Giovanni a fermé ses beaux yeux
bleus pour toujours et Zabou se souvient…
Chaque été fin juillet, elle partait
en vacances chez Giovanni et Gabrielle. Enfin pas tout à fait chez eux, juste
la maison voisine.
Plus de huit cents kilomètres la
séparaient de cette maison, mais elle y rêvait toute l’année. Elle était située
au soleil en pleine campagne, alors qu’elle habitait en ville et le soleil
était dans le cœur pas beaucoup dans le ciel.
Dès que son papa avait fixé la
date du départ, les valises commençaient à prendre toute la place. Le départ
était souvent fixé à quatre heures du matin, parce qu’il fallait avaler dix
heures de route et qu’il ne fallait pas trop rouler avec la chaleur à laquelle
elle et ses parents étaient peu habitués.
L’arrivée était toujours la même
et les sentiments de joie et d’excitation quand la voiture franchissait les
derniers kilomètres en grimpant la côte la faisaient danser dans la voiture au
grand dam de son père qui lui demandait de se tenir tranquille.
La maison était là, l’herbe
aussi. Papa sortait les clés pour ouvrir le portail mais Zabou était déjà hors
de la voiture et criait :
— Je vais chez Fantine.
Fantine était son amie. Celle
avec qui elle vivait pendant un mois. Elle était la fille de Giovanni et
Gabrielle. Elle avait deux sœurs : Joe l’aînée, et Manou la plus jeune. Fantine
était celle du milieu, et était née le même jour que Zabou à deux ans d’intervalle.
Deux presque sœurs.
Zabou arrivait le cœur battant à
tout rompre dans la cour. Il lui semblait que rien n’avait changé depuis l’année
dernière. Elle était assaillie aussitôt par les parfums de foin, de tabac, de paille,
et des … vaches. Elle n’avait rien oublié.
Toujours un petit moment de
flottement quand Zabou et Fantine se retrouvaient. Quand on est gamines, ne pas
se voir pendant onze mois, c’est long. Mais ça ne durait jamais longtemps ce
flottement.
Gabrielle aussitôt avec son
accent chantant disait :
— Te voilà revenue au pays ?
— Comme tu as grandi !
C’est les yeux rieurs de
Giovanni qui l’accueillaient :
— Alors ? Tu n’as pas
beaucoup de couleur, tu es bien blanche !
Les vacances chez Giovanni et
Gabrielle étaient toujours les mêmes, année après année. Agriculteurs tous les
deux, la journée était rythmée par le ramassage des tomates dans les grands
champs un jour sur deux, puis par celui du tabac. C’était ça qu’elle préférait
Zabou, le tabac.
Giovanni le coupait, et Gabrielle,
ses trois filles et Zabou, le ramassaient par poignée de trois ou quatre pieds
et le tendaient à Giovanni debout sur la remorque qui le plaçait de manière à ce
que ses feuilles ne s’abîment pas.
Il arrivait qu’en attendant que
le tabac soit coupé, Zabou et Fantine fassent le clown sur la remorque. Elles
dansaient, chantaient, et faisaient coucou aux quelques voitures qui passaient
sur la route en éclatant de rire quand elles se faisaient klaxonner.
Zabou se souvient qu’elle avait
gardé une feuille de tabac séchée dans un livre et qu’elle en humait le parfum le
soir chez elle à la ville comme lui disait en souriant Gabrielle.
Au moment du goûter, tout le
monde se retrouvait au frais dans la grande cuisine et Zabou adorait ce moment
où elle allait pouvoir faire un « choupillon ». Tremper une grande tranche
de pain frais dans du vin sucré. Un régal !
Zabou en a encore le goût sur la langue. Ou alors, c’était le grand pot de
confiture de prune qui arrivait sur la table. Et une tartine de cette confiture
valait tout l’or du monde pour Zabou. Ce
parfum de prunes, Zabou ne l’a jamais oublié.
D’ailleurs, elle et Fantine en
ramassaient des prunes. Assises sur le tracteur, elles n’avaient qu’à lever la
main pour attraper les prunes bien chaudes… Zabou en a gardé des souvenirs de
ces prunes chaudes avalées… Pourtant Gabrielle l’avait prévenue, et Giovanni s’en
amusait.
Quand ce n’était pas le tabac, c’était
le ramassage des tomates. L’odeur restait imprégnée sur le tee shirt de Zabou
qui refusait, une fois repartie, que sa maman le lave. Elle pouvait rester des
heures à le sentir le soir quand le cafard la saisissait par surprise.
En attendant que la chaleur soit
moins forte, Giovanni faisait la sieste dans sa grange. Zabou qui avait une
peur bleue des araignées ne comprenait pas pourquoi il allait s’allonger dans
la remise aux pommes de terre. Il y faisait frais certes !
