Prune tournait en rond dans sa cuisine.
Thomas n’osait pas lui dire qu’elle lui donnait le vertige à aller et venir
sans arrêt en se frottant les mains l' une contre l' autre. Quand la
sonnette retentit elle se précipita vers la porte d’entrée le bousculant au
passage.
̶
Papa, maman, vous allez m’expliquer
pourquoi Félicie doit venir ici aussi ?
̶ Attends ma fille laisse-moi entrer.
D’ailleurs tu n’auras pas longtemps à attendre, ton amie arrive. Bonjour quand
même !
Prune ne releva pas la remarque parce qu’effectivement
Félicie arrivait accompagnée d’un couple. Celle-ci embrassa Prune et présenta
ses parents.
̶
Pourquoi tes parents sont-ils là ?
murmura-t-elle à l’oreille de son amie.
̶
Je n’ai rien compris. Papa voulait
absolument m’accompagner.
La tension était palpable dans le hall
d’entrée que personne n’osait quitter. C’est Thomas qui les invita à entrer
dans le salon.
̶
Je vous offre quelque chose ?
̶
Non merci Thomas… Qu’on en finisse au plus
vite, soupira Clémentine.
̶
Maman tu me fais peur !
Prune était toute pâle. Félicie s’approcha
d’elle. Elle regarda son père qui tenait la tête baissée et qui sursauta quand
Clémentine l’appela :
̶
Fernand tu viens près de moi tu veux bien,
je ne veux pas être toute seule pour raconter.
̶
Mais vous vous connaissez ?
Félicie était stupéfaite. Sa maman
Marjolaine s’approcha alors d’elle.
̶
Toi aussi maman tu connais
Clémentine ?
̶
Non. Je ne l’ai jamais vue !
Thomas se rapprocha de sa femme et entoura
ses épaules. Clémentine prit la parole.
̶
Je suis tombée enceinte, j’avais seize
ans.
̶
Je le sais ça maman, l’interrompit Prune.
̶ J’attendais des jumelles. Je l’ai appris à
la naissance. Quand tu es née Prune, je ne savais pas qu’un autre bébé allait
arriver. Tu sais à l’époque ce n’était pas tout à fait comme maintenant… Une
deuxième petite fille est née… Toi Félicie.
̶
Moi ? Mais…
̶
Je ne pouvais pas m’occuper de deux
petites filles, j’avais seize ans.
̶
Mais …
Les deux sœurs se regardèrent et se
tournèrent toutes les deux vers leurs pères, Fernand pour Félicie et Olivier
pour Prune. Le premier baissait la tête, le deuxième interrogeait sa femme du
regard. Fernand prit alors la parole :
̶ Clémentine ne pouvant s’occuper des deux
bébés, nous en avons choisi chacun une… et nous l’avons élevée avec l’aide des
parents.
̶
Tu veux dire que tu as choisi comme
ça ? Au hasard ? demanda Félicie.
̶
J’ai choisi ton prénom c’était normal que
tu viennes avec moi.
̶
Mais quelle horreur ! s’écrièrent les
deux jeunes femmes en même temps.
̶
Jamais tu n’as cherché à nous réunir et à
savoir comment allait Prune ? demanda encore Félicie
̶
Non, c’était ce qui était prévu.
Olivier ébahi regarda sa femme :
̶
Je savais que tu avais une petite fille en
effet, mais…
̶
Fernand ? Jamais tu ne m’as dit que Félicie avait une
sœur, murmura Marjolaine.
̶
Vous voulez dire que je ne suis pas
adoptée ? demanda Félicie.
̶
Je ne suis donc pas ta fille papa ? demanda
Prune
̶ Toi aussi quelle idée de regarder ta
chaîne ! s’emporta Fernand. Je t’avais dit Clémentine que c’était une
mauvaise idée d’ailleurs, tu vois où ça nous mène ? Personne n’aurait rien
su et …
̶ Papa, tu comptais ne jamais me le dire que
j’avais une sœur ? Et toi Maman tu allais me l’annoncer quand que je
n’étais pas adoptée ?
Les deux jeunes femmes se serraient l’une
contre l’autre complétement perdues. Thomas s’approcha alors de sa femme et la
prit dans ses bras. Félicie eut l’impression de se sentir abandonnée et de se
retrouver seule au monde. Elle ne savait plus vers qui se tourner. Ses parents
lui avaient menti. Elle découvrait son père biologique alors qu’elle s’était
toujours crue adoptée. Elle se sentait trahie par sa mère en qui elle avait une
confiance absolue. Elle apprenait que son amie était en réalité sa sœur. C’en
était trop. Elle ramassa son sac et s’enfuit en courant.
