de voir que leurs châteaux tenaient encore debout, eux !


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