Pendant ce temps, elle et
Fantine s’amusaient. Danses sur les tubes de Cloclo, dinettes sous la treille
avec des histoires inventées par l’une et par l’autre, parties de jeux de
cartes, lectures des feuilletons de « Nous deux ».
Et puis Giovanni sortait de la
grange, le sourire aux lèvres. Il partait préparer les remorques. Gabrielle
rameutait les troupes :
— Les filles, arrêtez de jouer,
on va travailler.
Mais c’était toujours du plaisir
pour Zabou. Peut-être pas pour Fantine, Joe et Manou, mais pour Zabou c’était ça
les vacances.
Et puis quand la soirée
approchait, il y avait le grand plaisir de Zabou qu’elle ne voulait rater pour
rien au monde. C’était toujours un drame quand ses parents l’appelaient et que
ce plaisir-là lui était refusé.
Zabou adorait rentrer les
vaches. Avec Fantine, elles partaient en courant dans le pré avec un bâton.
Gabrielle criait :
— Bé bé bé
Les vaches levaient la tête
alors qu’elles ruminaient tranquillement, certaines couchées, se levaient
lourdement et se mettaient en route vers la grange.
Giovanni avait enfilé sa blouse
bleue, celle qu’il mettait pour la traite. Les animaux avançaient
tranquillement et s’installaient à leur place. C’est Gabrielle qui les
attachaient. Zabou était impressionnée et n’arrivaient pas à croire qu’elles
connaissaient leur emplacement par cœur. Une ardoise avec leur nom était
suspendue devant leur crèche. Il arrivait qu’une vache fasse la maligne et
décide de rester avec sa copine, mais Giovanni élevait la voix et tout rentrait
dans l’ordre facilement. Il les aimait ses bêtes. Quand il s’asseyait sur son
tabouret et qu’il attrapait leur pis, elles se laissaient faire. Le lait
coulait alors abondamment et Zabou se rappelle encore le bruit qu’il faisait
quand il giclait dans le seau.
C’était aussi le moment d’aller
ramasser les œufs. Grimpées en haut des bottes de foin, Zabou et Fantine
partaient à leurs recherches. Puis, elles allaient « panser » les
lapins, couper les courgettes pour les cochons, rentrer les poules, arroser les
fleurs. Zabou n’était pas beaucoup chez
elle, Gabrielle disait d’elle qu’elle était sa quatrième fille.
Le week-end, Joe étant l’aînée,
elle allait au bal. Giovanni s’habillait alors pour l’accompagner en voiture.
Zabou se souvient encore de cette 4L violette dans laquelle elle aimait bien grimper
avec Fantine. Toutes les deux à l’arrière, elles ne cessaient de jacasser et de
rigoler. Mais pour le bal, c’était juste Giovanni et sa fille. Zabou se
souvient encore de son parfum quand il était s’était préparé. Ses yeux
brillaient, et il lui arrivait d’allumer une cigarette. Elle n’avait pas
beaucoup l’occasion de le voir ainsi vêtu. Aussi quand elle le voyait, elle ne
pouvait s’empêcher de le trouver « chic ». Alors il riait.
La fête du village était très
attendue par Zabou et Fantine. Elle sonnait aussi la fin des vacances. Il était
difficile pour Zabou d’être complètement heureuse. Souvent après cette fête, c’était
le départ. Mais qu’est-ce qu’elles passaient de bons moments à cette fête.
Pourtant, au fil des années, Zabou se sentait un peu abandonnée par Fantine qui
retrouvait ses amies de toute l’année. Zabou devenait alors « celle qui
vient de la ville ».
Les années ont passé. Les étés
se sont succédés. La vie s’est déroulée… Zabou et Fantine se sont un peu
éloignées, puis retrouvées… Le lien ne s’est jamais coupé.
Giovanni s’est endormi pour
toujours. Il ne dira plus à Zabou « Ah voilà ma nièce » …
Zabou s’est blottie dans les
bras de Gabrielle. Puis dans ceux de Joe, de Manou, et enfin dans ceux de
Fantine.
Gabrielle lui a dit de ne pas
pleurer. Gabrielle lui a dit de revenir quand elle voulait. Gabrielle lui a répété
qu’elle était sa quatrième fille. Fantine l’a embrassée.
Zabou a dû partir, à regret.
Elle s’est revue quand elle voulait absolument rentrer les vaches et quand ses
parents l’appelaient, elle a ressenti les mêmes parfums de son enfance, Joe l’a
accompagnée jusqu’à sa voiture…
Un dernier regard sur les près
qui s’étendent au loin mais sans tomates ni tabac, un autre sur la grange qui n’est
plus « grange » depuis longtemps, et Zabou est partie.
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