Prune voulut la retenir mais Félicie
refusa sa main tendue. La porte claqua sur la jeune femme.
Prune se tourna alors vers sa maman :
̶
Je ne comprends pas, je porte bien le nom
de papa.
̶
Oui je t’ai reconnue dès que nous nous
sommes mariés ta mère et moi, répondit Olivier.
̶
Et Félicie porte votre nom ? demanda
la jeune femme en se tournant vers Fernand.
̶
Oui.
̶
Je ne comprends rien, murmura Prune.
̶
Quand vous êtes nées mes parents vous ont
déclaré toutes les deux et Fernand vous a reconnues. Mais les parents de
Fernand ont emmené Félicie dès la sortie de la maternité, expliqua Clémentine.
̶
Pourquoi Félicie ?
̶
J’avais choisi son prénom je le répète,
murmura Fernand comme un leitmotiv.
̶
Tu savais donc papa que j’avais une
sœur ?
̶
Je savais que ta maman avait eu une
jumelle décédée à la naissance, répondit Olivier.
̶
Mais pour que tu puisses me reconnaître
papa, il a bien fallu des papiers. Comment as-tu fait ?
̶ J’ai fourni ce qu’on m’a demandé. J’avais
vingt-deux ans. Ta mère était d’accord pour que je te donne mon nom. Clémentine
a demandé à Fernand si lui aussi était d’accord pour que je te reconnaisse.
̶
Que de mensonges ! Jamais vous n’avez
pensé à nous dire la vérité ? Jamais vous n’avez pensé à nous réunir ?
Il y a 35 ans que cette mascarade dure quand même ! vous êtes des monstres ma parole !
La jeune femme regarda tour à tour les
personnes dans la pièce. Elle avait l’impression d’être devant des inconnus
alors qu’elle avait toujours pu s’appuyer sur son père. Maintenant qu’elle
savait qu’il n’était pas son père biologique elle ne savait plus quoi penser.
Fernand, lui, n’avait pas eu un geste vers elle. Elle était transparente. Elle indiqua alors la porte et les pria
fermement de partir.
̶
Je ne veux plus vous voir, vous me donnez
envie de vomir ! Fichez le camp de chez moi !
En silence, l’un derrière l’autre ils
sortirent. Elle reclaqua la porte derrière eux et éclata en sanglots dans les
bras de Thomas son mari qui referma se bras sur elle.
Félicie marchait sans trop savoir où elle
allait. Elle serait bien allée retrouver Muguette, mais celle-ci était avec
Jasmin. Elle reprit donc sa voiture et se gara au hasard. Il y avait un parc,
elle s’assit sur un banc et laissa couler ses larmes.
Un magnifique bouvier bernois s’approcha
d’elle et posa sa tête sur ses genoux et la regarda dans les yeux. Elle ne put
résister à l’envie de le caresser. L’animal semblait ressentir sa peine et se
laissait faire en lui léchant doucement les mains. Sa fourrure noire avec un
savant mélange de feu, douce au toucher, calmait la jeune femme et elle ne put
s’empêcher d’y enfouir son visage.
̶
Sultan ?
L’animal redressa brusquement la tête et
heurta celle de la jeune femme. Les oreilles en alerte, la queue qui remuait
sur le sol, il attendait son maître qui venait de l’appeler.
̶
Excusez-le Madame ! Sultan viens
ici !
Félicie se retourna et se retrouva nez à
nez avec Angelo Rossi. Surpris ils restèrent silencieux. Sultan se mit alors à
aboyer et à tourner en rond autour de son maître l’invitant à jouer comme il en
avait l’habitude. Les mimiques de l’animal firent éclater de rire la jeune
femme.
̶
Il est à vous ? Il est
magnifique !
Elle essuya ses larmes d’un revers de main
et sourit au jeune homme.
̶
Nous nous sommes rencontrés ce
matin ? Vous vous souvenez ?
̶
Comment aurais-je pu vous oublier…
murmura-t-il en la regardant dans les yeux.
̶
Oui, je sais que mon amie est parfois,
comment dire ? C’est une femme merveilleuse. Elle est un peu spéciale
certes et quelquefois ses réflexions peuvent surprendre.
̶
Je me présente Angelo.
̶
Félicie.
Le chien tournait autour d’eux en aboyant
à qui mieux mieux. Son maître lui lança alors un bâton que l’animal s’empressa
d’aller rechercher en galopant comme un fou. Félicie sourit.
̶
Il est vraiment beau votre chien.
Elle pensa aussitôt en rougissant qu’il
n’y avait pas que le chien qui était beau.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire